La Banque mondiale met définitivement fin à la publication du rapport «Doing Business»

Suite à la confirmation d’irrégularités sur de précédentes éditions (2018 et 2019), la Banque mondiale a décidé de mettre définitivement fin à la publication de son rapport « Doing Business » qui mesurait les efforts de ses pays membres dans l’amélioration du climat des affaires. En République Démocratique du Congo, l’annonce a eu l’effet d’une bombe. Le Gouvernement a été pris à pied levé. Quant à l’ANAPI (Agence nationale pour la promotion des investissements), point focal du Gouvernement pour tout ce qui touche à l’amélioration du climat des affaires, on se réserve de tout commentaire. Mais, Engunda Ikala, un analyste indépendant, pense que la suppression du rapport Doing Business est une « opportunité pour l’Afrique ».

Depuis l’édition 2020, la             Banque mondiale avait suspendu la publication du Doing Business aux fins de mener une enquête sur des irrégularités constatées dans la manipulation des données.

La Banque mondiale ne publiera plus de rapport Doing Business. L’annonce a été faite par l’institution dans un communiqué publié le jeudi 16 septembre 2021.

La Banque indique avoir pris cette décision à la suite de la publication des conclusions d’une enquête diligentée sur les irrégularités révélées dans les données des éditions 2018 et 2020 du rapport. Ces irrégularités avaient suscité un tollé mondial, vu le prestige et l’importance de ce classement pour les Etats souhaitant notamment attirer les investisseurs étrangers au sein de leurs économies.

«La confiance dans les travaux de recherche du Groupe de la Banque mondiale est d’une importance capitale. Ces travaux guident les actions des décideurs politiques, aident les pays à prendre des décisions mieux éclairées et permettent aux parties prenantes de mesurer les progrès économiques et sociaux avec plus de précision » a indiqué l’institution de Bretton Woods dans son communiqué. Et d’ajouter : « Après avoir examiné toutes les informations disponibles à ce jour sur le rapport Doing Business, y compris les conclusions d’examens et audits antérieurs et le rapport rendu public aujourd’hui par la Banque au nom du conseil des administrateurs, la direction du Groupe de la Banque mondiale a pris la décision de mettre un terme à la publication du rapport Doing Business ».

Selon les premières conclusions de l’enquête, plusieurs membres de la Banque mondiale auraient subi des pressions pour manipuler les données utilisées dans ce rapport qui permet de mettre en lumière les efforts réalisés par les Etats pour améliorer le climat des affaires dans leurs pays. Ces pressions seraient essentiellement venues de la Chine, de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et de l’Azerbaïdjan notamment.

Parmi les personnalités impliquées dans cette affaire figurent de hauts cadres de l’équipe de l’ancien président du groupe de la Banque mondiale Jim Yong Kim qui, rappelons-le, avait démissionné de son poste à trois ans de la fin de son mandat, ainsi que l’ancienne directrice exécutive de la Banque et actuelle directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva. Dans un communiqué publié ce jeudi, la responsable s’est d’ailleurs offusquée de ces accusations, affirmant être « en désaccord avec les conclusions et les interprétations de l’enquête ».

Faut-il le rappeler, plusieurs économistes au sein même de la Banque mondiale avaient déjà remis en cause l’intégrité du rapport Doing Business, notamment concernant les méthodes de calculs utilisées. De plus, il était critiqué par plusieurs organisations de la société civile, qui estimaient que bien trop de gouvernements mettaient en place des réformes législatives uniquement pour grimper dans le classement sans que cela n’ait un réel impact sur le niveau de développement dans leurs pays.

Encore une fois, les principaux pays impliqués dans ce scandale sont des puissances économiques, disposant du poids nécessaire pour faire pencher en leur faveur des rapports comme celui du Doing Business. A l’aune de ces nouveaux développements, difficile de ne pas se demander si les classements des pays pauvres moins puissants pour exercer ce type de pression, ont été véritablement objectifs.

«A l’avenir, nous nous emploierons à élaborer une nouvelle approche pour évaluer le climat des affaires et de l’investissement », a indiqué la Banque mondiale dans son communiqué.

 Une opportunité pour l’Afrique

Analyste indépendant, Engunda Ikala pense que la suppression du rapport Doing Business est une « opportunité pour l’Afrique ».

Après sa suspension l’année dernière, note-t-il, la Banque mondiale a décidé d’arrêter définitivement la publication du « Doing Business » pour cause de « manipulation de conclusions des Éditions 2018 et 2019 ».

C’est à l’Afrique, préconise-t-il de se ressaisir pour s’engager résolument dans la voie des réformes pour améliorer son environnement des affaires : « Le Doing Business passait en revue l’environnement des affaires des pays membres de la Banque Mondiale en distribuant des bons et de mauvais points aux États au regard de certains critères.

Le résultat de cette analyse engendrait une liste des bons et des mauvais élèves extrêmement redoutés par beaucoup de gouvernements car il servait de boussole pour les investisseurs. Pour ma part, la suppression du Doing Business de la Banque Mondiale est une opportunité pour l’Union Africaine afin de définir un standard continental sur la qualité du climat des affaires. Ce vide engendré par la suppression du Doing Business doit être rempli et nous devons commencer à y réfléchir dès maintenant. L’Afrique ne doit plus subir mais développer son propre paradigme sur ce que l’on entend par climat des affaires ».

La patronne du FMI épinglée

Dans un communiqué parvenu à la presse, la Banque mondiale est allée plus loij en déclarant que les audits soulevaient des problèmes éthiques impliquant d’anciens responsables et membres du personnel du conseil d’administration. Parmi eux figure Kristalina Georgieva, l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI).

Selon les conclusions de l’enquête, la patronne du FMI a subi des pressions pour modifier les données relatives à la Chine afin d’augmenter son score.

Le document révèle que les changements apportés aux données du géant asiatique dans l’édition 2018 semblent être le produit de deux types distincts de pressions exercées par la direction de la Banque sur l’équipe Doing Business.

Les enquêteurs soulignent que « des pressions exercées par la PDG Georgieva et ses conseillers (dont M. Simeon Djankov), d’apporter des modifications spécifiques aux points de données de la Chine dans le but d’améliorer son classement exactement au moment même où le pays devait jouer un rôle clé dans la campagne d’augmentation de capital de la Banque».

Réagissant sur cette affaire, la directrice a nié tous les faits qui lui sont reprochés. « Je suis fondamentalement en désaccord avec les conclusions et les interprétations de l’enquête sur les irrégularités dans les données en ce qui concerne mon rôle dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale de 2018 », a déclaré Mme Georgieva dans un communiqué. Elle qui avait été PDG de la Banque mondiale entre janvier 2017 et septembre 2019 avant de passer au FMI.

Des irrégularités dans les données

Rapport phare de la Banque mondiale, mais souvent controversé, c’est fin 2020 que la Banque mondiale avait annoncé la suspension de la publication du Doing Business afin d’examiner des irrégularités dans la collecte des données de l’étude.

«Un certain nombre d’irrégularités ont été signalées concernant des modifications de données dans les rapports Doing Business 2018 et Doing Business 2020, publiés en octobre 2017 et 2019 », avait déclaré la Banque mondiale dans un communiqué fin décembre 2020.

Plébiscité par certains pays comme un indicateur probant de leur attractivité économique, le rapport phare de la Banque mondiale n’en nourrit pas moins des suspicions devenues récurrentes.

            «Doing Business a tous les ingrédients pour être à la fois important et controversé, ce qu’il n’a manqué pas d’être», avait admis Kaushik Basu, ancien chef économiste de la Banque mondiale qui reconnaît avoir critiqué le rapport lorsqu’il conseillait le gouvernement indien.

Avant sa démission en janvier 2015, un autre économiste en chef de la Banque mondiale, l’Américain Paul Romer avait mis l’organisation dans l’embarras en s’interrogeant notamment sur l’intégrité du rapport. Pour l’éminent économiste, des biais méthodologiques et les modèles adoptés affectaient les performances de certains Etats.

Sur un tout autre terrain, le rapport a été attaqué par des organisations de la Société civile qui l’accusent de pousser les pays africains à alléger la réglementation afin de favoriser l’implantation des multinationales.

Ce piège dénoncé par la Société civile n’émoussait pas l’ardeur de nombreux pays à figurer en bonne place dans ce rapport scruté par les agences de notation.

A titre d’illustration, le rapport de 2014 avait suscité la colère du président Macky Sall, insatisfait de la place du Sénégal dans le classement. « Ce qui a été noté dans ce rapport est aux antipodes des ambitions du Sénégal et de ce qui s’y passe », avait fulminé le dirigeant sénégalais.

Cette situation a connu une évolution surprenante depuis. Très mal classés autrefois, les pays africains comprenaient peu à peu la recette pour grimper dans le Doing Business. Certains Etats comme le Togo, le Nigeria, la RDC et la Côte d’Ivoire avaient mis en place des cellules spéciales pour bâtir des stratégies et adapter la législation en matière de climat des affaires, dans le but de satisfaire aux critères du Doing Business. Preuve de l’efficacité de ces formules, le Togo et le Nigeria ont été classés parmi les 10 pays les plus réformateurs au monde dans le rapport de 2020.

Pour rappel, le rapport Doing Business de la Banque mondiale, publié pour la première fois en 2003, mesurait la réglementation des affaires dans 190 pays et dans certaines villes du monde.

Econews