Au Gabon, en Angola, au Congo Brazzaville et en République Démocratique du Congo (RDC), la visite d’Emmanuel Macron, qui s’est achevée le 5 mars à Kinshasa, laisse une impression mi-figue mi-raisin au sein des cercles business d’Afrique Centrale. Tour d’horizon.
La République Démocratique du Congo (RDC) était le dernier arrêt de la tournée d’Emmanuel Macron en Afrique Centrale, achevée dimanche 5 mars. Si les sujets politiques dont la guerre à l’Est de la RDC ont retenu l’attention de l’opinion, la visite du président français a été marquée par la tenue du Forum économique de Kinshasa axée autour de trois secteurs : les infrastructures, les mines et le numérique, avec en toile de fond le défi écologique. Cette rencontre business a rassemblé des acteurs économiques des deux pays, mais aussi de l’Union européenne (UE).
Au total, 50 entreprises françaises et 50 européennes constituaient la délégation du chef d’Etat français. «Lorsqu’on se déploie, lorsqu’on va travailler avec les grands pays africains, il faut qu’on essaie de jouer groupés, c’est-à-dire européen», a justifié Emmanuel Macron, détaillant sa volonté de défendre les intérêts de son pays et de construire «un partenariat gagnant-gagnant » avec la RDC.
La RDC, consciente de ce qu’elle vaut
Plus grand pays francophone au monde avec plus de 108 millions de locuteurs, le RDC est un « berceau » de ressources naturelles : premier producteur mondial de Cobalt avec près de 70% de la production et plus 50% des réserves mondiales ; troisième producteur mondial de cuivre avec des gisements importants de manganèse, de chrome ou de lithium dont il est l’un des principaux producteurs sur la planète… Des ressources précieuses pour faire face à l’avenir écologique mondial, sans parler des vastes réserves forestières. Une richesse dont le gouvernement congolais a conscience.
«La transition mondiale vers les énergies vertes et la décarbonisation qui a stimulé la demande en véhicules électriques ne sauraient se faire sans les métaux dits stratégiques pour la RDC et critiques pour le reste du monde», a déclaré le président Félix Tshisekedi. «Notre positionnement actuel d’exportateur de minerais bruts nous place au bas de la chaîne de valeur mondiale d’un marché qui atteindra 8.000 milliards de dollars d’ici 2025 et pour lequel nous ne captons que 3%. Notre ambition est donc claire. Il s’agit pour nous de promouvoir la transformation locale des ressources naturelles et de placer la RDC au cœur d’une chaîne de valeur verte régionale de production de véhicules électriques », a-t-il exposé sous les ovations des Congolais.
Le forum était assorti de plusieurs tête-à-tête qui devraient potentiellement déboucher sur la concrétisation d’un partenariat dans les prochains mois, selon les vœux de Bruxelles. « L’Union européenne ne vient pas ici extraire les minéraux pour ensuite tout ramener chez nous pour les raffiner. Nous sommes là pour nous aider à bâtir ensemble l’infrastructure nécessaire : les usines de raffinage, les infrastructures routières, les infrastructures énergétiques… Je sais qu’il y a beaucoup d’opportunités en RDC et dans la région limitrophe. Nous avons donc cette feuille de route pour que la chaine de valeur sur laquelle nous allons travailler nous permette aussi d’obtenir ce qui est important nous : la résilience, la sécurité d’approvisionnement …», a déclaré Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur.
Sans la guerre à l’Est, la venue de Macron aurait été «bien perçue»
Dans les milieux d’affaires à Kinshasa, la visite d’Emmanuel Macron est regardée avec beaucoup de curiosité en ce qui concerne ses débouchées, d’autant que le président français vient d’annoncer une nouvelle stratégie économique en Afrique. « C’était de grandes déclarations d’intention par rapport aux trois thématiques retenues pendant le forum. Mais ce qu’on sait ici en tant qu’opérateurs économiques, c’est que les entreprises françaises ne sont pas très présentes en RDC, parce que ce n’est pas leur terrain naturel d’expansion. Il y a quelques groupes qui y sont de manière sporadique comme TotalEnergies ou Ex-Bolloré. La seule possibilité de passer à la phase de conception et d’exécution des propositions de Macron au point de vue économique est le relais à travers les entreprises », estime dans un entretien avec La Tribune Afrique Michel Losembe, consultant spécialisé en Financial Advisory, ancien président de l’Association congolaise des banques et Vice-président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC).
Pour lui, sans la guerre à l’Est de la RDC, le voyage d’Emmanuel Macron aurait été « bien perçu, tout comme les précédentes visites de présidents français», ce pays d’Afrique Centrale n’ayant pas de passé colonial avec l’Hexagone. «L’agenda de Macron était essentiellement politique, entre le repositionnement de la France suite à son recul en Afrique de l’Ouest, la volonté de rendre la balle à la diplomatie russe qui se renforce sur le continent et passer le message aux entreprises face à la stratégie économique de la Chine. Le président français a habillé tout cela avec un programme économique, d’où le forum de Kinshasa. Je crois que dans le contexte actuel, la RDC a une carte tactique à jouer pour tirer avantage économiquement parlant. Toutefois, la nouvelle politique économique de Paris prend plus de sens en zone CFA ».
Le ratio qualité/prix en question dans les pays Franc CFA
En zone CFA, Emmanuel Macron y était quelques heures avant son arrivée en RDC. En visite éclair au Congo Brazzaville, il a rencontré son homologue Denis Sassou Nguesso. Ici, les sujets de prédilection ont tourné autour de la culture, des forêts et de l’agriculture. Dans cette économie encore dominée par l’exploitation pétrolière, Paris veut également se positionner sur l’agenda de la diversification économique, avec un accent sur la coopération entre PME et le TPE françaises et congolaises. Une trajectoire « intéressante », selon les hommes d’affaires qui cependant posent un bémol.
«Il faut qu’on change les éléments de langage. Tout le temps on dit que telle entreprise a investi en Afrique, au Congo en particulier, mais personne ne dit combien ces entreprises ont gagné dans nos pays. J’aime bien qu’on ait les deux chiffres qui vont montrer que l’Afrique est attractive et intéressante en termes de profit», déclare dans un entretien avec LTA Paul Obambi, PDG de Sapro Group et président de la Chambre de commerce, d’industrie; d’agriculture et des métiers du Congo (CCIAM). Pour cet acteur économique congolais de premier plan, le complexe lié au passé colonial est révolu : «Le temps est passé, l’environnement des affaires a évolué, précédé par l’évolution de l’environnement politique, nous ne sommes plus en France-Afrique, il y a eu de gros progrès. Macron l’a dit. Il faudrait aujourd’hui que nous puissions parler de partenariat ».
D’après ce patron, Paris devrait faire attention à ce qu’il pose sur la table des négociations. «Aujourd’hui, poursuit-il, nous sommes suffisamment lucides. Le Congo Brazzaville n’a pas que des ressources pétrolières, mais beaucoup d’autres y compris des ressources écologiques.
Nous devons en faire un bon usage. Nous avons désormais un marché ouvert. Le Congo doit choisir les partenaires qui lui font les meilleures offres. Si celles-ci sont américaines, françaises, russes, chinoises…, nous choisirons dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant». Et d’ajouter : «La meilleure offre pour un chef d’entreprise que je suis, c’est le meilleur prix à la meilleure qualité, le ratio qualité/prix, sans avoir des idées péjoratives envers les Chinois ou envers les Français parce que la France n’est pas aimée, etc. Il s’agit là d’un problème politicien».
«Nous ne les avons pas attendus pour faire les affaires»
C’est également en zone CFA en Afrique Centrale qu’Emmanuel Macron a démarré sa visite le 1er mars. Le président français était au Gabon où il participait au «One Forest Summit», aux côtés notamment de son homologue gabonais Ali Bongo Ondimba. «Le discours du président Macron arrive un peu tardivement à mon avis, parce que ce n’est pas avec un discours qu’on va changer quoi que ce soit. Je crois que c’est le médecin après la mort », caricature une source au sein du patronat qui requiert l’anonymat. Ce chef d’entreprise attend de voir comment le business français orientera dorénavant ses relations avec les acteurs économiques gabonais. «Nous sommes d’une génération totalement décomplexée devant le Français, nous avons fait les mêmes écoles, sinon parfois mieux, nous avons une autre vision. Nous ne les avons pas attendus pour faire les affaires. Nous sommes dans une fin de cycle naturelle. Macron essaie de se rattraper par rapport au Sommet France-Afrique qu’il a raté, mais rien n’est joué d’avance et je pense qu’il l’a compris ».
Si un sentiment anti-français est de plus en plus perçu au sein des sociétés civiles africaines, est-il vraiment manifeste en matière de business? «Je dirais qu’en affaires, il y a parfois un manque de satisfaction. Avant d’arriver au Gabon, Macron a évoqué la mauvaise qualité du travail de certaines entreprises françaises en Afrique…
Cela est vrai.