Laurence Ndong : «Les Gabonais n’en pouvaient plus des Bongo »

Alors que les militaires ont déposé le pouvoir en place, Laurence Ndong, présidente de « Debout Peuple Libre », analyse les événements en cours au Gabon. Entretien.
Les Gabonais se sont réveillés, mercredi 30 août, avec deux annonces qui ont fait basculer leur pays. La première est intervenue tardivement dans la nuit du mardi, quand Ali Bongo a été déclaré vainqueur de la présidentielle du 26 août avec 64,27 % des voix, son principal rival Albert Ondo Ossa, recueillant 30,77 % des voix. La deuxième est presque immédiatement tombée, quand un groupe d’une douzaine de militaires est apparu sur les écrans de la chaîne de télévision Gabon 24, abritée au sein même de la présidence pour annoncer avoir mis « fin au régime en place » et placé en «résidence surveillée » le président Ali Bongo Ondimba, 14 ans au pouvoir. Laurence Ndong est enseignante-chercheuse, et présidente de « Debout Peuple Libre ». Après avoir été au cœur du système Bongo-PDG, (le Parti démocratique gabonais), elle milite depuis pour que son pays retrouve sa crédibilité. Elle s’est confiée au Point Afrique sur les événements en cours.
L’armée gabonaise a fait irruption, ce mercedi 30 août, dans le jeu politique et annonce prendre le pouvoir, êtes-vous surprise ?
C’est un véritable soulagement de savoir qu’un coup d’État électoral a été évité au Gabon. Parce qu’en réalité les Gabonais s’apprêtaient à descendre dans la rue, et c’est la même armée qui leur aurait tiré dessus comme en 2009 et 2016, sauf que des militaires ont décidé de mettre fin au règne des « Bongo ».
Ali Bongo n’a jamais été élu, le pouvoir en place vole les élections, il inverse les résultats, le vainqueur est déclaré perdant et vice versa, et quand le peuple descend dans la rue, il est simplement canardé.
Cela étant dit, ce n’est pas la meilleure manière d’arriver au pouvoir, ce n’est pas l’alternance démocratique dont nous rêvions. Le régime est déposé mais pas de la façon dont on aurait voulu parce qu’on s’est battus pour que cela arrive par la voix des urnes. Mais qu’à cela ne tienne, le coup d’État qui est arrivé aujourd’hui au Gabon est considéré par les Gabonais comme un acte de salubrité publique parce que depuis 2016, le pays était bloqué, rien ne se faisait, la situation était devenue insoutenable pour les Gabonais et pour l’Afrique. L’armée est donc intervenue comme un arbitre pour mettre un terme à une situation chaotique.
Selon vous, pourquoi maintenant ?
Un troisième hold-up électoral aurait été insupportable et inacceptable pour la population, parce que les Gabonais se sont énormément battus pour faire tomber le régime Bongo-PDG. La mobilisation était très forte ces derniers jours pendant la campagne électorale et le vol de cette élection présidentielle aurait été vraiment difficile à digérer. On était au bord de la guerre civile.
Peut-on à la fois être démocrate et se satisfaire d’un coup d’État ?
Selon moi, la démocratie, c’est le respect de la souveraineté du peuple, le respect des droits fondamentaux, parmi lesquels le droit de choisir et d’élire librement ces dirigeants.
La démocratie est où au Gabon depuis que les Bongo sont au pouvoir et depuis qu’on vote ? Une démocratie, ce n’est pas seulement le fait d’organiser des élections. Le Gabon n’a jamais été une démocratie. Les Bongo organisent des coups d’État constitutionnels, des coups d’État institutionnels, des coups d’État électoraux depuis près de 30 ans au Gabon au vu et au su de tous, et tout le monde se tait. Lorsque l’on condamne les coups d’État, on doit condamner tous les coups d’État y compris les coups d’État institutionnels.
Or c’est le laxisme envers les coups d’État constitutionnels et institutionnels qui fait qu’aujourd’hui les Gabonais doivent leur salut à un coup d’État militaire.
Condamner simplement ce coup d’État, ce serait faire de la démagogie parce que ce que le peuple veut, c’est la libération et peu importe d’où qu’elle vienne. Aujourd’hui, je l’affirme, le Gabon a évité un bain de sang grâce à ces militaires.

Des militaires qui prennent le pouvoir, cela ne veut pas dire la fin des problèmes pour les Gabonais, êtes-vous confiante ?
Aujourd’hui, la question de la confiance ne se pose pas, c’est le temps du constat. Nous avons vu apparaître à la télévision un groupe de militaires de différents corps d’armée qui ont pris la décision de mener un putsch contre la gouvernance chaotique du pays, ce contre quoi nous nous élevons. Ils ont dit s’élever contre les élections tronquées, ce contre quoi nous nous élevons. Et ensuite, ils disent qu’ils vont restaurer les institutions, c’est ce qu’on attend !
Parce que les institutions au Gabon n’existent pas. Nous avons une Cour constitutionnelle qui a été constituée par la famille Bongo, dirigée par la même femme depuis 33 ans, et elle a, à chaque fois, tranché toutes les élections en faveur d’Omar Bongo puis de son fils, Ali Bongo. À force, les Gabonais l’ont surnommée la tour de Pise.
Les observateurs de l’Union européenne ont rédigé un rapport d’observation des élections 2016 qui affirme qu’elles étaient entachées de fraudes, ils écrivent qu’Ali Bongo n’a pas gagné les élections. Pourtant, personne n’a condamné ce coup d’État constitutionnel.
Les Gabonais n’en pouvaient plus des Bongo. 56 ans du pouvoir Bongo, c’en était trop.
Les militaires disent qu’ils nous en débarrassent, nous sommes contents que les Bongo soient tombés et nous attendons d’eux qu’ils aillent jusqu’au bout de leur démarche, c’est-à-dire qu’ils restituent au peuple sa dignité et sa souveraineté.
Ce putsch n’est pas sans rappeler celui de 2019, qui a avorté… Qu’en est-il aujourd’hui ?
La différence avec 2019, c’est que nous avons affaire à des officiers supérieurs. Je vous rappelle que parmi les militaires qui se sont présentés à la télévision, il y a le numéro 2 de la garde républicaine, on avait le chef du service de renseignement de la présidence, des officiers supérieurs de la gendarmerie, de l’armée de terre etc. Donc, c’est un autre niveau.
Quels sont les éléments concrets et objectifs qui ont mené le pays dans cette situation ?
La crise de 2016 n’est jamais passée, les Gabonais n’ont pas digéré le hold-up électoral de 2016. En 2018, nous étions encore très très nombreux sur le terrain à réclamer qu’Ali Bongo s’en aille, il a eu son AVC, il disparaît, il revient, on ne sait pas qui gère le Gabon. On ne sait pas qui prend les décisions.
Les conditions de vie des Gabonais se sont considérablement dégradées, on a assisté à un phénomène qu’on n’avait jamais vu auparavant. Les ressortissants étrangers qui viennent spolier les Gabonais de leurs terres ancestrales parce que celles-ci ont été vendues par le régime, sans oublier les conditions de la dernière élection qui s’est tenue à huis clos, sans observateurs étrangers, sans journalistes étrangers. La veille de l’élection, on instaure un couvre-feu, on ferme les frontières, le jour de l’élection on coupe Internet, à un moment donné, il ne faut pas abuser, quelle est la transparence qu’on veut établir en mettant le pays de sous cloche ! Tout cela a exaspéré. Sans oublier la crise du Covid-19 qui a fait énormément de mal aux populations.
Qu’attendez-vous de la communauté internationale, très alarmée par les événements et inquiète d’une épidémie de putschs en Afrique ?
Nous attendons de la communauté internationale qu’elle suive le peuple gabonais parce qu’elle ne l’a jamais suivi. Le peuple gabonais a rejeté Bongo depuis 1993 où avons eu les premières élections multipartites. Le peuple gabonais a toujours massivement voté contre les Bongo. Les Bongo ne sont restés au pouvoir que par la force des armes et par des élections truquées et la communauté internationale s’est tue.
Les Gabonais vont tracer leur propre voie et une transition va peut-être se mettre en place, en tout cas, observons ce qui va se passer. Le Gabon aux Gabonais. Nous n’avons pas pu obtenir l’alternance démocratique parce que les Bongo ont noyauté et confisqué toutes les institutions, ils les ont instrumentalisées pour se maintenir à vie au pouvoir. Désormais, il y a une autre voie qui s’ouvre, nous allons l’explorer en espérant que le pays deviendra enfin un véritable État de droit.
Avec Le Point Afrique