Le procureur et le prix Nobel

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) vient de séjourner à Bukavu. Dans le chef-lieu de la province du Sud-Kivu par où il a débuté sa première visite en RD Congo, le Britannique Karim Khan a, bien entendu, rencontré le docteur et prix Nobel de la paix Denis Mukwege.
Le haut magistrat international est venu apporter son appui à l’initiative de «l’homme qui répare les femmes» dans sa lutte de longue date en vue de la création d’un tribunal international destiné à juger les crimes commis dans l’Est du Congo depuis 1994 dans le cadre d’une justice transitionnelle.
Dans l’entendement du docteur Mukwege et ses nombreux soutiens à travers le monde, les crimes commis tant par les forces nationales, publiques ou rebelles que par les incursions répétées de l’armée rwandaise sous prétexte d’un droit de poursuite aux «génocidaires» doivent faire l’objet d’une attention particulière. Se basant sur le fameux Rapport Mapping de l’ONU qui établit clairement le rôle du Rwanda dans le massacre d’environ 200 mille réfugiés hutus des camps de Mugunga près de Goma, pourchassés dans les forêts congolaises jusqu’à Tingi-Tingi et par-delà à Wendji-Secli (Equateur), exterminés au vu et au su des puissances anglo-saxonnes complices.
Il n’est pas excessif de constater que dans cette lutte, le médecin de l’hôpital de Panzi est bien seul. Les gouvernements qui se sont succédé à Kinshasa n’ont jamais montré un quelconque empressement à soutenir un projet qui eût mis à mal bien d’animateurs politiques dont les responsabilités bien établies sont mises sous le boisseau sous le faux et hypocrite prétexte de la réconciliation nationale.
Officiellement, Karim Khan n’est pas venu enquêter sur d’éventuels crimes de génocide ou crimes contre l’humanité. Mais qui sait ? Il est toujours bon de tâter le terrain dans un pays où l’approche des échéances électorales pose déjà les jalons d’inévitables violences. Le procureur Karim Khan n’est pas venu en néophyte. En bon successeur de la Gambienne Fatou Bensouda, il sait à quoi s’en tenir sur le pays et ses dirigeants.
La visite d’un procureur de la Cour pénale internationale dans les pays instables au Sud du Sahara n’est généralement pas bon signe. Outre qu’elle a le don de donner des sueurs froides, des palpitations cardiaques et des insomnies aux dirigeants qui ont toujours des crimes (qu’ils croient cachés) à se reprocher, elle sonne comme un avertissement. Seuls ceux qui ont les yeux pour voir peuvent décrypter le message caché.

Econews