Le Royaume-Uni signe un accord avec Kigali pour envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda

Le Rwanda a signé un accord controversé avec Londres pour accueillir sur son sol des migrants et demandeurs d’asile de diverses nationalités acheminés du Royaume-Uni, a annoncé jeudi Kigali à l’occasion d’une visite de la ministre anglaise de l’Intérieur, Priti Patel.
Des demandeurs d’asile arrivant illégalement au Royaume-Uni via la Manche vont être envoyés au Rwanda, selon un accord controversé annoncé jeudi par Londres et Kigali. Le gouvernement de Boris Johnson espère ainsi dissuader les traversées illégales de la Manche qui ont atteint des records.
C’est un pas de plus vers une ligne dure de la politique migratoire britannique. Londres a signé un accord de 144 millions d’euros avec le Rwanda pour que Kigali accueille sur son sol des migrants de diverses nationalités arrivant du Royaume-Uni. L’annonce a été faite par le pays africain, jeudi 14 avril, à l’occasion d’une visite de la ministre anglaise de l’Intérieur, Priti Patel.
Alors que le Premier ministre Boris Johnson avait promis de contrôler l’immigration, un des sujets clés de la campagne du Brexit, le nombre de traversées illégales, très dangereuses, a triplé en 2021 et continue d’augmenter. Londres reproche régulièrement à Paris de ne pas en faire assez pour les empêcher.
«À partir d’aujourd’hui (…), toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que ceux qui sont arrivés illégalement depuis le 1er janvier pourront désormais être relocalisés au Rwanda», a annoncé le dirigeant conservateur lors d’un discours dans un aéroport du Kent (sud-est de l’Angleterre).
Le Rwanda pourra accueillir «des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir», a-t-il ajouté, affirmant que ce pays d’Afrique de l’Est est «l’un des pays les plus sûrs au monde, mondialement reconnu pour son bilan d’accueil et d’intégration des migrants».
Ce projet, susceptible donc de s’appliquer à tous les clandestins d’où qu’ils viennent (Iran, Syrie, Érythrée…), a suscité des réactions scandalisées des organisations de défense des droits humains, qui dénoncent son «inhumanité». L’opposition a jugé que le Premier ministre tentait de détourner l’attention après avoir reçu une amende pour une fête d’anniversaire en plein confinement.

Un accord à 144 millions d’euros
Désireux de regagner en popularité avant des élections locales en mai, Boris Johnson et son gouvernement cherchent depuis des mois à conclure des accords avec des pays tiers ou envoyer les migrants en attendant de traiter leur dossier.
Une telle mesure est déjà appliquée par l’Australie avec des îles éloignées du Pacifique, une politique très critiquée. Par ailleurs, le Danemark avait également envisagé d’envoyer ses demandeurs d’asile vers des pays africains.
En vertu de l’accord annoncé jeudi, Londres financera dans un premier temps le dispositif à hauteur de 120 millions de livres sterling (144 millions d’euros). Le gouvernement rwandais a précisé qu’il proposerait aux personnes accueillies la possibilité «de s’installer de manière permanente au Rwanda» si elles «le souhaitent».
«Notre compassion est peut-être infinie mais notre capacité à aider des gens ne l’est pas», a déclaré Boris Johnson. Le chef du gouvernement britannique a ajouté que «ceux qui essayent de couper la file d’attente ou abuser de notre système n’auront pas de voie automatique pour s’installer dans notre pays mais seront renvoyés de manière rapide, humaine, dans un pays tiers sûr ou leur pays d’origine».
Les migrants arrivant au Royaume-Uni ne seront plus hébergés dans des hôtels mais dans des centres d’accueil à l’image de ceux existant en Grèce, avec un premier centre «ouvrant bientôt», a annoncé Boris Johnson.

Décourager les candidats au départ
Dans le cadre de ce plan, qui vient compléter une vaste loi sur l’immigration actuellement au Parlement et déjà critiqué par l’ONU, le gouvernement confie dès jeudi le contrôle des traversées illégales de la Manche à la Marine, équipée de matériel supplémentaire. Il a renoncé en revanche à son projet de repousser les embarcations entrant dans les eaux britanniques, mesure décriée côté français.
En envoyant des demandeurs d’asile à plus de 6.000 kilomètres du Royaume-Uni, le gouvernement veut décourager les candidats au départ vers le Royaume-Uni, toujours plus nombreux : 28.500 personnes ont effectué ces périlleuses traversées en 2021, contre 8.466 en 2020… et seulement 299 en 2018, selon des chiffres du ministère de l’Intérieur.
Amnesty International a critiqué une «idée scandaleusement mal conçue» qui «fera souffrir tout en gaspillant d’énormes sommes d’argent public», soulignant aussi le «bilan lamentable en matière de droits humains» de la nation africaine.
Pour le directeur général de Refugee Action, Tim Naor Hilton, c’est une «manière lâche, barbare et inhumaine de traiter les personnes fuyant la persécution et la guerre».
Même dans les rangs conservateurs, les critiques ont fusé, le député Tobias Ellwood estimant sur la BBC qu’il s’agit d’une «énorme tentative de détourner l’attention» des déboires de Boris Johnson dans le «Partygate», ces fêtes organisées dans les cercles du pouvoir pendant les confinements.

Une fois au Rwanda, les réfugiés restent… au Rwanda
Concrètement, l’accord ne concernerait que des «jeunes hommes» arrivés par bateaux via la Manche sur le sol britannique. Ces derniers seraient envoyés par avion sur le territoire rwandais. Les migrants verraient alors leurs demandes d’asile traitées dans ce pays d’Afrique de l’Est et seraient encouragés à s’y installer. Il ne s’agirait donc plus seulement d’externaliser le traitement mais la demande en elle-même, puisque les migrants resteraient au Rwanda.
Selon le texte, en effet, le Rwanda assumerait la responsabilité de ces demandeurs d’asile, même s’ils obtiennent la protection. Pas question de les renvoyer ensuite vers Londres. Ils bénéficieraient d’un logement à long terme au Rwanda. Le gouvernement de Kigali a déclaré que les migrants auront «droit à une protection complète en vertu de la loi rwandaise, à un accès égal à l’emploi et à l’inscription aux services de santé et de protection sociale».
Ce plan est-il légal ? Selon le Haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR), cette loi contrevient à la Convention de Genève pour les réfugiés, qu’a signée le Royaume-Uni. À Londres, les travaillistes ont déclaré que le plan était «irréalisable, contraire à l’éthique et exorbitant» et inefficace.

Une politique migratoire dure depuis des années
Cela fait des années que Londres multiplie les tours de vis pour durcir ses lois migratoires. En juillet dernier, la ministre Priti Patel avait essayé de durcir les peines de prison contre les personnes qui entrent illégalement sur le sol anglais. Le parquet britannique avait finalement interdit de poursuivre les migrants arrivés par la Manche.
Elle souhaite aussi autoriser les garde-côtes à repousser hors des eaux britanniques les embarcations de migrants, ou encore durcir les conditions d’accès au regroupement familial et aux prestations sociales.
Le Royaume-Uni avait déjà pris des mesures drastiques concernant les mineurs non accompagnés, en mettant fin à l’amendement Dubs signé en mars 2016. Le texte était une sorte de «super protocole de transfert rapide et simplifié» pour les jeunes isolés qui souhaitaient venir en Angleterre.
Pour rappel, les traversées de la Manche ont explosé ces dernières années. Près de 28.500 personnes ont traversé ce bras de mer entre la France et l’Angleterre en 2021, quatre fois plus qu’en 2020, selon les chiffres du Home Office. Et depuis janvier 2022, ils sont déjà plus de 4.000 à avoir atteint les côtes britanniques.

Econews avec AFP