L’ODEP scrute les quatre ans des finances publiques sous le régime Tshisekedi, entre 2019 et 2022

Depuis 2019, la République Démocratique du Congo connaît un changement au sommet de l’Etat avec l’avènement d’un nouveau Président de la République, issu des élections tenues en décembre 2018.
Pour gérer le pays, un accord a été conclu entre le Président sortant et l’actuel Président pour une gestion commune de l’Etat. Au bout de deux ans, le Président actuel a jugé que cet accord ne lui permettait pas de mettre en application les politiques publiques conformes à sa vision de développement du pays.
Au mois de décembre 2020, le Président de la République a mis fin à cet accord. L’objectif principal était de se débarrasser des pesanteurs de l’ancien régime, d’acquérir une nouvelle majorité et ainsi avoir les mains libres pour asseoir le Plan d’Action du Gouvernent (PAG) basé essentiellement sur : la lutte contre la pauvreté ; l’amélioration du social de la population; la fin de la guerre dans l’Est du pays, la restauration de l’autorité de l’Etat; la relance de l’économie du pays; la lutte contre la corruption.
De manière générale, la Société civile, de 2014 à 2021, a relevé les faiblesses globales ci-après dans la gouvernance budgétaire : une budgétisation non exhaustive. Les délais accordés aux ministères techniques pour la présentation de leurs propositions restent toujours trop courts; des dépenses irrationnelles. Entre 2017 et 2019 par exemple, les dépenses courantes qui représentent 66,4% du budget ont été exécutées à 91% tandis que les dépenses en capital qui représentent en prévision 33,6% du budget n’ont été exécutées qu’à 9%; une budgétisation déconnectée des politiques publiques : le processus de programmation/budgétisation souffre d’un manque d’ancrage du Cadre de Dépenses à Moyen Terme (CDMT); une budgétisation déconnectée de la lutte contre la pauvreté, il revient, d’après les différentes revues des Objectifs Millénaires pour le Développement (OMD) et Objectifs de Développement Durable (ODD) retenus dans les quatre piliers de PNSD, que très peu de ces objectifs ont pu être atteints; en rapport avec le New Deal, la principale leçon tirée est celle d’une budgétisation désarticulée ne permettant pas une convergence des efforts, actions et programmes vers la résolution de la fragilité et la marche vers la résilience; le non-respect de la procédure d’encaissement et de décaissement des fonds, selon les chaînes des recettes et des dépenses; le dépassement des allocations budgétaires des institutions et ministères de souveraineté, au détriment des ministères à caractère social et économique; trop de régimes fiscaux spéciaux (exonérations, taux particuliers, exemptions, etc.) appliqués aux personnes physiques et morales; ce qui influe négativement sur le niveau de mobilisation des recettes publiques; le déficit de suivi et de contrôle par le Parlement, l’Inspection Générale des Finances et la Cour des Comptes, dans l’exécution du budget; la disparité entre les données de la Direction Générale de Reddition des Comptes (DGRC) et les états de suivi budgétaire produits et publiés par le ministre du Budget.
Et pour finir, notez que cette mauvaise gouvernance ne s’arrête pas en 2021 ou en 2022. Au 31 janvier 2023, la situation de nos finances publiques est très préoccupante, avec un déficit budgétaire de 491 milliards de francs congolais.
Une gouvernance budgétaire assise sur de telles faiblesses n’a permis ni de créer des richesses ni d’améliorer les conditions sociales de la population, et encore moins d’être susceptible de rendre effective la décentralisation, telle que prévu par la Constitution. Elle place difficilement le pays sur la voie vers l’émergence.
Ce bilan largement négatif ne peut pas être mis totalement sur le dos du premier ministre Sama Lukonde. Il est partagé avec le gouvernement bis de la Présidence de la République : un directeur de Cabinet, trois adjoints, 17 conseillers principaux à la tête de 17 collèges de conseillers, des conseillers spéciaux, des conseillers privés, tous ayant rang de ministres et assumant des tâches propres aux ministères sectoriels du Gouvernement.
Sama Lukonde a été un Premier ministre faible et affaibli, entre autres, par le gouvernement bis de Félix Tshisekedi qui fonctionne comme s’il était dans un régime présidentiel alors que notre Constitution a instauré en RDC un régime à la française semi-présidentiel. Cette pagaille, ce dysfonctionnement institutionnel n’a pas laissé le premier ministre assumer les pouvoirs que lui donne la Constitution.

Voici les conclusions des dysfonctionnements observés par l’ODEP d’une part, et les réformes proposées et non prises en compte depuis quatre années, soit de 2019 à 2022, d’autre part.
L’absence de justice sociale dans la répartition des richesses nationales, le manque de transparence et l’absence de discipline budgétaire, le manque d’équité dans la gestion des finances publiques sont les facteurs ayant caractérisé la gouvernance des finances publiques de 2019 à 2022. Le déficit de suivi et de contrôle par le Parlement, l’Inspection Générale des Finances et la Cour des Comptes, dans l’exécution du budget. Conséquences, l’atteindre des résultats de la mise en œuvre du programme d’actions du gouvernement reste faible.
De ce qui précède, nous estimons que l’exécution des budgets de janvier 2019 à décembre 2022 n’a pas été conforme aux lois des finances y afférentes. Il y a l’inadéquation entre la vision et la programmation, la budgétisation, l’exécution, le suivi-évaluation. Elle n’a permis ni de créer des richesses ni de promouvoir une croissance économique pro-pauvre ni d’améliorer les conditions sociales de la population. Par conséquent, l’ODEP propose les recommandations ci-après :

Il faut changer la vision globale en matière de politique économique
Il serait presque banal de dire que nous devons opter pour une voie de développement endogène. Cette voie exige que notre société reste elle-même, qu’elle puise ses forces dans sa culture et dans les formes de pensées et d’action qui lui sont propres, afin que notre développement devienne une réalité de transformation permanente de notre système social.
Opter pour un développement endogène, c’est faire en sorte que celui-ci réponde à des valeurs communes, à une inspiration cohérente, à des espoirs et des besoins partagés, où se reconnaît l’ensemble de la collectivité nationale, et qu’il puisse mobiliser ses volontés, ses énergies, ses imaginations rassemblées. C’est au regard de cette exigence que nous pourrons envisager le processus de modernisation et la maîtrise du savoir et du savoir-faire modernes.
Ce développement n’aura de sens que s’il renforce et fortifie la créativité sociale ; il ne pourra réussir que s’il est assumé par des populations pleinement conscientes de sa nécessité, aptes à agir et décidées à le faire. Cela veut dire qu’il faudra parier sur l’homme et ses possibilités, lui donner des raisons de vouloir aller de l’avant, de moduler les innovations technologiques, sociales, politiques, culturelles de sorte qu’elles soient à chaque étape, assumées par la population elle-même et vécue par elle comme un dépassement créateur et bénéfique.
On est bien loin des modèles qui ont inspiré notre construction économique actuelle qui a plutôt marginalisé à tout point de vue la population. Toutes les réformes à envisager dans chaque secteur doivent répondre aux exigences de cette voie de développement.
Voici en quels termes comment la Banque Mondiale des années 70 exprime sa préoccupation en faveur du développement endogène :
Lorsque les privilégiés sont peu nombreux et les désespérément pauvres la majorité et lorsque l’écart se creuse sans cesse davantage… ce n‘est qu‘une question de temps avant qu’un choix décisif ne s‘impose entre le coût politique d’une réforme et le risque politique d’une révolution. C‘est la raison pour laquelle les politiques d ‘éradication de la pauvreté dans les pays sous-développés s‘imposent, non seulement par principe, mais par prudence. La justice sociale n‘est pas principalement un impératif moral, elle est un impératif politique » (RS. Mac Namara, discours annuel à la Conférence des Gouverneurs de la B.J.R.D., 1972).
Comme quoi, la charité peut se conjuguer avec le maintien de l’ordre social imposé par les dominants. A cette époque, en pleine guerre froide, on ne peut que douter de la sincérité et du caractère non désintéressé d’un tel discours sortant de la bouche d’un grand représentant de la haute finance d’un système capitaliste mondial dominant, puissant et surdéterminant. A cette époque, ce système est le plus sûr soutien des pires dictatures maintenues au pouvoir contre les intérêts de leurs peuples. Eradiquer la pauvreté signifie à cette époque, maintenir, sauver les systèmes oppressifs au pouvoir et éviter les révolutions populaires et démocratiques.
Un tel discours, tenu aujourd’hui aurait une autre lecture, beaucoup plus sympathique.

Comment une économie autocentrée est-elle articulée ?
Dans une telle économie, il existe une relation d’équilibre de croissance entre le flux intersectoriel au niveau de la production, des échanges et de la répartition du revenu global entre le capital et le travail, c’est-û-dire la demande solvable qui va vers chaque secteur. Le surplus économique reste sur place et détermine justement la répartition du revenu global. Le salaire va vers le secteur de production de biens de consommation de masse, les profits sont épargnés ou réinvestis.
Le salaire à une fonction économique, il n’est pas qu’un coût de production, il y a une relation objective entre le salaire et le niveau de développement des forces productives.
Les relations externes économiques et/ou politiques sont soumises aux exigences de l’accumulation intérieure, Il existe une alliance des classes entre une bourgeoisie industrielle et agricole qui sont une classe dominante, dans le cadre d’un Etat national achevé et puissant.
Les structures économiques héritées de 60 années de néocolonialisme étaient différemment construites : le capitalisme y a été introduit de l’extérieur par domination politique. Il n’y a pas eu de désagrégation des rapports ruraux précapitalistes, mais leur déformation par soumission aux lois de l’accumulation du centre. Pas de révolution agraire, stagnation de la productivité agricole.
Pas d’alliance des classes dominantes internes, mais une alliance internationale entre le grand capital monopoliste et des alliés subalternes. Pas d’Etat national réellement achevé, indépendant, au service des classes locales, mais une néo-colonie. Le salaire n’est qu’un coût qui est maintenu aussi bas que les conditions économiques et politiques les permettent.

Comment construire le développement endogène?
Ayant défini au départ les objectifs d’une telle voie, nous devrons nous interroger sur les directions dans lesquelles il faudra agir sur l’ordre mondial afin de favoriser la réalisation de ces objectifs :

Ce développement est avant tout populaire, donc national, pro-pauvre;

L’industrie doit être mise au service de la productivité agricole;

Il faut abandonner la production de luxe pour le marché local et à l’exportation fondée sur la reproduction d’une force de travail bon marché (mieux servir les masses urbaines) ;

N’ayant pas réalisé une révolution agraire préalable à la révolution industrielle, nous devrons renverser la valeur, c’est-à-dire que nous devrons articuler un secteur moderne de l’industrie rénovée dans ses orientations de base, au secteur des petites industries rurales qui permettent de mobiliser directement les forces latentes de progrès;

Seule une révolution dans le secteur agricole pourra financer une industrialisation saine, dégager un surplus vivrier capable d’assurer l’indépendance nationale;

L’industrie doit être mise au service des masses urbaines et rurales pauvres et cesser d’être guidée par la logique financière qui favorise le marché local privilégié et l’exportation vers le centre;

Les emprunts éventuels à la technologie dont des modèles nouveaux devront être imaginés seront fait en fonction des besoins internes du développement populaire;

Ce développement, même s’il exige de compter d’abord sur ses propres forces, n’a rien à voir avec l’autarcie. Le pays se doit de recourir à l’importation des inputs nécessaires à l’accélération de son développement (équipement, énergie, certaines matières premières). Les échanges avec l’extérieur restent nécessaires mais doivent être qualitatif;

Il va falloir développer l’autonomie collective avec les pays du Sud en agissant dans deux directions : L’entraide mutuelle (échange des matières premières, en évitant plusieurs intermédiaires) ; Contrôle national de l’exploitation des ressources naturelles. Les exportations doivent être réduites au niveau des importations exigées par la stratégie interne du développement endogène.
Actuellement, on exporte en fonction des besoins du centre et puis on se pose la question de savoir quoi faire avec les devises.

Quelques éléments de base des politiques macro-économiques pro-pauvre : Mettre en place des politiques macroéconomiques stables.
Stabilité macroéconomique : caractéristiques et conditions. La lecture de nombreuses analyses contenues dans les rapports du PNUD sur le développement humain dans le monde, études, par pays, DSRP des nombreux pays de l’Afrique subsaharienne ont montré la diversité des causes de la pauvreté selon les pays. Il est donc évident que la situation spécifique d’un pays doit être prise en compte au moment de l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Cependant, quel que soit le pays, il est aujourd’hui admis que la stabilité macroéconomique est le fondement de la réussite des politiques de croissance économique et de développement du secteur privé.
Influence des politiques macroéconomiques sur la croissance et les pauvres. Cadre macroéconomique suscitant la confiance. En proposant un cadre macroéconomique stable pour soutenir l’ensemble de leurs politiques économiques, les autorités du pays envoient un message clair au secteur privé et aux investisseurs étrangers. L’adoption et la mise en œuvre d’un tel cadre sur une longue période accroissent d’autant la confiance des opérateurs économiques et l’impact sur la croissance économique et les variables mesurant la pauvreté.
Un environnement des affaires transparent et prévisible. L’instabilité du cadre juridique et institutionnel ainsi que l’absence de visibilité sur les politiques publiques ne contribuent pas à la sécurisation des investissements et à l’attrait des investisseurs étrangers.
Maîtrise de l’inflation. Les politiques macroéconomiques menant à une inflation modérée et stable ont des effets directs et indirects sur les conditions de vie des pauvres. En effet, les pauvres sont généralement moins à même de se protéger contre l’inflation que les groupes les plus aisés dans une société où les transactions monétaires sont importantes.
Viabilité/soutenabilité de la dette. Le surendettement constitue un obstacle pour la croissance économique et la réduction de la pauvreté quand il conduit à une réduction du niveau des investissements. Cela se produit quand les créanciers doutent de la capacité du pays (ou du gouvernement vis-à-vis des créanciers intérieurs) à rembourser les intérêts d’un nouvel emprunt.
Efficacité des politiques budgétaires et fiscales. La politique budgétaire (touchant les questions de déficit public, de composition des dépenses, de structure des recettes fiscales, etc.) joue, à travers son impact sur l’équilibre macroéconomique, un rôle majeur sur le niveau de croissance économique et sur sa répartition.
En optant pour une structure donnée des dépenses publiques et leur redéploiement (vers la santé, l’éducation, les infrastructures socioéconomiques), la politique budgétaire et fiscale peut avoir des effets redistributifs importants et favorables aux pauvres. L’objectif principal de la politique fiscale consistera à accroître les ressources de l’État, en particulier celles destinées aux programmes de réduction de la pauvreté.
Comment identifier de façon pratique, les mesures de politiques de croissance au service du développement humain? Il importe que, lors de la formulation des politiques de croissance et de réduction de la pauvreté, les dimensions du développement humain, ou certaines d’entre elles, soient considérées comme des objectifs à atteindre et que ces derniers soient formulés de façon à permettre d’évaluer les progrès réalisés. Les stratégies de lutte contre la pauvreté devraient faire intervenir des mesures de politique agissant dans les deux sens, à savoir : premièrement, aller de la croissance au développement humain, c’est-à-dire prendre les actions nécessaires pour convertir l’accroissement de la richesse en progrès en termes de développement humain. Deuxièmement, il faudrait faire en sorte que le développement humain accélère la croissance.
Si une personne en bonne santé et bien éduquée peut permettre d’accroître la productivité dans le pays, rien n’indique a priori qu’une personne bien formée trouve automatiquement un emploi.

De la croissance au développement humain
Le mécanisme de transmission des effets de la croissance économique vers le développement humain dépend de deux types de liens : l’influence des activités et des dépenses des ménages sur le développement humain, d’une part, et l’influence de l’action et des dépenses de l’État, d’autre part.
Les effets positifs de l’augmentation du revenu familial sur le développement humain. On fait l’hypothèse, à ce stade, que le gouvernement a mis en place les politiques appropriées de croissance et qu’elles ont permis d’accroître les revenus des pauvres. Avec les revenus supplémentaires découlant de la croissance, les familles peuvent acheter davantage de fournitures scolaires ou scolariser leurs enfants plus facilement. Un revenu plus élevé permet également d’améliorer la santé. Une hausse du revenu des ménages est généralement associée à une amélioration des indicateurs de la santé tels que les rapports taille-âge, les taux de survie et l’espérance de vie à la naissance, ainsi qu’à la diminution des maladies chez les enfants.
Nécessité d’accroitre les dépenses des secteurs pauvres dans les budgets de l’Etat. Le premier objectif de l’État, c’est de maximiser ses ressources en investissant dans les secteurs porteurs considérés comme des gisements de ressources, mais aussi en mettant en place les mécanismes susceptibles d’éviter les fuites fiscales dans ses secteurs. C’est le cas des secteurs miniers qui pourraient générer des revenus supplémentaires à mettre au profit du développement humain.
Par ailleurs, l’État devrait utiliser les revenus de la croissance dans les domaines favorisant les dimensions du développement humain, c’est-à-dire dans les différents domaines permettant de renforcer les capitaux des pauvres.
Par exemple, investir les revenus de la croissance dans l’éducation permet de renforcer plusieurs autres dimensions du développement humain. L’expérience a montré que l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable est, par exemple, difficilement réalisable si elle n’est pas accompagnée d’un effort d’éducation.
On sait par ailleurs que les taux de mortalité maternelle et infantile diminuent sensiblement avec des niveaux élevés d’instruction des femmes. Il est également bien connu que la productivité plus accrue des populations plus éduquées a un effet bénéfique sur la croissance économique. Ces catégories de dépenses de l’État, quand elles sont financées par les fruits de la croissance, contribuent à la création du cercle vertueux «croissance-développement humain-croissance».
Du développement humain à la croissance. Les bénéfices économiques les plus manifestes qui sont générés par le développement humain sont liés à une plus grande productivité de la population active, et particulièrement des personnes les plus pauvres dont la nutrition, la santé et l’éducation s’améliorent de ce fait. Cela ne signifie pas pour autant que les investissements dans la santé et l’éducation aient seulement pour finalité d’améliorer la productivité. De nombreux autres types d’investissements dans le développement humain ont un réel effet positif sur l’économie. La productivité peut être augmentée en améliorant les capacités, l’organisation et la gestion de la force de travail, en favorisant l’utilisation des technologies de pointe, en attirant les capitaux extérieurs et les technologies étrangères et en renforçant le rôle des institutions publiques et privées, y compris l’État et les systèmes juridique et financier.
Prof Florimond Muteba T.
Président du Conseil d’administrations de l’ODEP