Matata dans « Ce que je pense »: le monde a besoin d’un nouvel ordre politique

Le monde est à un tournant décisif de son histoire. La guerre en Ukraine est en train de remodeler la géopolitique mondiale. Avec l’émergence de nouvelles puissances, à côté du bloc occidental, le monde est plus que jamais multipolaire. Démonstration avec le sénateur Matata Ponyo Mapon dans sa chronique « Ce que je pense ».


Ce que je pense est que l’ordre politique mondial actuel est suranné. Il est dominé par les États-Unis et l’Union européenne qui font preuve de moins d’impartialité pour régler les grandes questions politiques qui opposent les nations entre elles. C’est l’unilatéralisme occidental. Auparavant, l’ordre politique mondial était fondé sur l’équilibre de forces entre deux blocs politiques et militaires : le bloc Est et le bloc Ouest. C’était l’époque de la guerre froide. Le bloc Est était composé de tous les pays de l’Union des républiques socialistes soviétiques, URSS en sigle. Créée en décembre 1922, cette dernière était dirigée par la Russie, la plus grande puissance militaire du groupe. L’idéologie politico-économique était le socialisme, doctrine d’organisation qui fait prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers, au moyen d’une organisation concertée.

L’État ou la communauté constitue un des acteurs majeurs du marché qui veille à l’équilibre socio-économique de la société. Au-delà, il y avait à travers le monde des pays qui se réclamaient proches de ce bloc, parce qu’ayant la même idéologie politique. C’était des pays socialistes ou communistes. Le Bloc Ouest était composé principalement des Etats-Unis et des pays de l’Europe de l’Ouest. Il était dirigé par les Etats-Unis, la plus grande puissance militaire de l’ensemble. L’idéologie politico-économique était et continue d’être le capitalisme, système de production dont les fondements sont l’entreprise et la liberté du marché. Au-delà, il y avait d’autres pays du monde qui se réclamaient de ce bloc, parce qu’étant de la même idéologie politique. C’était des pays capitalistes. La plupart des pays du monde appartenaient à l’un de ces blocs. Toutefois, quelques pays n’étaient ni à l’Est, ni à l’Ouest. On les appelait « pays non alignés ». Cette période d’équilibre sous tension s’est terminée avec l’effondrement de l’URSS en 1991.

Ce que je pense est qu’en l’absence d’un contre-poids politique au bloc Ouest, l’ordre politique mondial est menacé d’effondrement. Le monde est permanemment en déséquilibre en faveur des occidentaux qui dictent ce que les autres doivent ou ne pas faire. C’est la dictature « démocratique ».

Soit, vous êtes avec nous, alors vous êtes un ange. Soit, vous n’êtes pas avec nous, alors vous êtes un diable. Le Conseil de sécurité, organe des Nations Unies chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationale, n’est plus en mesure de jouer son rôle de manière efficace. Créé en 1945, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le Conseil de sécurité est composé de 15 membres dont cinq permanents, vainqueurs de cette guerre. Il s’agit des Etats-Unis d’Amérique, de la Grande Bretagne et de la France qui sont du bloc Ouest, et de la Russie et de la Chine qui sont du bloc Est. Chacun des membres permanents dispose d’un droit de veto qui lui permet de bloquer toute résolution ou décision, quelle que soit l’opinion majoritaire au Conseil. Ce système a fonctionné plus ou moins merveilleusement jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991.

À partir de cette date, certains membres permanents de l’Ouest, conscients de l’absence d’un contre-poids politique et militaire de taille, se passent parfois du Conseil de sécurité pour régler les questions cruciales de paix et de sécurité internationale en dehors des exigences établies par la Charte des Nations-Unies. Ainsi, le sort d’une nation et d’un peuple peut se décider parfois au conseil des ministres ou au parlement d’un autre pays ! On a vu les Etats-Unis d’Amérique attaquer l’Irak le 20 mars 2003 malgré l’hostilité de la France, de la Chine et de la Russie et sans l’aval du Conseil de sécurité. La raison avancée est que ce pays disposait des armes à destruction massive, ce qui n’était pas vrai. Les américains ont brandi à l’endroit du Conseil de sécurité des fausses preuves d’existence de ces armes pour justifier leur attaque.

Qui pouvait l’imaginer !

Ainsi, l’Irak a été bombardé sous l’opération « Irak Freedom », son président a été pendu, et l’avenir d’un pays et d’un peuple a été détruit. À cause de ce mensonge d’État, l’Irak est devenu aujourd’hui un non-État. Personne n’a parlé de l’injustice d’État. Personne n’a parlé du tribunal international. La France, membre permanent du Conseil de sécurité, a aussi initié une guerre contre la Libye, en dépit de l’abstention de la Russie et de la Chine. Au nom de la prétendue « préservation de la paix et la démocratie en Libye », l’attaque a eu lieu. Le pays a été détruit, et son président a été tué. Aujourd’hui, la Libye est devenue un non-État, et sa situation d’insécurité déstabilise désormais les pays voisins. L’injustice ou la barbarie n’a pas été souligné face à cela. Tout récemment encore, la Syrie a failli être victime de cette « justice occidentale » ambivalente. Attaqué de l’intérieur par une rébellion soutenue par l’Occident, le pouvoir syrien n’a survécu que grâce à l’intervention salvatrice de l’armée russe. Et pourtant, l’Occident exigeait au préalable son départ du pouvoir pour le rétablissement de la paix en Syrie. Le Président François Hollande l’a déclaré ouvertement en face du Président Russe, Vladimir Poutine à Paris. N’eut-été le contre-poids militaire russe, la Syrie ressemblerait peut-être aujourd’hui à l’Irak ou à la Libye. Alors, si à l’époque, la Russie était intervenue pour protéger l’Irak, et par la suite la Libye, ces deux pays seraient-ils aujourd’hui de non- États ? La réponse est vraisemblablement non.

Ce que je pense est que la guerre en Ukraine démontre à suffisance l’incapacité de l’ordre politique mondial actuel à réguler la paix et la sécurité internationale au profit de tous les pays membres des Nations Unies de manière équitable. Aucune puissance militaire siégeant au Conseil de sécurité n’a été en mesure d’empêcher la Russie d’envahir l’Ukraine. Et pourtant, les Etats-Unis et l’Europe ont prévenu le monde de cette attaque avec des preuves irréfutables. Bien plus, ces derniers ne sont pas capables d’imposer la fin de la guerre en Ukraine. Car, la Russie fait tout simplement ce qu’ils ont fait respectivement en Irak et en Libye. Demain, la Chine fera à Taiwan ce que fait la Russie à l’Ukraine aujourd’hui. Après-demain, la Grande-Bretagne cherchera un terrain d’expérimentation de ses armes. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité font partie du club fermé des grandes puissances militaires du monde. C’est le vrai Conseil de sécurité. Ils ne se font jamais la guerre de manière directe. Les loups, dit-on, ne se mangent pas entre eux. C’est cela la justice internationale, mieux l’injustice internationale. Les plus forts ont toujours raison, les plus faibles ont toujours tort. Il faut donc réinventer l’ordre politique mondial. Il faut donc réinventer l’ordre politique mondial. Il faut rétablir le contre-poids au pouvoir occidental qualifié d’impérialisme par certains, et d’ordre mondial unipolaire par le Président Vladimir Poutine.

Voilà pourquoi, la plupart des pays en développement, sans toutefois accepter l’injustice apparente dont est victime l’Ukraine, soutiennent dans le silence la philosophie de base de la Russie qui consiste à recréer un contre-poids politique et militaire face à l’Occident. En définitive, l’ordre politique mondial actuel est injuste et destructeur à long terme. Il mérite d’être repensé en profondeur pour l’intérêt de tout le monde, y compris des Occidentaux. Il vaut mieux prévenir que guérir. Sinon, avec la montée en puissance des économies et armées du bloc de l’Est comme la Chine et l’Inde, aux côtés d’une puissance militaire comme la Russie à la recherche des alliés, la troisième guerre mondiale risque d’être inévitable.

Kinshasa, le 17 septembre 2022

Matata Ponyo Mapon

Sénateur