Matata devant la Cour de cassation ? Nouvelle leçon de droit du prof Nyabirungu aux «juristes du dimanche»

On ne commente pas la leçon magistrale d’un « Maître ». On le laisse s’exprimer dans toute sa grandeur. Jeudi devant la presse conviée à une conférence de presse au Pullman Grand Hôtel, le professeur Nyabirungu mwene Songa, sommité dans son domaine de prédilection, le droit pénal, a administré, une fois de plus, une bonne leçon de droit aux «juristes du dimanche»; ceux-là qui ont l’habitude de s’aventurer sur le terrain de droit sans en avoir préalablement l’expertise.
Lorsque certains rêvent encore de traduire l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, devant la Cour de cassation, après avoir été déboutés par la Cour constitutionnelle dans l’affaire Bukanga-Lonzo, le prof Nyabirungu leur oppose juste les arguments de droit, au regard des prescrits de la loi. Avant de leur lancer un défi : « Qu’ils aillent où qu’ils veulent, nous serons là pour démontrer le droit, le vrai droit ».
Intégralité de son exposé magistral. Quand le « Maître » a parlé, personne ne peut broncher.

«Quand fait mal le respect du droit constitutionnel pénal par la Cour Constitutionnelle de la RDC »
L’affaire Bukanga-Lonzo, médiatisée à l’extrême, incarna un moment de lutte déclarée et engagée contre la corruption et la prédation en RDC.
Un ancien Premier ministre fut très vite considéré comme une prise de choix parmi tous ceux que l’on considère, à tort ou à raison, comme affameurs du peuple, qui, désormais, n’auraient même pas droit à être entendus, tant leur responsabilité serait patente, et leur sanction connue et, surtout, méritée : la prison.
L’acharnement de l’OMP à poursuivre le Premier ministre honoraire s’inscrivait dans ce contexte qui, du souci légitime du Peuple de voir les détourneurs et les corrompus poursuivis et punis, se transforma en la chasse aux sorcières, en accusations et en délations faciles, autant des pratiques et des raccourcis qui, naturellement, sont portés par des démagogues qui vendent le vent et l’illusion au peuple qui, pourtant et légitimement, aspire à des jours meilleurs.
Un tel contexte est largement construit sur l’irrationnel, aux dépens du droit et d’une justice sereine.
Et lorsque, par un clin d’œil de l’histoire, la justice se ressaisit comme lors de l’arrêt Bukanga-Lonzo du 15 novembre 2021, il ne faut pas être surpris que certaines rancœurs, déceptions et frustrations s’expriment à la suite d’une décision pourtant juste, mais qui leur fait d’autant plus mal que seule la condamnation, prononcée depuis longtemps en dehors du Palais de justice, était le seul verdict attendu.
C’est pourquoi, on ne peut jamais se lasser d’éclairer la lanterne de ceux que le contexte a rendu insensibles au droit et aveuglés, parfois de bonne foi, par une information à la fois abondante et nauséabonde, loin de la vérité qui, seule, mérite notre respect et notre amour. Tel est le sens et la raison d’être de la présente communication.

A. RAPPEL DE LA PROCEDURE
Le 15 novembre 2021 est une date historique dans les annales de la justice congolaise.
Ce jour-là, la plus haute juridiction du pays, à savoir la Cour Constitutionnelle, a rendu son premier arrêt en matière pénale, en application de l’article 163 de la Constitution, dont voici les termes :
«La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’Etat et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution ».
Lorsque nous disons «en application», c’est dans le sens que l’Officier du ministère public près la Cour constitutionnelle l’a prétendu. Mais, en réalité, par sa Requête en fixation d’audience, du 27 août 2021, déférant le Premier ministre honoraire Matata Ponyo Mapon devant la Cour constitutionnelle, et par son premier réquisitoire adressé aux deux présidents des Chambres du Parlement, le 28 avril 2021, il sollicitait les autorisations des poursuites judiciaires et invoquait l’article 166 de la Constitution qui dispose comme suit :
«La décision de poursuite ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité de deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur ».
Ici apparaît une injustice qui corrompt tout : cette disposition concerne les personnes clairement désignées et ne peut être détournée de son objet ni s’étendre à des personnes autres que celles qu’elle désigne. Dans ce sens, un ancien Chef de l’Etat ou un ancien Premier ministre ne peuvent être concernés en aucun cas.
Seule une tendance lourde à l’injustice peut conduire à une autre lecture du texte et à un tel comportement doleux.
Je ne sais pas si c’est suite à un mouvement de l’esprit ou de l’âme, mais le même OMP émet un deuxième réquisitoire du 12 mai 2021, adressé aux Présidents des deux Chambres du Parlement, précisant que sa demande d’autorisation des poursuites du Sénateur Matata Ponyo Mapon était adressée uniquement aux Sénateurs.
En français facile, l’OMP sait désormais qu’il ne poursuit plus un ancien Premier ministre, mais plutôt un Sénateur, non plus en application des dispositions constitutionnelles précitées, mais plutôt de l’article 75 de la loi organique n°13/010 du 19 février 2013, relative à la procédure devant la Cour de cassation.
Dès lors, une première question se pose :
La Cour de cassation est-elle compétente pour juger un ancien Premier ministre pour les infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ?
La réponse est non; et une réponse affirmative violerait frontalement l’article 164 de la Constitution.

La deuxième question est la suivante :
Puisque le Procureur général près la Cour constitutionnelle voudrait poursuivre un Sénateur, est-il sûr qu’il demeure compétent devant la Cour de cassation, même en cas d’autorisation des poursuites ?
La réponse est négative et il devrait être le dernier à ne pas le savoir, car il est l’organe de la loi et plus que tout autre citoyen, il a l’obligation de connaître la loi qui est sa seule autorité et qu’il doit respecter et faire respecter.
Un OMP qui ignorerait la loi ou qui, la connaissant, la violerait intentionnellement, commettrait une injustice grave, souvent irréparable, qui rendrait le procès pénal inefficace et discréditerait l’Etat de droit qu’est censé être le nôtre.
Enfin, et c’est la dernière question, est-elle imaginable la situation où un Sénateur, dans le cadre de la Constitution de la IIIème République, peut se trouver attrait pénalement en justice devant la Cour constitutionnelle?
C’est impossible et cette situation n’existe pas car la question a été tranchée par la Constitution qui donne au Sénateur son juge naturel, à savoir la Cour de cassation, dont toutefois il conviendra de préciser que sa compétence matérielle ne peut s’étendre aux infractions déjà prises en charge par la Cour constitutionnelle, en vertu même de la Constitution.
Et c’est ici que doit intervenir la notion même de droit constitutionnel pénal pour dire que l’on ne peut opposer le Code pénal aux incriminations et procédures prévues par la Constitution et que celle-ci a confiées exclusivement à la Cour constitutionnelle.
Plus que d’autres, cette dernière question et sa réponse font voir combien, à l’initiative de l’OMP près la Cour constitutionnelle, celle-ci s’est retrouvée dans une situation inimaginable, cocasse et juridiquement indéfendable.
Et suite aux moyens d’incompétence et d’irrecevabilité, la Cour n’avait d’autre choix que de se débarrasser de cette «patate chaude» que lui avait filée l’OMP.
Passons sous silence le troisième réquisitoire qui n’a fait qu’amplifier la confusion, car l’autorisation des poursuites n’a jamais été accordée par le Sénat et celui-ci, par sa lettre du 15 juin 2021, l’a signifié au Procureur général.
Et pourtant, bravant le droit, la loi et le Sénat, l’OMP déférait le Premier ministre honoraire devant la Cour constitutionnelle «sans aucune autre forme de procès», comme il sied si bien de le dire.
La Défense n’avait plus le choix que d’aligner ses moyens, à commencer par l’exception d’incompétence, soutenue par des textes constitutionnels et légaux.
I. Exception d’incompétence de la Cour constitutionnelle, tirée de la violation de l’article 163 de la Constitution
L’action publique engagée par l’officier du ministère public, l’a été en violation de l’article 163 de la Constitution, pourtant si clair et si explicite: «La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’Etat et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution».
Où que l’on tourne son regard, et à part l’officier du ministère public, personne ne pouvait voir ou apercevoir un Président de la République ni un Premier ministre dans la salle. On n’était qu’en présence d’un ancien Premier ministre, dont le statut pénal n’est pas prévu par la Constitution. Il en est ainsi de lui, comme de l’ancien Président de la République.
En conséquence, la Cour devait bien se déclarer, et s’est déclarée incompétente à l’égard de l’action publique engagée contre l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo.
II. Exception d’incompétence de la Cour constitutionnelle, tirée de la violation de l’article 164 de la Constitution
«La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices ».
Plus précisément, les infractions politiques qui peuvent être mises à la charge du Président de la République et du Premier ministre, à savoir la haute trahison, l’outrage au Parlement, l’atteinte à l’honneur ou à la probité, relèvent de la Cour constitutionnelle. Il en est de même des délits d’initié et pour les autres infractions de droit commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.
Et c’est parce qu’il s’agit d’un Président ou d’un Premier ministre en fonction que le Constituant, à l’article 167, al. 1er, a prévu qu’en cas de condamnation, le Président de la République et le Premier ministre sont déchus de leur charge, déchéance prononcée par la Cour constitutionnelle.
C’est encore parce qu’il s’agit du Président de la République et du Premier ministre en fonction que, d’après l’article 167, al. 1er de la Constitution, pour les infractions commises en dehors de l’exercice de leurs fonctions, mais pendant qu’ils sont en fonction, les poursuites contre eux sont suspendues jusqu’à l’expiration de leurs mandats, de même qu’est suspendue la prescription.
Concrètement, l’Officier du ministère public a voulu engager la Cour dans une impasse : en effet, en cas de condamnation, la Constitution prescrit la déchéance du Premier ministre. Comment alors la Cour allait-elle procéder pour déchoir quelqu’un qui n’a pas qualité de l’être ? En d’autres termes, l’ancien Premier Ministre Matata n’étant plus en fonction de Premier ministre, ne pouvait, en aucun cas et en aucun moment, être déchu.
C’est dire qu’à son égard, cette disposition était sans pertinence. Il ne s’agissait pas ici de s’engager dans des interprétations stériles d’un texte qui ne reflète que des évidences : la déchéance ne concerne que le Président ou le Premier ministre en fonction, car les infractions dont il s’agit ne sont que des infractions de fonction, ne peuvent être poursuivies que pendant l’exercice de cette fonction, et les sanctions prévues par la Constitution ne sont applicables qu’au Chef de l’Etat et le Premier ministre en fonction avec, comme conséquence ultime, la déchéance de la fonction.
Et c’est avec raison que la Cour constitutionnelle a constaté et déclaré son incompétence à juger l’ancien Premier Ministre Matata Ponyo, une décision contraire pouvant rendre la Cour coupable d’excès de pouvoir.

III. Un argument de texte qui confirme l’incompétence de la Cour constitutionnelle
Une autre preuve irréfutable que l’article 164, al. 1er de la Constitution concerne un Président de la République ou un Premier ministre en fonction est la loi n°18/021 du 26 juillet 2018 portant Statut des anciens Présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs de corps constitués.
En effet, l’article 1er de cette loi dispose comme suit : « La présente loi fixe le statut des anciens Présidents de la République élus. Elle détermine les règles spécifiques concernant leurs droits et devoirs, le régime de leurs responsabilités, leur statut pénal ainsi que les avantages leur reconnus. Elle détermine également les avantages et devoirs accordés aux anciens Chefs de Corps constitués ».
Bien plus, l’article 7 de la même loi concerne le statut pénal d’un ancien Président de la République : « Tout ancien Président de la République élu jouit de l’immunité des poursuites pénales pour les actes posés dans l’exercice de ses fonctions ».
Si la Constitution avait réglé les questions du statut pénal des anciens Chefs d’Etat et Premier ministre, et de la compétence de la Cour constitutionnelle à leur égard, non seulement elle l’aurait prévu expressément, mais aussi la loi du 26 juillet 2018 aurait été déclarée inconstitutionnelle.
IV. Exception d’incompétence de la Cour constitutionnelle, tirée de l’article 19 de la Constitution
L’article 19 de la Constitution, en ses alinéas 1er et 2, dispose comme suit : « Nul ne peut être soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent ».
Devant tant de preuves de l’incompétence de la Cour constitutionnelle, celle-ci a retenu que l’ancien Premier Ministre n’était pas devant le juge que la loi lui assigne.
Comment pouvait-on, à ce niveau, reconnaître à l’officier du ministère public près la Cour constitutionnelle, tant de pouvoir de nuisance, voire de destruction d’un système juridique dont notre Pays s’est doté par voie de referendum organisé en décembre 2005 ?
Pour avoir été attrait devant une juridiction qui manifestement ne pouvait le juger, la Cour retint l’exception de son incompétence pour violation d’un droit fondamental : droit à son juge naturel.
V. De la nature de l’exception d’incompétence
L’exception d’incompétence est le moyen dont le caractère d’ordre public est le plus nettement affirmé.
Les règles relatives à la compétence des juridictions répressives, qu’elle soit matérielle, territoriale ou personnelle, sont toujours d’ordre public2, c’est-à-dire qu’elles peuvent être invoquées par toutes les parties, et même d’office par le juge à tout stade de la procédure.
C’est cela que la Défense a fait dès que la parole lui avait été donnée. Rien que du droit à l’état pur.
Quant à l’exception d’irrecevabilité, elle fut soulevée par la Défense sur base des dispositions constitutionnelles et légales, mais le juge pénal ayant décidé de retenir son incompétence à l’égard des prévenus, n’examina pas ce moyen devenu superfétatoire.
Se référant à la fois à la Constitution, à la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 et au Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle, celle-ci a, dans un arrêt clair comme le jour, déclaré son incompétence à connaître des poursuites à l’égard des prévenus, les frais d’instance ayant été mis à charge du Trésor.

B. LES ACQUIS DE L’ARRÊT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE DU 15 NOVEMBRE 2021
L’arrêt sous R.P. 0001 de la Cour constitutionnelle est très riche en enseignements, car la Cour a, avec beaucoup de compétence, de pédagogie et de maîtrise, réglé de nombreuses questions qui ne semblaient pas faire l’unanimité quant à leurs solutions.
I. La Cour constitutionnelle n’est pas le juge naturel d’un ancien Premier ministre ou un Premier ministre honoraire
La Cour considère que pendant la durée de ses fonctions, et non après celle-ci, le Premier ministre ne pouvait voir sa responsabilité pénale engagée que devant elle. Le Premier ministre bénéficie d’un privilège de juridiction le mettant largement à l’abri puisque les particuliers ne peuvent saisir la Cour constitutionnelle des actes le mettant en cause (pas de citation directe à l’égard d’un Premier ministre en fonction). Ce privilège prend cependant fin avec les fonctions de Premier ministre.
II. En l’état actuel de nos textes, aucun d’entre eux, ne prévoit la procédure pénale à appliquer contre un ancien premier ministre pour des infractions politiques et pour des infractions de droit commun commises dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
Peut-être le législateur interviendra-t-il un jour, mais la loi pénale ainsi produite demeurera sans impact sur le cas d’espèce, la loi pénale ne rétroagissant pas, sauf si elle est favorable au prévenu.
L’état actuel de notre Constitution sur cette question est un choix assumé du Constituant : en effet, qui ne voit qu’une disposition pénale tendant à atteindre un Président de la République ou Premier ministre honoraire, qu’on a pas pu ou n’a pas voulu poursuivre au moment des faits et lorsqu’il était en fonction, ne se transforme vite en instrument de vengeance ou de règlement des comptes contre une personnalité n’étant plus au pouvoir, mais qui a eu le temps de se faire beaucoup d’ennemis, ayant perdu la force et la splendeur inhérentes à la fonction ?
Il n’y a donc pas nécessité à légiférer de nouveau en la matière.

III. La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre en fonction
Après avoir rappelé le libellé de l’article 164 de la Constitution, ci-haut mentionné, la Cour a fait observer que cette disposition reconnaissait au Président de la République et au Premier ministre en fonction un privilège de juridiction tout simplement parce qu’il s’agissait d’une question présentant un caractère politique trop accentué pour être abandonnée à l’examen d’une juridiction de l’ordre judiciaire. En plus, elle a renchéri que c’était pour mettre à l’abri les deux autorités ci-haut citées des poursuites qui les auraient empêchées d’exercer les pouvoirs que leur confère la Constitution.
Il s’agit d’un régime dérogatoire au droit commun, visant à protéger les fonctions du Président de la République et du Premier ministre.
Tels sont les acquis importants de l’arrêt du 15 novembre 2021.
Mais, sont-ils ainsi compris par tous ?
Nous nous en doutons quand nous voyons, dans des réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, des informations faisant état des actes d’instruction et de poursuites, posés ou en cours, en vue de faire fixer l’affaire Bukanga-Lonzo à la Cour de cassation.
Dans un Etat de droit voulu par notre peuple par referendum, comment celle-ci compte-t-elle s’y prendre dans une affaire où la Cour constitutionnelle, pour les mêmes faits, s’est déclarée incompétente ?
Bien plus, il faudra résoudre les questions suivantes :
1) La levée des immunités réclamée par le Procureur général près la Cour constitutionnelle, dans l’affaire Bukanga-Lonzo, contre le Sénateur Matata n’a jamais été autorisée par le Sénat, ni par sa plénière, ni par son Bureau, une lettre du Président du Sénat en faisant foi;
2) Le Sénat n’a pas de compétence matérielle à juger les infractions politiques, encore moins les infractions politiques commises par un Président de la République ou un Premier ministre, cette compétence étant uniquement et exclusivement réservée à la Cour constitutionnelle;
3) La Cour constitutionnelle s’étant déclarée incompétente pour les mêmes faits, le fait pour la Cour de cassation de chercher à statuer sur le fond est une violation de l’article 168 de la Constitution qui dispose que : « Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers. Tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit ».
4) Le Procureur général près la Cour de cassation a ou aurait tenu le Président de la République informé pour avis sur l’incompétence de la Cour de cassation à l’égard d’une affaire pour laquelle il existe un arrêt d’incompétence.
Outre l’aspect étrange de demande d’avis au Président par le Procureur général dans une affaire politico-judiciaire, ce qui porterait manifestement atteinte au principe de l’indépendance du magistrat qui n’est soumis qu’à l’autorité de la loi, la contradiction serait flagrante et choquante entre, d’une part, le point de vue du Procureur général près la Cour de cassation qui aurait décidé de ne pas instruire, et, d’autre part, la transmission éventuelle du même dossier à la Cour de cassation pour fixation d’audience.
Ce ne serait ni plus ni moins que la crédibilité et la capacité de notre système judiciaire à rendre justice qui seraient en jeu.
C. POURQUOI TANT DE REMOUS ET TANT DE RAN-CŒURS ?
Lorsqu’on se réfère aux micro-baladeurs, aux réseaux sociaux ou aux médias traditionnels, on est frappé par ce qu’on entend.
Voici un extrait très illustratif : «L’opinion judiciaire aurait souhaité que la cour constitutionnelle, saisie des faits de détournement des deniers publics à charge du premier ministre Matata et ses consorts, abordât pleinement, richement et sans tabou les faits de la cause soumis à son examen, en rencontrant évidemment tous les moyens et arguments de droit soulevés par les parties en cause tant dans leur forme que dans leur fond. Il se trouve malheureusement que l’usage abusif, dirait l’Accusation (le ministère public), ou raisonnable et légitime, rétorquerait la Défense (le prévenu), des prescriptions procédurales l’a emporté sur le traitement du fond dudit litige. A l’audience à laquelle les faits devraient être exposés par le ministère public, la défense a soulevé l’exception d’incompétence de la cour constitutionnelle, au motif de la violation des articles 163 et 164 de la constitution du 18 février 2006. C’est uniquement à cette exception que la cour constitutionnelle a répondu dans son arrêt sous examen, sans besoin pour cette juridiction de joindre ladite exception au fond.
La défense avait-elle voulu éviter esquiver un débat sur le fond qu’elle redoutait déjà au point de ne s’intéresser qu’à un triomphe formel qu’elle a pu obtenir in fine grâce et à l’occasion de cet arrêt ? Cette stratégie judiciaire, que la Défense a par ailleurs assumée et qui consiste à faire prévaloir le jeu du procès pénal au détriment de l’enjeu de celui-ci, est-elle productive à tout moment ? Peut-elle vraiment permettre au prévenu d’échapper définitivement à toute poursuite, tout en laissant traîner sur les carreaux des infractions et des délinquants sans leur juge naturel au point de consacrer l’impunité de ces derniers ? »
Cette prise de position est d’autant plus étrange qu’elle émane d’un éminent professionnel du Droit.
Comment faire face à tant de remous, à tant de rancœurs et, finalement à tant de dénonciations calomnieuses et imputations si dommageables à notre Honorable client ?
Ce n’est certainement pas en polémiquant avec les auteurs de telles malveillances. Nous considérons plutôt qu’il est toujours temps de rappeler, sans se lasser, les fondamentaux d’un procès pénal dont aucun ne peut connaître une issue socialement acceptable si l’un d’eux venait à manquer.
Il s’agit des fondamentaux suivants :

  • L’Etat de droit ;
  • La justice ;
  • La légalité ;
  • Le procès équitable.

I. L’Etat de droit
L’Etat de droit, prévu mais non défini par la Constitution, est l’autre nom de la bonne gouvernance, et implique que l’Etat est soumis au droit, un Etat au sein duquel les citoyens sont protégés de l’arbitraire par la sécurité juridique. La limitation de la puissance publique récuse l’Etat despote ou de police.
Soumis au droit, l’Etat de droit respecte la Constitution, qui définit l’étendue et les limites du pouvoir de chaque institution politique, proclame et protège les droits de l’homme et les devoirs du citoyen et sanctionne, par ses juridictions, les atteintes les plus graves à l’ordre public ainsi établi.
Il ressort de la Constitution que l’Etat de droit est un des objectifs fondamentaux pour lequel la RDC et ses institutions doivent orienter leurs activités.
Bien plus, l’Etat de droit fait partie de la définition constitutionnelle de la RDC : la RDC est un Etat de droit ou n’est pas. Ceux qui dirigent ou animent ses institutions le savent et doivent chaque jour, à moyen et à long terme, travailler et orienter leurs efforts à cette fin.
Même si l’avènement d’un Etat de droit est une affaire de tous, doivent être en première ligne les Institutions de la République expressément énumérées à l’article 68 de la Constitution, à savoir :

  1. le Président de la République ;
  2. le Parlement ;
  3. le Gouvernement ;
  4. les Cours et Tribunaux.
    Doivent encore être en première ligne, les animateurs de ces institutions. Président de la République, Président d’une Chambre du Parlement, Premier ministre, Chefs des juridictions et d’offices. Ils doivent non seulement être, mais aussi paraître comme des modèles à suivre dans l’édification et la consolidation de l’Etat de droit. Ils ne peuvent pas se poser en obstacles à l’avènement d’un Etat de droit. Ils ne peuvent pas, par leurs opinions, exprimer leur réserve et encore moins leur opposition à ce que la Constitution a élevé au rang de valeurs et droits fondamentaux de la personne humaine : la vie, la liberté d’aller et venir, la santé, l’éducation, la justice, le travail et la paix.
    Doivent être encore en première ligne pour l’avènement et la consolidation de l’Etat de droit, les professionnels du droit : professeurs, magistrats, avocats, conseillers juridiques, juristes à la recherche de l’emploi.
    Lorsqu’on est un professionnel du droit, on est supposé avoir l’Etat de droit dans son ADN. On ne peut donc reprocher à un juge de n’avoir pas joint l’exception d’incompétence au fond, ni reprocher à la défense d’avoir commencé par les exceptions de procédure. C’est le devoir de la défense de soulever, dès la première audience, in limine litis, ce genre d’exceptions. Lui en faire grief, c’est du non-droit, c’est la négation de l’Etat de droit. Dans un procès, qu’il soit pénal ou civil, c’est la procédure qui est la porte d’entrée pour mener au fond d’une affaire.
    Et tous ceux qui sont en première ligne pour l’avènement et la consolidation de l’Etat de droit savent et doivent faire savoir que « les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers ». (Article 168 de la Constitution).

II. La justice
D’après John RAWLS, le sens le plus précis de la justice et dont dérivent les formulations les mieux connues, revient à ARISTOTE : «La justice, c’est le refus de toute pleonexia, c’est-à-dire de l’acquisition d’avantages pour soi-même en s’emparant de ce qui appartient à quelqu’un d’autre, propriété, récompense, emploi, etc., ou en refusant à une personne de lui rendre ce qui lui est dû, de tenir promesse, de rembourser une dette, de montrer le respect qui lui est dû, etc. (Aristote, Ethique à Nicomaque, 1129b-1130b5, cité par J. RAWLS, p. 37). Les personnes sont considérées comme justes dans la mesure où elles possèdent, comme un des éléments permanents de leur caractère, un désir constant et efficace d’agir justement ».
La justice, comme la vérité, est un des déterminants des comportements humains et du fonctionnement des institutions politiques, économiques et sociales de base dans une société démocratique.
«La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée. Si élégante et économique que soit une théorie, elle doit être rejetée ou révisée si elle n’est pas vraie; de même, si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes. … les droits garantis par la justice ne sont pas sujets à un marchandage politique ni aux calculs des intérêts sociaux. La seule chose qui nous permettrait de donner notre accord à une théorie erronée serait l’absence d’une théorie meilleure ; de même, une injustice n’est tolérable que si elle est nécessaire pour éviter une plus grande injustice. Etant les vertus premières du comportement humain, la vérité et la justice ne souffrent d’aucun compromis ».
Cette conception de la justice devient encore plus exigible lorsqu’il s’agit de l’appliquer à l’institution qui est chargée de dire le droit et de rendre la justice en cas de conflit opposant l’Etat et les citoyens ou les citoyens entre eux, à savoir : le pouvoir judiciaire.

III. La légalité
Le principe de la légalité criminelle est sans doute le principe le plus important du procès pénal, car il est la « règle cardinale, la clé de voûte du droit criminel » : seuls peuvent faire l’objet d’une condamnation pénale les faits déjà définis et sanctionnés par le législateur au moment où l’accusé a commis son acte, et seules peuvent leur être appliquées les peines édictées à ce moment déjà par le législateur. «Nullum crimen, nulla poena sine lege ».
La doctrine relève toutefois que le principe légaliste ne se limite pas au droit pénal de fond, mais concerne aussi la procédure.
S’agissant de la légalité de la procédure, le prescrit de l’article 17, alinéa 2 de la Constitution de la Troisième République est exemplaire : « Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit ».
En conséquence, la formule ci-dessus reprise est insuffisante, et devrait être complétée pour donner ce qui suit : « Nullum crimen, nulla poena, nullum judicium sine lege ». Ceci permet de synthétiser le principe en trois propositions :

  1. Nul ne peut être poursuivi que pour des actes ou des omissions prévues par la loi (légalité des infractions) ;
  2. Nul ne peut être puni des peines qui ne sont pas prévues par la loi (légalité des peines) ;
  3. Nul ne peut être poursuivi que dans la forme prescrite par la loi (légalité de la procédure).
    Aujourd’hui, le principe de légalité « organise l’ensemble des législations pénales du monde et constitue donc l’une des rares règles juridiques universelles ».
    Il ne convient pas que le juge soit seul à décider de la punissabilité des faits. Il en serait ainsi si la sagesse et l’intelligence étaient équitablement réparties. Or, ces vertus ne sont pas faciles à trouver « à l’intérieur des cités humaines ». L’exhortation du professeur VILLEY, parlant de la justice de son pays, est sans doute aussi valable ailleurs, et peut-être aussi chez nous : « Faites une enquête sur la culture et le quotient intellectuel de la moyenne de nos magistrats, vous conviendrez qu’il fut nécessaire de les guider ».
    Les incriminations sont établies par la loi. Seuls tombent sous la loi les faits qui, au moment où ils sont commis, sont déjà définis comme constituant une infraction par le législateur.
    Le juge ne peut considérer comme infraction un fait que la loi ne définit pas comme tel, quelle que soit par ailleurs son appréciation personnelle sur la valeur morale de l’acte. C’est ainsi que, en l’absence de texte, le suicide, la prostitution ou le mensonge ne sont pas des infractions, quel que soit par ailleurs le dégoût qu’ils peuvent inspirer.

IV. Le procès équitable
L’article 14 §1 du PDICP pose le principe du procès équitable au bénéfice de toute personne poursuivie, et qui a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi qui décidera du bien-fondé de toute accusation pénale portée contre elle.
La Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples énonce le même principe d’un procès équitable, en son article 7 : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend:
a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur;
b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente;
c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix;
d) le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.

  1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au moment où l’infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ».
    Notre Constitution est encore plus explicite à ce sujet, à travers les articles 17 à 21, qui sont autant des dispositions aux fins de garantir un procès équitable.
    Ainsi : « Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit » (article 17, 2).
    Comme on le voit, notre Constitution consacre le principe du procès équitable, avec un luxe de détails que beaucoup de pays lui envieraient. Mais, il arrive souvent qu’il y ait un décalage entre, d’une part, le texte et, d’autre part, la pratique et la réalité des choses. En effet, il ne suffit pas de faire de bonnes lois pour avoir une justice équitable.
    Le plus important est ailleurs. Faites de bonnes lois, mais si vous n’avez pas des bons magistrats, vous aurez toujours une mauvaise justice.
    Le procès équitable est un principe général d’ordre public, qui assure les droits de la défense et une bonne administration de la justice. Il « intègre une notion plus large selon laquelle le prévenu ne peut être mis illégalement dans une situation préjudiciable ».
    Le principe du procès équitable veut que celui-ci soit conduit conformément aux lois nationales de procédure qui, elles-mêmes, doivent être conformes aux instruments internationaux dûment ratifiés par la RDC, notamment le PIDCP et la ChADH.
    Ce principe du procès équitable n’est pas toujours assumé par la justice congolaise, dont certains magistrats paraissent n’avoir aucune attache avec les instruments internationaux ou régionaux relatifs aux droits fondamentaux de la personne humaine.
    Quant à l’opinion publique, elle est généralement hostile aux arguments de procédure, surtout quand ceux-ci ne leur sont pas favorables ou sont de nature à entraver leur action en justice, ou simplement leur propre perception des choses ou de leurs intérêts, claniques, tribaux, partisans, politiques, religieux, économiques ou financiers, etc.
    En adoptant une telle attitude, l’opinion publique a tort, car il n’existe pas de justice possible sans respect strict de la procédure, telle qu’elle est définie par les lois de la République, y compris la première d’entre-elles.

CONCLUSION
En citant des noms à l’occasion des affaires qui ont été jugées, nous n’entendons soutenir l’innocence de qui que ce soit. Le juge lui-même n’a ni cette capacité, ni cette mission. Celle-ci consiste à déterminer si la personne poursuivie est coupable suite à un procès mené selon la loi.
Acquitter n’est jamais la proclamation de l’innocence. C’est déclarer qu’au regard des éléments de preuve produits par le ministère public, le juge n’a pas été intimement convaincu de la culpabilité de l’accusé.
De même, déclarer une personne libre de toutes poursuites, c’est reconnaître par le juge que la procédure engagée l’a été en violation de la loi et qu’elle rend ainsi impossible l’équité du procès et l’examen du fond de l’affaire, étant donné que toute procédure doit être conforme à la loi et respectueuse des droits de la défense.
Toute procédure conduite en violation de la loi ne peut qu’aboutir à un procès inéquitable, et, dans un Etat de droit, une telle issue serait inacceptable.
Fait à Kinshasa, le 05 mai 2022
Maître Raphaël Nyabirungu mwene Songa
Avocat près la Cour de cassation et le Conseil d’Etat