ONU : l’Afrique passe-t-elle au second plan ?

La question de la place de l’Afrique est plus que jamais posée, alors que le continent doit relever des défis colossaux alimentaires, sanitaires et sécuritaires. Tribune.
L’Afrique risque-t-elle de passer au second plan dans les discussions multilatérales qui vont durer jusqu’au mois de décembre à New York alors qu’elle reste la région du monde la plus impactée par les conflits ?
Les projecteurs sont braqués sur l’Ukraine en ces premiers jours de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies. Comme la pandémie de Covid-19, cette très grave crise montre que lorsqu’une volonté politique forte se dégage autour d’une cause, l’intendance suit. Des moyens massifs existent pour soutenir la résolution du conflit russo-ukrainien alors qu’il en manque pour financer des programmes de développement et humanitaires à travers le monde.

L’indifférence face à l’alerte lancée par les ONG
Les Nations-Unies cherchent 41 milliards de dollars US pour faire face à des besoins qui ne cessent d’augmenter. Et 200 ONG ont alerté le 20 septembre des donateurs paraissant indifférents des risques d’une famine aggravée par la sécheresse et le réchauffement climatique. Et elles insistent sur ce chiffre : 345 millions de personnes dans le monde souffrent de faim aiguë, un nombre qui a plus que doublé depuis 2019.
Il n’est pas question de porter un jugement, mais plutôt de dresser un constat : des fonds colossaux ont été dégagés pour organiser la riposte face au Covid-19 – alors qu’il semble toujours en manquer pour faire face à la toute première des urgences qu’est le changement climatique, avec des désastres qui s’aggravent partout dans le monde. Comme l’affirme Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, l’action sur ce plan est «mise en veilleuse alors que nous avons rendez-vous avec la catastrophe climatique».

Des débats polarisés sur la rivalité Occident-Russie
Quid de l’Afrique dans un tel contexte ? Risque-t-elle de passer au second plan dans les discussions multilatérales qui vont durer jusqu’au mois de décembre à New York, alors qu’elle reste la région du monde la plus impactée par les conflits ? Alors que nombre de pays du continent demeurent en queue de peloton dans l’Indice de développement humain (IDH) mesuré chaque année par le Programme des Nations unies pour le développement ?
Un sommet sur la sécurité dans le Sahel et le golfe de Guinée, en présence d’un panel de haut niveau, a certes été programmé, de même qu’un sommet extraordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). La question est de savoir si ces sommets suffiront à avancer de manière sérieuse sur le chemin de solutions durables.
La crise au Sahel s’aggrave de jour en jour : 5.450 personnes ont perdu la vie dans la région entre janvier et juin 2022, notamment au Burkina Faso et au Mali. Extrémistes et acteurs non-étatiques, qui s’en prennent aux civils en insécurité totale, sont pointés du doigt. Cela ne semble pas influer sur le cours des débats aux Nations unies, polarisées sur la crise russo-ukrainienne et sur la rivalité entre les pays occidentaux dits à régime démocratique et les autres, Russie et Chine en tête, symboles des régimes à pouvoir autoritaire.

Un nouveau partenariat est à construire…
Alors que le monde pousse à une résolution pacifique du conflit en Ukraine, il devrait aussi faire d’un nouveau partenariat avec l’Afrique une priorité, ne serait-ce qu’au regard du fait que le continent apparaît comme l’une des dernières sinon la dernière frontière de croissance du monde.
Pour mémoire, un plan Marshall pour l’Afrique a été lancé par l’Allemagne en 2017. De même, sous l’impulsion allemande, le Compact with Africa (CwA) a été adopté en 2017 par le G20, avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque africaine de développement (BAD) dans 12 des 54 pays du continent. Certes, le soutien à la création d’emplois est massif, mais il n’empêche pas la vulnérabilité face aux chocs extérieurs : le rapport 2021 du CwA indique que les investissements directs étrangers se sont effondrés en 2020 dans tous les pays soutenus – à l’exception du Sénégal – en raison de la pandémie de Covid-19. Un autre plan dénommé «Power Africa», lancé par Barack Obama en 2013 et soutenu par l’USAID, a permis 780 millions de dollars d’investissements et 27 millions de nouvelles connexions bénéficiant à 127 millions de personnes.
Grâce à ces efforts, conjugués à de nombreux autres, la part de la population subsaharienne ayant accès à l’électricité a bondi depuis 2013 de 38 % à 48 %, selon la Banque mondiale. Il n’empêche qu’il est temps de voir beaucoup plus grand. Pourquoi ? Parce que le XXIe siècle est parti pour être africain en raison de sa démographie galopante.

… pour faire de l’Afrique un atout pour tous
Les jeunes d’Afrique représenteront 35 % de la jeunesse mondiale en 2050, contre 15 % en 2000. D’ici à 2030, c’est-à-dire demain, ils seront 30 millions à entrer sur un marché du travail menacé par un taux de chômage de 60 % pour ce qui est des pays au sud du Sahara. Si rien n’est fait de toute urgence pour fournir les 6 millions de professeurs qualifiés qui manquent déjà, pour relever le niveau des soins de santé et aussi avoir une feuille de route claire pour la création effective d’emplois, cette jeunesse risque d’être un facteur d’instabilité. Cela ne manquera pas de secouer la donne politique, parce que les jeunes Africains sont majoritairement conscients que leur avenir devra se jouer chez eux et pas en fuyant vers d’autres régions du monde.

Un sursaut et du leadership s’imposent sur le continent
Soixante ans après les Indépendances, quelles sont les clés du développement ? Entre autres, certainement investir dans l’agriculture et dans la première des chaînes de valeur industrielle, l’agroalimentaire. Il est inutile de se complaire dans des postures de lamentation en se défaussant de ses propres responsabilités sur le reste du monde. Plusieurs chantiers importants ont été lancés dont les résultats vont se jouer sur le long terme. Ainsi de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) qui vise à stimuler les échanges intra-africains. En attendant d’en voir les résultats, le continent a besoin d’un sursaut – et donc de leadership – pour sortir de sa vulnérabilité face aux chocs extérieurs. Il doit engager lui-même sa propre transformation. Personne ne fera ce travail à la place des Africains, ni mieux que les Africains. Et ce, même si la situation actuelle et l’état du monde font qu’ils se trouvent un peu plus seuls face à leur destin.
Njoya Tikum
Coordonnateur régional du Bureau sous-régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du PNUD