Présidentielle 2023 : Deux blocs en ordre de bataille, chances et faiblesses des prétendants

A une année et demie des élections générales de fin 2023, ça bouge dans tous les sens dans le paysage politique congolais. Au-delà du rapprochement Kabila – Katumbi qui est venu s’ajouter au suspense qui va entourer la prochaine présidentielle, on tend vers la formation de grandes alliances. Lé décor se met déjà en place. Candidat déclaré à la présidentielle, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon a déjà annoncé les couleurs en tendant la main à Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle de 2018. Quant au Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi, candidat à sa propre succession, la machine de l’Union sacrée de la nation est bien à sa disposition pour l’accompagner dans cette mission de reconquête du pouvoir. En 2023, les prétendants au strapontin présidentiel se mettent d’ores et déjà en ordre de bataille. Quelles sont les chances et faiblesses des uns et des autres ? Décryptage.
Deux blocs se dessinent pour l’élection présidentielle de 2023. Deux tickets qui iront ensemble avec des stratégies communes. Tout va graviter autour des pro-Tshisekedi et de ses adversaires. Pour bien saisir la logique de ce qui se met brique après brique en place, il faut retenir que les alliances actuelles sont de facto inexistantes. Les lignes ont bougé sérieusement. Les alliés d’hier et actuels sont déjà des adversaires redoutables.
Une mauvaise compréhension de l’emplacement des pions sur l’échiquier est susceptible de tout fausser. D’où la question cruciale est celle de savoir qui est avec qui?

Présidentielle en deux blocs
A dix-huit mois des scrutins, notamment présidentiel, deux blocs se sont constitués. Il y a le bloc de ceux qui vont aller à la Tshisekedi en étant avec ou dans la stratégie du président Félix-Antoine Tshisekedi. Il s’agit de Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito et Modeste Bahati. De l’autre côté, l’ancien président de la République, Joseph Kabila va fédérer des énergies autour de lui pour faire gagner son dauphin de 2018. Le choix de Shadary Ramazani en 2018 était un choix par défaut.
Dans le starting-block, il y a Moïse Katumbi, Matata Ponyo Mapon et Martin Fayulu. Ces deux noyaux ne changeront pas. Ils vont se gonfler avec de nouvelles figures qui ne se sont pas encore déterminées définitivement mais qui sont bien visibles. Chaque camp est appelé à consolider les lignes afin de séduire un électorat difficile à cause de la diversité culturelle de la configuration du pays. Pour gagner en RDC, il faut disposer d’une base sociologique solide et d’une base politique dynamique. Il faut également nouer des alliances solides. En RDC, il est quasiment impossible de gagner seul.

Faiblesses et chances
En procédant par des éliminations successives, il est possible de ressortir les chances et les faiblesses de chaque camp, et donc, de chaque prétendant.
Dans le ticket A, constitué de Tshisekedi-Bemba-Muzito-Bahati, le candidat président naturel est bien évidemment le président sortant. Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a les faveurs de porter le maillot de champion qui va se lancer à la course.
En Afrique, l’usage renseigne que le président sortant a 49,9% de chances de rempiler. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir comment s’opèrent des choix à la Commission électorale nationale indépendante (Céni) ou à la Cour constitutionnelle pour se rendre compte de la détermination de l’actuel locataire du Palais de la Nation de conquérir ce deuxième mandat.
Facilement, Tshisekedi peut obtenir le soutien de ses actuels et potentiels nouveaux alliés pour porter le fanion. Mais, en procédant par élimination dans une démarche abstraite d’analyse, le Chef de l’Etat peut-être un handicap pour son camp.
En effet, son bilan attend encore sa validation, parce que beaucoup de choses restent encore à faire. Il peut donc s’effacer pour un autre candidat de son ticket. Une hypothèse à ne point exclure.
En bonne place pourrait sortir l’invité surprise Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC). Aujourd’hui exclu des tractations et des simulations. Tshisekedi pourrait l’imposer à ses partenaires.
Il y a Bemba, Muzito et Bahati qui peuvent tout aussi rêver de bénéficier un jour de la consigne de vote de l’UDPS. Bemba est solidement implanté dans l’ex-Équateur. Mais rien n’indique qu’il a encore le contrôle de cet espace avec ses absences répétées dans son fief. Il est possible que ce leader n’apporte rien à la coalition à cause du manque de suivi de sa base. Mais bien encadré par un travail de terrain, les plus de 4 millions d’électeurs du Grand Equateur ont souvent un vote cohérent.
Adolphe Muzito, le leader de Nouvel Elan, qui semble avoir pris ses distances de Martin Fayulu, peut apporter des voix supplémentaires de l’ex-Bandundu et d’une partie de Kinshasa. Il a implanté son parti politique à travers le pays. En plus, en l’absence d’un candidat présidentiable sérieux au Parti lumumbiste unifié (Palu), des voix de son ancien parti vont se rapporter sur lui où ils voteront suivant son mot d’ordre. Il ne faut pas oublier qu’au Palu, Adolphe Muzito jouit toujours d’une certaine estime. Il est resté en phase avec la base du Palu. Et l’actuel dirigeant de ce grand parti, Godefroid Mayobo, est un alter ego de l’ancien Premier ministre, son complice des années de lutte. Une complicité est inévitable dans le cadre d’une action commune et concertée.
De son côté, Modeste Bahati, autorité morale de l’AFDC-A, deuxième force politique de l’Union sacrée de la nation, peine toujours à convaincre sur ses vraies capacités de mobilisation des troupes. Mais, il demeure que dans l’Est de la RDC, il pourra ramener des modestes voix, des voix qui vont certainement compter lors de la phase de la consolidation des résultats électoraux.
En réalité, le Chef de l’Etat mise sur Vital Kamerhe que sur Modeste Bahati. Si celui qu’on surnomme «VK» n’est pas cité sur tous les toits, c’est parce que sa position actuelle de condamné ne permet pas un déploiement politique crédible.
En cas d’acquittement à la Cour d’appel de la Gombe – ce qui est fort possible – il fera ombrage bientôt à Bahati qui sera obligé de subir une dégradation inévitable dans la mesure où il a bénéficié de cette absence pour occuper l’espace vide.

L’axe opposé à Tshisekedi
Du côté de l’autre ticket qui se met en place, il y a d’abord Moïse Katumbi. Ce bulldozer, qui s’est construit une stature d’homme d’Etat en marchant à contre-courant de ce qui devrait constituer des avantages pour lui, incarne à lui seul la victoire des urnes – du moins sur papier.
L’ancien gouverneur s’est réconcilié avec l’ancien président Joseph kabila qu’il avait combattu avec toute son énergie jusqu’à obtenir qu’il ne soit pas candidat à un troisième mandat. On se rappelle encore de son fameux « 3ème pénalty ».
En ratissant avant la création de son parti politique, Ensemble pour la République, il s’est constitué un stock important de sympathie à travers le pays à cause de cet engagement et surtout à cause de ses actions de charité qui est la caractéristique d’un homme au service des autres. La sortie de son parti politique a démontré qu’il a su rassembler des Congolais de tous les horizons autour de l’idéal qu’il a toujours défendu.
A ce titre, Katumbi est un prétendant sérieux qui peut mettre à mal l’attelage qui se constitue autour de Tshisekedi. Un redoutable adversaire qu’il est préférable d’avoir avec soi plutôt qu’en face de soi.
S’il bénéficie de l’appui de Joseph Kabila, on peut dire que les voix du Grand Katanga vont lui revenir à coup sûr. Pour Katumbi, on est revenu à la cause avant 2015, qui faisait de lui le dauphin naturel de Kabila. La réconciliation, c’est aussi cela. Quitte à nouer de bonnes alliances pour gagner haut la main.
Mais, le pouvoir peut toujours le recaler comme ce fut le cas avec son actuel allié Kabila, qui l’avait forcé à l’exil, lui barrant la route de la présidentielle de 2018. Tshisekedi peut tout aussi passer par le même en le frappant d’interdiction de postuler à travers une loi électorale qui le mettrait hors course. On n’en est pas encore là, mais cela reste une grosse faiblesse.
Arrivé deuxième à la présidentielle de 2018, dont il se considère toujours vainqueur au nom de la « vérité des urnes », Martin Fayulu part sur une grande espérance que sa victoire de 2018 était volée par Joseph Kabila parce qu’il lui était opposé.
Dans sa logique, le même Kabila qui lui avait volé la victoire, va se mettre en position de corriger cette injustice en faisant de lui le prochain khalife du pays afin de chasser Tshisekedi.
C’est dire qu’en lorgnant vers Kabila, Fayulu pense retrouver sa position d’avant et corriger cette flagrante injustice de 2018. Entre-temps, Martin Fayulu, cette «souris naine de Genève », selon Lambert Mende, a pris des dimensions insoupçonnées actuellement. Il a pris de l’épaisseur à travers son parti, ECIDE, qui s’est consolidé suffisamment. Il ne viendra donc pas à ce rendez-vous du « donner et du recevoir » les mains vides. Il dispose des atouts qui pourront lui permettre de discuter et d’obtenir le soutien des autres prétendants du ticket. Ses faiblesses restent cependant sa difficulté de mettre d’accord Kabila et Katumbi dans le Grand Katanga qui ont fait des promesses fermes à leur base provinciale de reconquérir le pouvoir perdu en 2018.
Toutefois, sa position de l’Ouest de la RDC fait de lui un pion majeur lors des discussions à venir.

Corriger l’erreur de 2018
Dans le décor qui se met en place, l’ancien Premier Matata Ponyo Mapon, qui se remet d’une longue traque judiciaire, est cet invité qui n’a surpris que des naïfs. Matata s’était retenu en 2018 parce qu’il ne voulait pas énerver Joseph Kabila. Matata savait aussi que c’était lui le vrai « dauphin » et non Ramazani Shadary qui était un candidat pour perdre.
Fort de cet atout, l’ancien Premier ministre est sûr de mettre d’accord grâce à son savoir-faire en matière de gouvernance, tout le monde ensemble autour de lui.
Dauphin raté en 2018 à cause de l’hostilité des caciques du PPRD et du FCC, aujourd’hui que Kabila est libéré de cette étreinte, il lui sera loisible de prendre le bâton et de gagner la course de la présidentielle face à n’importe quel concurrent. Pourvu que les soutiens de Kabila et de Katumbi lui soient garantis. L’avantage est que dans l’éventualité où le régime se décide de couper l’herbe sous les pieds de Katumbi, qui est tout sauf un obsédé du pouvoir (il l’a démontré à plusieurs reprises), en le disqualifiant de la course, Matata se présenterait comme cet élément fédérateur entre Kabila et Katumbi.
L’homme à l’éternelle cravate rouge est à même de rassurer Kabila, tout comme le camp Katumbi. Homme de parole, il lui serait loisible d’apporter des garanties que leurs intérêts politiques seront sauvegardés et la gestion du pays pourrait être assurée de manière satisfaisante.
Sa seule faiblesse est que le régime pourrait poursuivre ses actions de sape en continuant à lui créer des ennuis judiciaires comme cela se fait actuellement pour l’éliminer subtilement de la course présidentielle. Ce qui serait un suicide, parce que, dans ce cas, le droit sortirait par la grande porte pour laisser la place à l’installation de la politique au Palais de justice.
En séjour aux Etats-Unis, Matata a déjà actionné son carnet d’adresses à l’internationale. Cet atout est de nature à rassurer les nationalistes purs et durs autour de Kabila que des tensions et l’animosité de la communauté internationale contre l’homme de Kingakati pourrait s’estomper.
Face à Tshisekedi, Matata est un candidat redoutable et redouté dont l’annonce de candidature a mis tout le monde en mouvement !
Enfin, Joseph Kabila, dont les partisans ne cessent d’affirmer qu’il serait de nouveau éligible, n’a pas dit son dernier mot. Bien que des proches affirment qu’il n’est pas dans ses calculs de revenir aux affaires, il est sûr cependant qu’il sera la plaque tournante anti-Tshisekedi en 2023. Tout se jouera entre lui et son ancien allié, devenu trop puissant à la tête de la République.
A tout prendre, les élections de 2023 s’annoncent mouvementées.

Econews