Projet de budget 2022 : tout pour les institutions, rien pour les autres (*)

Finalement, après la fin de la coalition maudite avec les hommes de Kabila rangés sous la bannière du FCC (Front commun pour le Congo) et la création de l’Union sacrée de la nation (USN), l’espoir d’un renouveau et d’une nouvelle gouvernance basée sur le principe du «Le peuple d’abord » n’aura été qu’un leurre.

L’illusion aura à peine duré l’espace de quelques mois. Aujourd’hui, on en revient aux «Institutions d’abord» ! Et à quel prix ! Bien entendu, en perspective des élections, il est indispensable d’acheter la conscience des députés et des sénateurs. Alors que dans son discours d’investiture, le Premier ministre, Sama Lukonde Kyenge, s’était engagé à réduire le train de vie des institutions politiques, on assiste aujourd’hui à une véritable reculade. Au lieu de réduire le train de vie des Institutions, dans le projet de budget 2022, l’exécutif de Félix Tshisekedi propose qu’on l’augmente ! Et de quelle manière !

Le jeudi 23 septembre, dans le hall du fameux hôtel Steigenberger Wiltcher’s (ex-Conrad) au 71 de l’avenue Louise à Bruxelles, les valises s’empilent les unes sur les autres. La plupart sont de grande marque et à leur prix seul, on peut deviner que leur propriétaire ne manque pas de moyens. Deux suites présidentielles ont été réservées. Rien d’étonnant pour le voiturier et le portier de l’hôtel. Les Congolais mènent grand train à Bruxelles.

La délégation congolaise rentre de New York. A chaque déplacement du Président Tshisekedi, c’est le même rituel. Une grande partie de la cour présidentielle est logée dans cet hôtel 5 étoiles. Les moins chanceux iront prendre leur quartier ailleurs, au plus près de la Place Stéphanie. Cette année, ce sont 123 conseillers, assistants et quelques favorites qui ont accompagné le Chef de l’Etat congolais visiter la 5ème avenue et faire leur shopping dans Big Apple.

Au siège des Nations Unies, selon les règles fixées, seuls 11 d’entre eux ont pu assister au discours délivré du haut de la tribune par le nouvel homme fort congolais. On peut parier que bien trop occupée à des choses plus sérieuses, la grande majorité des membres de la délégation congolaise n’ont pas suivi l’intervention de leur Président. De toute évidence, celle-ci ne restera pas dans les annales de l’histoire, loin s’en faut !

Et pour couronner le tout, Félix Tshisekedi, qui aura tout fait pour être reçu par le Président américain Joe Biden, rentre bredouille. Il devra se contenter de la visite dans sa suite présidentielle du secrétaire d’Etat Anthony Blinken. Encore un camouflet pour le Chef de l’Etat congolais qui, à ce jour, n’est pas arrivé à ouvrir les portes de la Maison Blanche alors que ses collègues plus fraîchement élus y ont été reçus par le président Biden lui-même ou la vice-présidente Kamala Harris.

La communication présidentielle congolaise fera contre mauvaise fortune bon cœur en publiant des images de la rencontre avec le Premier ministre belge Alexander De Croo ou encore de Marcelo Rebelo de Sousa, le président portugais…

A Kinshasa, les regards sont ailleurs

En RDCongo, le fiasco présidentiel ne semble émouvoir personne ! Tous les yeux des Kinois sont braqués sur le feuilleton à sensations de l’expulsion de la deuxième épouse du Président congolais et de ses deux enfants en Belgique. Les réseaux sociaux sont inondés d’images de Gisèle Mpela et de sa progéniture malmenée par les services de police et de la DGM. Un scandale de plus dans un pays gouverné par une toute petite poignée de nouveaux prédateurs qui n’ont cure du sort de leurs 100 millions de compatriotes.

Les Congolais assistent têtes baissées aux pillages des ressources du pays sous les yeux complices d’observateurs qui gardent silence quand ils ne préfèrent pas tourner la tête ailleurs pour ne rien voir de l’immense scandale que représente la RD Congo. Les chiffres accablants publiés par les agences des Nations Unies n’y font rien ! Selon les estimations de l’UNICEF, plus de 3,3 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition dont un million de malnutrition aiguë sévère. L’augmentation de l’insécurité alimentaire touche indistinctement tous les Congolais. Qu’ils vivent dans les grandes villes ou dans le monde rural, près de 27 millions de Congolais ne mangent plus à leur faim. 72% de la population vit dans la pauvreté. Avec 562 USD/habitant, la RD Congo demeure un des dix derniers pays au monde à l’indice de développement humain.

On est vraiment bien loin des chambres climatisées à 500 USD la nuit où se repose la horde des délégués congolais épuisés par le shopping à New York. Et on est encore plus loin des frasques de la première Dame Denise Nyakeru et de sa rivale qui font la Une des réseaux sociaux. Le Congo meurt chaque jour un peu plus !

Là où le bât blesse encore plus, c’est la formidable curée opérée sur les ressources de l’Etat par les nouveaux animateurs des Institutions congolaises. Alors que chaque mois, les responsables des finances de la RD Congo annoncent des performances inédites dans la mobilisation des ressources de l’Etat et que l’IGF envoie, à grand renfort de publicité, quelques détourneurs des deniers publics dans les bureaux des juges, le gouvernement a déposé un projet de budget 2022 dont les chiffres en dépenses illustrent le caractère irresponsable et inconséquent des hommes du pouvoir. Finalement, après la fin de la coalition avec les hommes de Kabila rangés sous la bannière du FCC, l’espoir suscité par l’Union sacrée n’aura été qu’un leurre.

Pour preuve, la toute grande innovation du budget 2022 du gouvernement Sama Lukonde consiste à l’adoption par le Sénat et l’Assemblée des crédits pour eux-mêmes et les autres institutions ! En lançant cet appât à la représentation dite nationale, Félix Tshisekedi cherche en réalité à maintenir une large majorité pour faire passer ses lois. En perspective des élections du 2023, le candidat Tshisekedi connaît le prix des députés pour lequel il a déjà consenti à débourser 27 millions USD pour l’achat de jeeps de luxe. Désormais, c’est leur conscience qu’il faut acheter ! Avec le vote de ce budget, le tour sera joué…

Résumé en six points

Voyez en six points le résumé de la situation :

Présidence : le budget passe de 159,8 à 254,7 millions USD (1.096 membres du cabinet du président seront rémunérés)

Primature : le budget passe à 49,1 millions USD contre 39,4 millions USDen 2021 (606 membres du cabinet seront payés) ;

Assemblée nationale : le budget passera à 203,6 millions USD contre 170,4 millions $ inscrits dans la loi de finances 2021 (salaire moyen d’un député plafonné à 10.265 USD par mois)

Sénat : de 63,3 millions USD à 83,6 millions USD (salaire d’un sénateur 13.090 USD/mois);

Le salaire moyen d’un agent de santé fixé à 475 USD, alors que le salaire moyen d’un enseignant représente à peine 118 USD…

Retour ce week-end à Bruxelles inondée des rayons d’un soleil automnal, dans le hall du Wiltcher’s, les délégués congolais se préparent à rentrer au pays avec leurs malles pleines. Ceux qui n’ont pas eu la chance d’être dans l’avion présidentiel affrété par le Trésor congolais repartiront dans la Business Class de SN ou Ethiopian le sentiment du devoir accompli !

Rien d’extraordinaire dans un pays où les Institutions vivent un train d’enfer.

Parlant d’enfer, on peut s’interroger de savoir jusqu’à quand les populations congolaises accepteront d’y croupir sans espoir d’en jamais sortir !

(*) Le titre et les inter-titres sont de la rédaction

Bernard Mulumba (CP)