RDC : une guerre «qui tourne en boucle»

A l’Est de la RDC, la population est condamnée à l’errance depuis des années

Pourquoi les armes continuent de terroriser les populations depuis trente ans, en toute impunité, à l’Est de la République Démocratique du Congo? Dans «Le cri muet des collines», un collectif d’auteurs revient sur la chronologie des guerres du Congo, examine deux missions d’enquête des Nations-Unies et se demande comment sortir de la crise sécuritaire qui a transformé «un décor paradisiaque» en «effrayante réalité».
Après deux guerres meurtrières, consécutives au génocide des Tutsi au Rwanda voisin, la République Démocratique du Congo est censée être en paix depuis les accords de 2003. Seulement voilà, les armes ne se sont jamais tuent dans l’Est du pays. Une centaine de groupes armés sévit toujours dans cette vaste région, aux frontières de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi. On appelle cela un conflit de basse intensité, et malgré la présence de plus de 14.000 casques bleus, les massacres continuent, les responsables de la guerre courent toujours et les victimes attendent désespérément que justice soit rendue.
Dans l’ouvrage «Le cri muet des collines – Dans l’Est du Congo, la guerre tourne en boucle », Colette Braeckman, Reed Brody, Pierre Hazan, Philippe Lardinois et Marc Schmitz analysent les trente années de chaos au Congo en se demandant pourquoi «quasi personne n’a été jugé» alors que les témoignages existent et que des enquêtes internationales ont été menées.

Guerre des chiffres
Colette Braeckman, sans nul doute la meilleure spécialiste du Congo, déroule le fil de «la plus longue guerre d’Afrique», de la fin du génocide au Rwanda voisin, en passant par la chute de Mobutu, l’arrivée de Laurent Désiré Kabila et la succession du fils Joseph, sur fond de massacres sans fin. La journaliste revient sur la traque des génocidaires hutu par le nouveau pouvoir de Kigali, jusque dans les profondeurs de la forêt congolaise. S’en suit la guerre des chiffres sur le nombre de morts victimes de la chasse aux génocidaires sur le sol : 5,4 millions ? 200.000 ? «Les morts du Congo, bien réels, ont été instrumentalisés» explique Colette Braeckman, dans une analyse historique très pédagogique.

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Fosses communes à Mbandaka
Reed Brody, directeur adjoint de l’équipe d’enquête des Nations unies en 1997, raconte ensuite comment sa mission se retrouve entravée et bloquée par le président Kabila. Pourtant, à Mbandaka, des emplacements de fosses communes sont découverts. Dans son rapport, l’ONU explique que «des centaines de Hutu rwandais non-armés ont été exterminés par des troupes de l’AFDL, apparemment sous le commandement effectif de l’armée rwandaise (APR)». Mais l’accueil de l’ONU est tiède et les pressions américaines sont nombreuses pour ne pas aller plus loin. «Les troupes de Kagame ont joué un rôle crucial pour mettre fin au génocide de 1994 au Rwanda, qui oserait le nier ? Mais cela ne les exonère pas d’un examen minutieux des crimes commis dans les années qui ont suivi, au Rwanda et au Congo» écrit Reed Brody.
L’imparfait mais nécessaire rapport Mapping
Marc Schmitz passe au crible le second rapport sur les guerres du Congo : le rapport Mapping, célèbre pour avoir été médiatisé par le prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege. Dans ce document, resté dans un tiroir des Nations unies, 1300 témoins recensent «617 incidents» violents, des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et de possibles crimes de génocide. Le rapport est loin d’être parfait et utilise souvent le conditionnel. Pour Kigali, le document est inacceptable et a pour but d’accréditer la thèse du «double génocide», relativisant ainsi l’extermination des Tutsi du Rwanda. Mais le rapport Mapping a refusé d’entendre les arguments de l’Etat rwandais et «on reste un peu sur sa faim» note Marc Schmitz. Pourtant, les Congolais sont en droit de réclamer justice et les instigateurs de ces violences «courent toujours». Leurs noms, environ deux cents, restent confidentiels.

Guerre des mémoires
Le diplomate italien, Aldo Ajello, qui avait été l’envoyé spécial de l’Union européenne dans la région des Grands lacs, résume à sa manière l’épineuse question : «Des massacres oui, un génocide non ! ». «Imparfait, incomplet », le rapport Mapping «est à la fois un outil rappelant l’importance de rechercher la vérité – toute la vérité – et un instrument de combat dans cette guerre des mémoires qui n’a jamais cessé d’embraser les esprits depuis un quart de siècle» conclut Marc Schmitz. Alors que faire pour lutter contre cette impunité qui règne toujours au Congo, où l’Etat fait encore largement partie du problème et où la justice est également défaillante et corrompue ? Les procès pour ces crimes ont été rares et les condamnations bien maigres en RDC. Surtout, la justice militaire, «seule à être habilitée à juger les crimes internationaux pose question».

Tout reste à inventer
La solution pourrait-elle venir de la justice internationale ? Là encore, le système est loin d’être parfait. «La justice internationale est trop souvent hors-sol, déplore Rony Brauman, avec des procès qui se déroulent loin des lieux où les crimes ont été commis, ce qui la rend abstraite et insaisissable». «Le tableau n’est guère réjouissant» se désole Marc Schmitz. «Le mal est profond puisque le Congo ne dispose pas d’une administration judiciaire organisée et efficace». Alors que faire ? «Le réexamen de l’Histoire par les Congolais eux-mêmes et la réappropriation du récit national constituent des éléments essentiels de cette guérison» plaide Colette Braeckman. «C’est aux Congolais qu’il appartient de s’indigner et de trouver ces dispositifs appropriés» insiste la journaliste. En attendant, les criminels dorment toujours sur leurs deux oreilles, le temps passe… et la tragédie congolaise continue.
Christophe Rigaud (Afrikarabia)