Respect des engagements, alliance avec Museveni, adhésion à l’EAC : Kagame et Sassou ceinturent Tshisekedi

Quelque chose se prépare entre Kigali et Brazzaville, avec pour point d’orgue Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo. Il y a quelques mois, le président rwandais Paul Kagamé avait boycotté un mini-sommet, convoqué à Oyo, une ville du Nord de la République du Congo, par son homologue Denis Sassou Nguesso. Félix Tshisekedi était là, tout comme Yoweri Museveni, mais pas Paul Kagame. Ce lundi, cependant, Paul Kagame est annoncé à Brazzaville pour une visite officielle de trois jours qui va l’amener jusqu’à Oyo. Bien avant Brazzaville, le président rwandais venait de boucler une visite à Lusaka. Qu’est-ce qui explique cet activisme, alors que, sur le front Est, Kinshasa n’écarte pas la main noire de Kigali dans les opérations militaires des rebelles du M23. Qu’est-ce qui se trame, entre-temps, sur l’axe Brazzaville – Kigali. A Kinshasa, on ne se voile pas la face et on attend rester à l’écoute de ce qui se fera en début de cette semaine entre Brazzaville et Oyo.

Le jeune – en termes de durée au pouvoir – Président congolais, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, est imprévisible. Ses pairs de la région tiennent à le ceinturer afin de l’obliger à respecter des engagements qu’il prend souvent pour faire avancer les choses, comptant sur la bonne foi de ses interlocuteurs, même s’il sait qu’ils l’ont piégé. Félix Tshisekedi est donc pris au piège de sa bonne foi.

Après avoir signé l’adhésion de la République Démocratique du Congo à la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC), Paul Kagame est tout de suite annoncé à Brazzaville et à Oyo. L’axe Brazzaville-Kigali a pour objectif de tenir en respect le président congolais, prédisent les experts de la sous-région.

Nul n’ignore que Tshisekedi n’a plus confiance en Kagame. Il l’a dit en des termes qui ne font pas de mystère lors de la dernière Conférence diplomatique de Kinshasa.

Personne, aucun État ne tirera durablement des dividendes en déstabilisant ses voisins dans la région des Grands Lacs africains, avait déclaré le Président Tshisekedi. Paul Kagame avait aussitôt capté le message. A Kigali, la tacle de Tshisekedi n’est pas passée inaperçue.

Presqu’instantanément la rébellion du M23, qui était en pause, a repris ses activités, avec des armes sophistiquées qui ne font aucun mystère sur l’appui reçu d’un ou des pays voisins. L’armée congolaise, qui est en contact direct avec les rebelles du M23 et leurs soutiens, a désigné l’agresseur sans l’aval de la hiérarchie de Kinshasa. Une position tranchée qui a terriblement embarrassée les dirigeants politiques de Kinshasa.

Sans tarder, le Gouvernement, dans une posture diplomatique, a pris ses distances vis-à-vis de son armée. La déclaration surprenante de son porte-parole n’a pas non plus rassuré Kigali. La pullule a été si amère que Kigali n’attendait que le moment propice pour réagir.

Tout récemment, à Nairobi, en marge de la cérémonie officielle d’adhésion de la RDC à l’EAC, Paul Kagame a clairement égratigné Félix Tshisekedi, lui rappelant qu’il ne suffisait pas de signer des engagements, il fallait aussi les respecter.

Le message a été capté par Kinshasa qui a joué à la diplomatie comme toujours en encaissant sans plier.

Entre Kinshasa et Kigali, le parfait amour des premières années de Félix Tshisekedi au pouvoir a fini par céder la place à l’animosité. Plus que jamais, les deux capitales se regardaient à distance, sans jamais étaler au grand jour leur désaccord.

Des divisions

Dans l’entourage du Chef de l’Etat, il est clair que plusieurs positions sont tenues. Les intellectuels du camp présidentiel n’ont jamais caché leur opposition à l’adhésion de la RDC à l’EAC. C’est notamment, l’ambassadeur itinérant Faustin Luanga qui a conseillé la prudence. En réalité, il a conseillé le refus.

«La RDC a signé le traité de son adhésion à East African Community (EAC) ce 8 avril à Nairobi. Le pays doit ratifier le traité et les instruments d’EAC dont le protocole sur la libre circulation de biens et de personnes d’ici fin septembre. Impératif de bien négocier cette 2ème phase», a écrit cet économiste de renom sur son compte twitter.

Un autre intello Daniel Mukoko Samba, l’un des membres du panel qui a accompagné Félix Tshisekedi à sa présidence tournante de l’Union Africaine, a adopté la même position. Le prof Daniel Mukoko est convaincu que cette adhésion ne profiterait jamais à la RDC.

«Avec l’adhésion de la RDC, l’EAC s’étend de l’océan Indien à l’Atlantique. Le Parlement ratifie l’accord portant financement du pont route-rail Kin-Brazza. Crystal Ventures, le bras financier du Rwanda pose ses valises à Brazza. Il manque un projet RDC », note le prof Daniel Mukoko sur son compte twitter.

En face, les conseillers écoutés de Tshisekedi sont dans une autre logique. Il faut écouter et suivre les conseils des États voisins. Fortunat Biselele et les autres savent qu’il faut entretenir de bonnes relations avec les voisins. Ils sont ces visiteurs du soir qui parlent au Chef, avant d’aller au lit.

C’est ainsi que la position des intellos n’a pas été prise en compte. D’ailleurs, les théoriciens et les pragmatiques ont toujours des positions divergentes.

Sassou à la rescousse

C’est alors qu’entre en scène le président Denis Sassou Nguesso du Congo/Brazzaville. Avec l’adhésion de la RDC, l’EAC a l’avantage de s’ouvrir à l’Océan Atlantique. Un business qui devait en principe profiter à tous les Etats de l’Afrique de l’Est qui n’attendait que ce moment pour investir le grand marché congolais.

Mais, avec les troubles récurrents dans l’Est de la RDC et les tensions pré-électorales, le rêve de l’Est risque d’être étouffé dans l’œuf.

Pour tenir en respect Félix-Antoine Tshisekedi, qui commence à comprendre les enjeux et les non-dits dans la région des Grands Lacs, Paul Kagame a décidé de s’envoler vers Brazzaville et Oyo. L’objectif inavouable est de ceinturer Tshisekedi.

Tenu à la gorge dans l’Est de la RDC avec la réactivation soudaine du M23, il faut qu’un policier tienne le Président congolais. Le doyen Sassou Nguesso est mis à contribution. Il doit être celui qui aura la charge de dissuader son «fils » chaque fois qu’il serait tenté de prendre des initiatives dangereuses aux intérêts de ces partenaires.

C’est dire que le voyage de Paul Kagame à Brazzaville n’a rien d’anodin. S’il a décliné le premier rendez-vous d’Oyo, Paul Kagame se déplace en solitaire pour parler RDC avec Denis Sassou Nguesso, sans Félix Tshisekedi dans la pièce.

Kinshasa ferait mieux de suivre attentivement ce qui se dira pendant ces trois jours entre Brazzaville et Oyo.

Econews