Résurgence du M23 : récit des échanges houleux au Conseil de sécurité des Nations Unies

La résurgence du M23 au Nord-Kivu et ses actions hostiles contre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et les Casques bleus de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) aggrave une situation déjà grave, a prévenu, mardi dernier à New-York (Etats-Unis), la sous-secrétaire générale des Nations Unies aux Affaires politiques et de consolidation de la paix, Mme Martha Ama Akyaa Pobee. Elle a fait cette mise en garde devant les membres du Conseil de sécurité qui, compte tenu des accusations réciproques entre la RDC et le Rwanda, ont appelé les deux pays au dialogue et au rétablissement de la confiance. L’envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs ayant lancé le même appel, Christophe Lutundula, ministre congolais des affaires étrangères, a répondu: « Le dialogue c’est comme le tango, il ne se danse pas seul ».
Il est urgent, s’est alarmée la sous-secrétaire générale, de désamorcer la situation et d’abord d’obtenir du Conseil de sécurité qu’il pèse de tout son poids derrière les efforts régionaux en cours, dont le processus à deux volets, lancé lors du deuxième Conclave des chefs d’État à Nairobi, le 21 avril dernier, qui a donné un nouvel élan aux efforts du Gouvernement de la RDC pour amener les groupes armés congolais qui sévissent dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu dans le processus de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (PDDRCS). Ce processus devant être pleinement mis en œuvre et bien financé, la France a appelé les partenaires internationaux, dont la Banque mondiale, à apporter tout leur appui dans les meilleurs délais.

Passe d’armes entre Kinshasa et Kigali
Quant au M23, qui a repris ses attaques au moment même où commençait le Conclave de Nairobi, il faut se demander qui l’arme et qui mobilise ses hommes aguerris pour attaquer les troupes de l’ONU? a déclaré le Ministre congolais des affaires étrangères. M. Christophe Lutundula a poursuivi: qui soutient cette force négative au moment où le processus de Nairobi prend son envol? Pourquoi, à chaque fois, le Rwanda apparait-il quand il est question du M23? Ce mouvement et ses parrains ne visent qu’à maintenir la RDC dans l’instabilité et à torpiller les efforts de paix de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), a tranché le Ministre.
Le Rwanda a catégoriquement rejeté ces allégations qui, selon lui, concernent des ressortissants congolais dont les doléances doivent être entendues en interne en RDC. Il a vu dans les accusations de soutien au M23 un prétexte utilisé par certains fauteurs de troubles congolais pour extérioriser le conflit et gagner des points politiques. Nous n’avons absolument aucun intérêt à déstabiliser la RDC, a-t-il affirmé, en dénonçant plutôt les tirs d’obus de la RDC et de ses alliés, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), la résurgence des discours de haine anti-rwandais et les appels au génocide, encouragés par certains fonctionnaires et politiciens en RDC. Le Conseil et la communauté, a-t-il prévenu, ne sauraient rester silencieux, compte tenu de ce qui s’est passé en 1994. L’Ouganda a demandé à la Conseillère spéciale pour la prévention du génocide de se pencher sur la question.
La RDC, son Président, son Gouvernement et tous les Congolais, a promis le ministre des Affaires étrangères, sont déterminés à défendre l’intégrité territoriale et la souveraineté de leur pays. Si l’on peut comprendre cette détermination par rapport au M23, il ne faut pas pour autant oublier que l’option militaire seule ne suffira pas, a prévenu l’envoyé spécial du secrétaire général pour la région des Grands Lacs. M. Huang Xia a donc réitéré la pertinence de sa «stratégie d’engagement des groupes armés étrangers et des communautés locales » et a annoncé qu’il entame, à partir de mercredi, une nouvelle tournée régionale avec un message triple et simple: la région n’a pas besoin d’une nouvelle crise, préservons les progrès acquis ces dernières années et maintenons les canaux de dialogue ouverts à tous les niveaux.
«Le dialogue c’est comme le tango, il ne se danse pas seul», a répondu le ministre congolais des Affaires étrangères, en espérant de la sincérité.
La coopération doit prévaloir, a déclaré la France, en particulier pour lutter contre le pillage des ressources naturelles de la RDC. Nous discutons depuis trop longtemps de ce pillage, s’est impatientée l’Inde, qui a dit attendre un plus grand engagement de la RDC et de la région pour garantir la protection des mines, le renforcement de la réglementation et celui des partenariats régionaux. Il est impératif de couper à la source le financement des groupes armés et à cet égard, la Conférence de Khartoum a fourni un cadre et une orientation utiles.
L’Inde a en profité pour souligner que la MONUSCO, dont le rôle a été chaleureusement salué par le ministre congolais des affaires étrangères, n’a pas vocation à remplacer les Forces armées de la RDC. Les défis sécuritaires accrus, comme l’ont dit les États-Unis, ne sauraient être relevés par une « interprétation créative» du mandat de la Mission, a martelé l’Inde.

Déclarations sur la situation concernant la RDC
Mme Martha Ama Akyaa Pobee, sous-secrétaire générale pour l’Afrique au Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix, a indiqué que malgré les efforts déployés par le gouvernement congolais pour lutter contre l’insécurité dans l’Est de la RDC, la violence des groupes armés a continué de faire payer un lourd tribut à la population civile dans plusieurs sites des provinces du pays. La récente résurgence du Mouvement du 23 Mars, connu comme «M23», en particulier, et ses actions hostiles contre les Forces armées de la RDC (FARDC) et les Casques bleus de la MONUSCO au Nord-Kivu, aggrave une situation déjà sérieuse et constituent une menace grave à la paix, à la sécurité et à la stabilité régionales. Au 30 mai, les FARDC ont sécurisé la route nationale 2 qui reste ouverte à la circulation. Pour l’instant, la situation serait calme dans les territoires du Nyiragongo et Rutshuru, y compris les collines de Tchanzu et Runyoni, alors que les FARDC et le M23 continuent de tenir leurs positions.
Deux Casques bleus de la MONUSCO ont été légèrement blessés au cours des hostilités et la Mission a subi des dommages limités à son matériel. À ce jour, les FARDC indiquent avoir eu au moins 16 morts et 22 blessés. De même, l’impact humanitaire des attaques du M23 a été considérable. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) rapporte qu’au 30 mai, au moins 75.000 personnes ont été déplacées en RDC, et 11.557 autres ont traversé la frontière avec l’Ouganda. Les agences des Nations Unies et leurs partenaires ont immédiatement commencé la distribution d’aide à 35.000 bénéficiaires dans les zones touchées.
La sous-secrétaire générale a appelé à une action urgente pour désamorcer la situation actuelle. Il est impératif que ce Conseil accorde tout son poids aux efforts régionaux en cours pour désamorcer la situation et mettre un terme définitif à l’insurrection du M23, a-t-elle déclaré. Elle s’est dite encouragée par le fait que le Rwanda et la RDC ont décidé de se référer au Mécanisme conjoint de vérification élargi de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) pour enquêter sur les dommages matériels causés par des engins explosifs provenant de l’autre côté de leur frontière lors des incidents du 23 mai dernier. Elle a aussi salué les appels téléphoniques que le président de l’Union africaine, M. Macky Sall du Sénégal, a eu avec les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame, pour appeler au calme et à un règlement pacifique de tout différend.
La poursuite du dialogue entre les gouvernements concernés demeure indispensable pour éviter une nouvelle escalade de la violence dans l’Est de la RDC, a-t-elle souligné.
Mme Akyaa Pobee a par ailleurs rappelé que la violence armée reste généralisée dans tout l’Est de la RDC. Que ce soit en Ituri, au Sud-Kivu ou dans d’autres régions du Nord-Kivu, une multitude de groupes armés continuent de s’attaquer à la population civile, à saper les efforts de paix, de stabilité et d’un développement durables en RDC et dans la région.
Le processus à deux volets, lancé lors du deuxième Conclave des chefs d’État de Nairobi, le 21 avril, a donné un nouvel élan aux efforts du Gouvernement de la RDC pour amener les groupes armés congolais locaux dans le processus de désarmement et démobilisation, et de trouver des solutions durables à la présence continue de groupes armés étrangers sur le sol congolais. La sous-secrétaire générale a souligné l’importance d’impliquer les femmes, y compris des représentants de la société civile et des femmes affiliées à des groupes armés, dans les efforts en cours, afin de s’assurer que leurs besoins et perspectives spécifiques soient pris en compte dans la recherche de solutions inclusives et durables.
M. Huang Xia, envoyé spécial du secrétaire général pour la région des Grands Lacs, a rappelé qu’il y a presque dix ans, le M23 a provoqué, à travers les tristes événements autour de Goma, une crise régionale, exacerbée par les accusations réciproques entre la RDC et ses voisins. Aujourd’hui, l’histoire semble de nouveau tristement se répéter et nous devons tout faire pour éviter une nouvelle escalade et une énième crise aux conséquences humanitaires, sécuritaires et politiques incommensurables dans la région.
L’envoyé spécial a appelé tous les groupes armés de l’est de la RDC à s’engager résolument dans le processus politique de dialogue de Nairobi, facilité par le Kenya. L’éradication de ces groupes, a-t-il estimé, nécessite une approche globale. Si l’on peut comprendre que la RDC soit déterminée à mettre fin à cette menace, il faut toutefois savoir que l’option militaire seule ne suffira pas. L’Envoyé spécial a donc réitéré la pertinence des mesures non militaires que son Bureau s’efforce de promouvoir. La stratégie d’engagement des groupes armés étrangers et des communautés locales qui vient d’être élaborée, au cours de la retraite de la Cellule opérationnelle du Groupe de contact et de coordination, offre, a-t-il affirmé, une perspective complémentaire aux efforts visant la reddition des éléments de ces groupes et la coopération des communautés affectées.
L’envoyé spécial a aussi encouragé les dirigeants de la région à poursuivre leur dialogue de haut niveau sur les moyens de faire face à la menace des groupes armés et pour éviter une escalade des tensions. Le dialogue, a-t-il insisté, reste une condition sine qua non pour mettre fin, de manière durable, à ces problèmes anciens et profondément enracinés. Il est donc capital de continuer à mobiliser les mécanismes bilatéraux et régionaux disponibles, y compris le récent processus du Conclave de Nairobi, la Conférence internationale pour la région des Grands Lacs et, bien entendu, l’Accord-cadre d’Addis-Abeba.
Saluant le leadership du Président Uhuru Kenyatta du Kenya et l’engagement de toute la région, exprimé par le Président Macky Sall du Sénégal, en sa qualité de Président de l’Union africaine, l’Envoyé spécial a annoncé qu’il entamera, à partir de demain, une nouvelle tournée régionale, avant le prochain Conclave de Nairobi. Le message sera triple et simple: la région n’a pas besoin d’une nouvelle crise, maintenons les canaux de dialogue ouverts à tous les niveaux, y compris au niveau communautaire, et préservons les progrès acquis ces dernières années.
L’envoyé spécial a conclu en demandant aux membres du Conseil de sécurité de ne ménager aucun effort pour encourager, chacun à son niveau et selon ses propres canaux diplomatiques, les pays de la région à maintenir un dialogue continu, même sur les questions les plus difficiles. C’est à ce prix que nous pourrons peut-être éviter une aggravation de la crise actuelle.