Sévère réquisitoire du prof Mampuya contre les dérives jurisprudentielles de la Cour constitutionnelle

Le dernier ouvrage du professeur émérite Auguste Mampuya, sous le titre « provocateur et évocateur » de « Sous la houlette de la Cour constitutionnelle, une ‘jurisprudence’ qui ne peut faire jurisprudence », est véritablement un vrai réquisitoire contre les arrêts controversés que rend la Cour constitutionnelle depuis quelques années. Pour le professeur Mampuya, très respecté dans les milieux des juristes, il était temps de remettre les pendules à l’heure en corrigeant la trajectoire d’une Cour constitutionnelle qui s’est, selon lui, octroyée des pouvoirs que ne lui reconnaît pas la Constitution en allant jusqu’à travestir le droit que la légalité qu’elle est censée défendre. Dans une cérémonie de vernissage, organisée, le jeudi 20 juillet 2023, dans la salle des conférences du CEPAS, à Kinshasa l’ouvrage inquisitoire du prof Mampuya a été porté sur les fonts baptismaux par le prof Esambo, doyen de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa. Pour la science juridique, le public a été bien servi par la qualité pas seulement de l’ouvrage, présenté avec maestria par le prof Kodjo Ndukuma, mais aussi par la hauteur des échanges qui ont unanimement appelé la Cour constitutionnelle à remettre la Constitution au cœur de son action.
Depuis son installation, née du morcellement de l’ancienne Cour suprême de justice, la Cour constitutionnelle multiplie des dérives qui ont fini par alerter les doctrinaires du droit. Et quand il s’agit de défendre le droit qu’il a enseigné toute sa vie dans diverses universités, avant d’accéder à l’éméritat, le prof Auguste Mampuya ne porte pas de gants.
Ainsi, le jeudi 20 juillet 2023, il a invité le public dans la salle des conférences du CEPAS, Kinshasa, pour le vernissage de son ouvrage, au titre à la fois «provocateur et évocateur», selon les termes du prof Esambo, intitulé «Sous la houlette de la Cour constitutionnelle, une ‘jurisprudence’ qui ne peut faire jurisprudence». Et c’est le prof Kodjo Ndukuma de la faculté de droit de l’Unikin (Université de Kinshasa) qui a eu le privilège de le présenter au public.
Avec maestria, le prof Kodjo Ndukuna n’a pas failli à la tâche, estimant que, dans son ouvrage, le prof Mampuya «assume sa responsabilité de scientifique pour éclairer la société et interpeller tous les juristes». «C’est un acte d’engagement, c’est l’opinion d’un juriste assume », a dit le prof Kodjo.
En s’attaquant aux nombreux arrêts controversés de la Cour constitutionnelle, depuis l’arrêt Kapuku en 2007 jusqu’au tout récent arrêt Matata du 18 novembre 2022, le prof Mamuya note que la Cour constitutionnelle a fini par s’octroyer de « compétence de régulateur que la loi ne lui accorde pas ». C’est pourquoi, dit-il, on assiste à des jurisprudences totalement déphasées du contexte légal.
En prenant le courage et le temps de rédiger cet ouvrage, le prof Mampuya dit avoir été motivé par le souci de sauver le droit qu’il a toujours enseigné. « Que les juristes s’inquiètent de leur discipline qui prend un mauvais virage», a-t-il lancé, révélant que «ce livre est né d’une interpellation des jeunes juristes sur le dangereux cheminement pris par la Cour constitutionnelle ».
Tout réside dans le «devoir de l’ingratitude»
Dans son ouvrage, le prof Mampuya ne manque pas de titiller les politiciens qui, croit-il, ont participé à la dérive de nos Cours et tribunaux, dont la Cour constitutionnelle. Lié par le « devoir d’ingratitude », le magistrat se sent redevable aux politiques qui l’ont nommé et parvient à torpiller le doit pour les satisfaire.
D’où, la révolte du prof Mampuya : « Je vilipende les politiciens qui ont tout fait pour avilir nos magistrats. Cet ouvrage, c’est aussi pour aider les magistrats à se libérer de la pression des politiciens ».
Le prof Mampuya lance enfin un appel à la prise de conscience collective de la magistrature : «Il y a encore du temps pour le ressaisissement. Il est déjà temps que nos hauts magistrats sauvent, non pas leur amour-propre, mais notre système judiciaire et ses nobles objectifs, par l’abandon de ces jurisprudences non dignes de faire jurisprudence. Il vaut mieux comprendre que ‘Errare humanum est, perseverareautemdiabolicum’ … et ne pas faire de ce salvateur et heureux changement une question personnelle pour tenir à juger par défi »

Econews

Introduction de l’ouvrage : «Sous la houlette de la Cour constitutionnelle, une ‘jurisprudence’ qui ne peut faire jurisprudence»

Les décisions judiciaires, celles de la Cour constitutionnelle comprises, revêtent une autorité particulière qui est liée à la fonction qu’exercent les organes qui les rendent. Elles sont considérées comme étant vraies (resjudicata, pro veritarehabetur) pour exprimer le fait qu’elles ne sont pas nécessairement vraies ni justes. Puisqu’elles ne sont que considérées comme vraies, il est logique que cette présomption de vérité dont elles bénéficient puisse être renversée, mais ça ne peut être que par les moyens prévus à cet effet, les voies de recours, par le moyen desquelles une décision de justice, bien que présumée vraie, peut être réformée ou annulée. On comprend, des lors, l’intérêt que tout le monde a à ce que ces décisions qui fixent les droits respectifs des uns et des autres, entre les parties, ou qui cristallisent le statut juridique des institutions de l’Etat ainsi que l’équilibre fonctionnel entre elles, soient, au regard du droit à appliquer, le mieux justifiées et conformes à ce droit, pour mériter de refléter la noble justice et l’Etat de droit qui doivent présider au fonctionnement de l’Etat et à l’établissement de la paix au sein de la société.
Parallèlement à l’activité des juridictions et à1 propos des décisions qu’elles prennent pour régler les litiges, contentieux, situations ou différends qui leur sont soumis, est apparue une notion servant en quelque sorte à représenter ces décisions et leurs contenus prescriptifs; il s’agit de la «jurisprudence». Sans, pour l’heure, tenter de donner une ou la définition de cette importante notion, on peut constater que, dans ses ambigüités polysémiques, il en est fait des usages plus ou moins orthodoxes ou, parfois, de plus en plus franchement déviants, au point de déconcerter les juristes.
En présumant pour l’instant les différents sens retenus et utilises de la jurisprudence, certains usages qui en sont faits sont susceptibles d’imposer pour l’avenir des décisions judiciaires et, donc, une jurisprudence, à motivations juridique incorrecte ou, même, contraire au droit, normes et procédures, tel que voulu par le constituant et le législateur. L’objet de ces lignes est principalement de faire prendre conscience, sur le plan strictement juridique, de la nécessité et de l’exigence de l’exactitude juridique des décisions judiciaires, en mettant en exergue le contenu et les conditions de cette exigence, de façon à faire découvrir que nombre de ces décisions ne méritent pas de «faire jurisprudence» comme on dit.
Avant d’entrer dans cette problématique multidimensionnelle, pour prévenir certains préjugés franchement subjectifs, je me dois, comme préalable nécessaire, de justifier le droit, parfois le devoir, qu’ont toutes les personnes qui aiment le droit et l’Etat de droit mais aussi mute la Nation de s’intéresser à la qualité de la justice «rendue au nom du peuple» et au respect de l’Etat de droit par les juridictions chargées de «dire le droite en n’étant «soumis qu’a l’autorité de la loi», de dire et vérifier ces exigences. (I). Viendra ensuite le moment pour explorer les conditions d’une «jurisprudence» valide (II) et pour révéler les dérives de décisions qui, à cause de cela, ne méritent pas de «faire jurisprudence» (III).
Auguste Mampuya Kanunk’a-Tshiabo
Professeur ordinaire émérite