Trafic d’influence – Corruption : de quoi l’affaire Vidiye Tshimanga en RDC est-elle le nom en Afrique ?

Le scandale autour de Vidiye Tshimanga, conseiller spécial du président Félix Tshisekedi, soupçonné de corruption et trafic d’influence, enfonce le couteau dans une plaie répandue un peu partout sur le continent africain, privant les économies nationales et les populations de leurs richesses et de leur potentiel de développement. A quand la cicatrisation ?
Vidiye Tshimanga, 45 ans, jouit actuellement de la liberté provisoire prononcée par la justice le 27 septembre, après six jours de détention à la prison de Makala à Kinshasa. Il avait été arrêté suite à la publication de l’enquête du journal suisse Le Temps qui contenait des vidéos en caméra cachée, dans lesquelles le conseiller spécial du président Félix Tshisekedi chargé des questions stratégiques -piégé par de faux investisseurs- promettait des investissements sécurisés dans les mines congolaises grâce à sa proximité avec le chef de l’Etat et des montages financiers opaques incluant des paradis fiscaux. Le tout, en échange de «[s]on pourcentage», 20% des gains de ces derniers.

«Moi, c’est le président»
«Si je demande [au président] quelque chose, il donne. […] Moi, c’est le président…», déclare Vidiye Tshimanga, en anglais, dans la vidéo diffusée.
Ces révélations ont fait l’effet d’une bombe. Tshimanga s’en défend, faisant valoir plutôt son intention de piéger de faux investisseurs. Poussé d’abord à la démission, le conseiller spécial du président est désormais soupçonné de «corruption, trafic d’influence et outrage au Chef de l’Etat». Une enquête est en cours.
Le sujet a fait la Une de la presse nationale et internationale, pendant toute la deuxième moitié de septembre. Alors que l’arrestation du conseiller du président était perçue par une partie de l’opinion comme la volonté des autorités d’appliquer la justice, celle-ci s’est désavouée dès sa remise en liberté provisoire.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs Congolais dénoncent une « théâtralisation », citant parfois en référence l’affaire Vital Kamerhe, l’ex-directeur de cabinet du président condamné en juin 2020 à 20 ans de prison pour corruption et détournement de fonds publics, mais totalement acquitté en juin dernier.
Le «Vidiye Gate» étouffe ainsi la plaie provoquée fin 2021 par la vaste enquête Congo Hold Up de Mediapart, connue pour être la plus grande fuite de documents sur le continent africain et qui démantèle un système corrompu établi autour de l’ancien président Joseph Kabila…

«Preuve tangible de la réalité de plusieurs pays»
En Afrique, les affaires de ce genre ont tendance à se multiplier. On se souvient encore -entre autres- de la condamnation en France du vice-président de Guinée Equatoriale Teodorin Obiang -et fils du président- dans le cadre du procès des biens mal acquis ou la condamnation en 2020 à cinq ans de prison de José Filomeno dos Santos, fils de l’ex-président de l’Angola, pour fraude et trafic d’influence en lien avec la gestion du Fonds souverain angolais qu’il a dirigé à partir de 2013.
Plusieurs autres affaires sont en cours, comme celle de l’ex-président sud-africain Jacob Zuma, impliquant notamment le business family Gupta, ou encore celle du milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz accusé de corruption dans les mines de Guinée, impliquant notamment une épouse de l’ex-président Lansana Conté. Le tycoon se bat en justice en Suisse pour éviter la prison.
Président du Réseau panafricain de lutte contre la corruption et Directeur pour l’Afrique de l’Ouest et francophone de la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF), Jimmy Kande pense que la corruption et le trafic d’influence constituent «des gangrènes pour nos démocraties, pour la gestion de nos pays et pour la bonne gouvernance».
«Le cas de la vidéo de Monsieur Tshimanga n’est qu’une goutte dans l’océan de ce qui se fait partout en Afrique. Nous avons là une preuve tangible de la réalité dans plusieurs pays. Il suffit de voir comment les acteurs politiques détiennent des richesses et facilitent l’attribution des marchés publics aux membres de leur famille parfois sans qu’il n’y ait des processus d’appel d’offres transparents », remarque-t-il.

Quand business et politique s’entremêlent
En RDC, le cabinet du président Félix Tshisekedi a réagi au scandale de Vidiye Tshimanga en rappelant que «la lutte contre la corruption est un des piliers de l’action » du Chef de l’Etat. Soulignant sa vision d’ «édifier une justice sociale profitable à tous», le cabinet présidentiel appelle à «l’exemplarité […] ceux qui dirigent le pays» et promet d’agir à l’encontre de «toute personne» qui enfreint la loi et la déontologie de sa fonction.
Si l’affaire connait une sorte vacance médiatique, les populations et les milieux d’affaires continuent de la décrypter à leur manière. «L’affaire Tshimanga est une grosse caricature du trafic d’influence au premier degré. Sans pardonner le côté malsain, de tels faits s’appuient sur la structure du système et la mauvaise modélisation de la démocratie», explique à LTA un homme d’affaires de premier plan à Kinshasa requérant l’anonymat.
D’après lui, l’approche des élections serait une période propice à ce genre de faits. «Nous sommes à un an et demi des élections en RDC, mais aucun des partis politique n’a de l’argent pour aller aux élections. Regardez les arguments de Tshimanga dans la vidéo où il s’est fait piégé : ‘’j’ai financé la campagne du chef’’. C’est cela qu’on vend finalement. On vend celui qui contrôle le jeu», explique-t-il.
«Tshimanga ne ment pas quand il dit qu’il a financé la campagne ‘’du chef’’. Il connait la famille présidentielle depuis de longues années, notamment depuis Bruxelles et a toujours été prompt à assister le camp Tshisekedi », se souvient cet acteur économique exprimant son pessimisme pour la suite : «malheureusement comme nous ne sommes pas dans des Etats de droit sur notre continent, personne ne va se battre pour rapidement restaurer l’Etat de droit, parce que l’essentiel pour les politiques est d’atteindre leurs objectifs et bien souvent, les moyens importent peu ».
Toujours en septembre, un autre scandale a fait l’actualité, cette fois, du côté du Gabon. L’opposant Guy Nzouba-Ndama, ancien président de l’Assemblée nationale et président du parti Les Démocrates, a été arrêté avec trois valises contenant 1.190.000.000 Francs CFA – environ 1,9 millions d’euros. Alors que le pays prépare les élections présidentielles de 2023, plusieurs analystes ont estimé que ces fonds provenant du Congo Brazzaville pourraient être destinés au financement politique. Après trois jours de garde à vue, une enquête a été ouverte. Le septuagénaire est poursuivi pour «blanchiment des capitaux», «entente avec une puissance étrangère», «tentative de corruption» et «association de malfaiteurs».

En mode «mauvais élève»
Notons que le continent africain n’est pas l’apanage des affaires présumées de trafic d’influence et de corruption dans le monde. Les exemples sont légion. Actuellement, pour ne citer que cela, l’Elysée est secoué par la mise en examen de son secrétaire général Alexis Kohler -un fidèle d’Emmanuel Macron- visé depuis 2018 par des accusations de «prise illégale d’intérêts», «trafic d’influence» et «corruption passive».
Cependant, l’Afrique dans son ensemble ne fait toujours pas bonne figure dans l’indice de perception de la corruption (IPC) de Transpency international. Avec un score de 33/100 en 2021, la région subsaharienne n’a enregistré « aucune amélioration significative », selon la même source. Des pays tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Tanzanie, l’Angola et les Seychelles se démarquent comme ayant connu des améliorations significatives au cours de la dernière décennie, tandis que le Mali, le Liberia et le Botswana affichent les plus gros déclins en termes de score. Dans l’indice de Transparency, la plupart des pays africains occupent le bas du tableau. La RDC notamment arrive 169è, quand le Gabon est 124è, le Cameroun 144è, la Guinée 150è sur 180 pays dans le monde.

La redevabilité des dirigeants, une solution ?
Jimmy Kande reconnait qu’en Afrique ces dernières années, s’observe un éveil des consciences face aux crimes financiers et au trafic d’influence. Il dit comprendre «parfaitement» le pessimisme qu’affichent désormais nombre d’Africains face aux affaires de corruption et trafic d’influence présumées, impliquant des décideurs publics. «Les populations africaines ont perdu confiance en la justice qui est politisée, qui n’est plus indépendante, qui n’est plus impartiale, qui agit sous les injonctions des politiques. La vérité aujourd’hui est que l’arrestation des autorités ne suscite plus de l’’enthousiasme, parce que nous avons vu plusieurs cas ne pas aboutir à des sanctions conséquentes aux actes commis».
Pour ce militant anti-corruption, la «gangrène» a un double effet néfaste dans le sens où les ressources naturelles dont dispose l’Afrique, ne servent pas à l’émergence de puissantes industries locales, mais aussi freine les investisseurs étrangers qui ne veulent pas être mêlés à des actes de corruption ou de trafic d’influence. Une solution ? «Il faut, défend-t-il, qu’il y ait une vraie pression auprès de nos dirigeants de manière à les rendre plus redevables et ce combat doit être mené avec les professionnels de la justice qui doivent également comprendre leur rôle dans le développement de nos pays et je pense que la corruption est d’abord une affaire interne à l’Afrique, que le continent doit chercher à régler avant d’accuser X ou Y». La justice va devoir se retrousser les manches.
Ristel Tchounand (La Tribune Afrique)