Tribune de Jean-Louis Bissangilwa : les IXèmes Jeux … l’affront de la Francophonie

Contre vents et marées ce, après deux reports, le Président de la République Démocratique du Congo, Son Excellence Monsieur Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, affectueusement « Fatshi Béton », a ouvert, le 28 juillet 2023, dans un stade des Martyrs de la Pentecôte, plein à craquer, les IXèmes Jeux de la Francophonie. Il l’a dit, il l’a fait. C’est le moins que l’on puisse dire.

Grand rendez-vous de la jeunesse, les jeux de la Francophonie ont fait le pari, depuis 1987, de l’alliance du sport, de la culture et de la paix. C’est l’unique évènement international francophone qui place, sur une même scène, les jeunes, le sport et les arts pour témoigner la solidarité francophone pour la paix.

Au-delà de montrer l’impact de l’organisation des Jeux de la Francophonie sur le développement du pays hôte, la présente tribune soulève quelques questionnements sur la place qui doit revenir à la RDC, 2ème pays francophone du monde, dans l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

En effet, les Jeux de la Francophonie ont un impact significatif tant sur les plans économique, social, culturel que diplomatique pour le pays organisateur du fait qu’ils réunissent des jeunes athlètes et artistes francophones du monde entier, offrent une opportunité unique de promouvoir la diversité culturelle et linguistique au sein de la Francophonie.

Cet événement sportif et culturel peut influencer le développement du pays hôte de plusieurs manières, la présente tribune en retient 7, à savoir :

  1. Stimuler l’économie locale : L’accueil de grands événements sportifs internationaux génère des revenus importants grâce aux dépenses des touristes, aux droits de diffusion, aux sponsors et aux investissements dans les infrastructures sportives. Ces investissements peuvent créer des emplois, stimuler le secteur du tourisme et renforcer le tissu économique du pays. En effet, les jeux attirent un grand nombre de visiteurs internationaux, tels que les athlètes, les artistes, les supporters ainsi que les délégations officielles. Cette affluence génère des retombées économiques importantes pour le pays hôte, notamment en termes de dépenses dans les hôtels, les restaurants, les transports et les commerces locaux. De plus, l’organisation de l’événement nécessite des investissements dans les infrastructures sportives et culturelles, ce qui stimule l’activité économique et crée des emplois temporaires et permanents.
  • Promouvoir le tourisme et l’image du pays :   En accueillant les Jeux de la Francophonie, le pays hôte bénéficie d’une visibilité internationale accrue. Les médias du monde entier couvrent l’événement, offrant une occasion unique de promouvoir les attraits touristiques, culturels et historiques du pays. Cette visibilité médiatique peut susciter un intérêt renouvelé pour le pays en tant que destination touristique, attirant ainsi de nouveaux visiteurs même après la fin des jeux.
  • Bénéficier d’un héritage des infrastructures : L’organisation des Jeux de la Francophonie nécessite souvent la construction ou la modernisation d’infrastructures sportives et culturelles(les stades, les installations d’entraînement et les infrastructures connexes). Une fois les jeux terminés, ces installations deviennent un héritage durable pour le pays hôte, offrant des équipements de qualité pour les athlètes locaux et les citoyens qui souhaitent pratiquer des activités sportives ou culturelles à l’avenir.
  • Contribuer au renforcement de la diplomatie et des relations internationales : Les Jeux de la Francophonie sont un lieu de rencontres et d’échanges entre les pays participants, ce qui favorise la diplomatie sportive et culturelle. Les interactions entre les délégations peuvent contribuer à renforcer les relations bilatérales et multilatérales, favorisant ainsi la coopération dans divers domaines, tels que l’éducation, la culture et l’économie.

Le sport peut être un puissant outil de diplomatie et de rapprochement entre les nations. Les compétitions sportives offrent une plateforme pour le dialogue et la coopération entre les pays, encourageant ainsi le développement de relations diplomatiques positives. Les échanges sportifs peuvent aider à résoudre des conflits et à promouvoir la compréhension mutuelle entre les cultures.

  • Encourager le développement des talents locaux : L’accueil des Jeux de la Francophonie peut inspirer une nouvelle génération de jeunes talents locaux dans les domaines sportif et culturel. Les performances des athlètes et des artistes nationaux peuvent servir de modèles et d’inspiration pour les jeunes, encourageant ainsi leur engagement dans ces disciplines et favorisant leur développement personnel et professionnel.
  • Participer à la célébration de la diversité culturelle : Les Jeux de la Francophonie sont l’occasion de célébrer la richesse de la diversité culturelle au sein de l’espace Francophone. Les manifestations culturelles et artistiques organisées pendant l’événement mettent en valeur les traditions, les coutumes et les expressions artistiques des différents pays participants, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance à cette communauté linguistique et culturelle.
  • Contribuer au renforcement de l’identité nationale et de la fierté : L’accueil des Jeux de la Francophonie peut renforcer l’identité nationale du pays hôte et susciter une fierté collective parmi la population. L’organisation réussie de l’événement peut être perçue comme un accomplissement national, contribuant ainsi à renforcer le sentiment d’appartenance à la nation.

Sous cet aspect, le sport, par exemple, est un facteur d’intégration sociale et de réduction des inégalités en ce qu’il rassemble des individus issus de divers horizons socio-économiques et culturels. Les compétitions sportives offrent des opportunités d’échanges interculturels et peuvent atténuer les tensions sociales. De plus, en offrant des chances égales de réussite dans le sport, quel que soit le milieu social d’origine, le sport peut contribuer à réduire les inégalités et à promouvoir l’égalité des chances.

Comme il y a lieu de le constater, l’impact de l’organisation des Jeux de la Francophonie sur le développement du pays hôte est pluridimensionnel. Au-delà de l’aspect sportif et culturel de l’événement, les jeux offrent des opportunités économiques, touristiques, diplomatiques et sociales. Cependant, pour maximiser les bénéfices de l’accueil de cet événement, il est essentiel que la RDC planifie soigneusement l’organisation, en tenant compte de sa position géostratégique et de son  nouveau rôle à faire valoir, au sein de l’Organisation Internationale de la Francophonie, (OIF), après le succès des 9èmes jeux de la Francophonie,

Dans cette perspective, la RDC devra – t–elle se limiter à célébrer le succès de l’organisation des 9èmes jeux de la Francophonie sans en tirer des dividendes économique, politique et diplomatique tangibles ? Quelle est la place du Numérique dans l’organisation de ces jeux au regard de la récupération et la manipulation des données, qui peut en résulter, par les forces obscures et espions ? Comment l’opinion tant nationale qu’internationale interprète – t – elle l’absence de la Secrétaire Générale de l’OIF, d’origine rwandaise, aux 9èmes jeux de la Francophonie de Kinshasa ? N’est-ce pas là, un affront de la Francophonie ; une faute diplomatique grave pour une Secrétaire Générale élue par les Chefs d’Etat ?

Au regard de ces questionnements, il importe de relever  ce qui suit :

  1. Pour la RDC, il ne s’agit pas des simples jeux ! Il ne s’agit surtout pas de passer 10 jours de recréation, de réjouissance ou de distraction. La tenue de ces jeux requiert la reconfiguration et la requalification des rôles, des acteurs au sein l’OIF. A cet effet, la redéfinition des politiques publiques devant justifier la poursuite de la participation de la RDC à l’OIF s’impose !
  • Par ailleurs, la stratégie de la RDC devra s’inscrire dans la durabilité. En effet, pour rentabiliser les investissements réalisés dans les infrastructures sportives et pérenniser les bénéfices sociaux et économiques de l’événement, la tribune recommande :
  1. Une planification stratégique à long terme : En principe, dès la phase de candidature pour accueillir la compétition internationale, il était crucial d’intégrer une planification stratégique à long terme pour les infrastructures sportives. Cela implique d’évaluer sérieusement les besoins futurs en matière d’installations sportives, en tenant compte de leur utilisation post-compétition. Il faut s’assurer que les infrastructures construites seront adaptées aux besoins de la population locale après l’événement.
  1. Utilisation polyvalente des infrastructures : Pour assurer la viabilité des infrastructures sportives, il est important de les concevoir pour permettre une utilisation polyvalente. Par exemple, un stade conçu pour accueillir une compétition spécifique peut être adapté pour accueillir d’autres sports, des concerts, des événements culturels ou des foires commerciales. Cela permet de maximiser l’utilisation des infrastructures et de les rentabiliser tout au long de l’année.
  1. Intégrer les infrastructures dans le tissu urbain : Les infrastructures sportives devraient être intégrées dans le tissu urbain de manière à répondre aux besoins de la communauté locale. Elles doivent être facilement accessibles en transport en commun, et leur emplacement doit être choisi en tenant compte des activités sportives et récréatives existantes dans la province. Une intégration réussie favorise leur utilisation continue par la population locale après l’événement.
  1. Engager les populations locales : Impliquer activement les bénéficiaires dans l’utilisation et la gestion des infrastructures sportives est essentiel pour assurer leur durabilité. Le Gouvernement, les organisations sportives, les écoles et les clubs doivent collaborer pour créer des programmes et des initiatives qui favorisent une utilisation régulière des installations par la population.
  • Développer des programmes sportifs et récréatifs : La création d’un Guichet Unique où les projets et programmes culturels, sportifs et récréatifs attrayants seront déversés. C’est un moyen efficace de promouvoir l’utilisation des infrastructures après l’événement. Les écoles, les clubs sportifs et les organisations communautaires peuvent proposer des activités adaptées à différents groupes d’âge et niveaux de compétence, encourager les jeunes talents, et promouvoir un mode de vie sain et actif.
  • Promouvoir le Partenariat Public-Privé : Le partenariat public-privé peut être une solution pour assurer la viabilité financière des infrastructures sportives. Les entreprises privées peuvent être impliquées dans la gestion, l’entretien et le financement des installations, tandis que le Gouvernement se limite à soutenir leur utilisation pour le bien-être de la communauté.
  • Assurer entretien et rénovation réguliers : Pour garantir la durabilité des infrastructures sportives, il est essentiel de prévoir des budgets pour leur entretien et leur rénovation réguliers. Un suivi attentif de l’état des installations et des équipements est nécessaire pour éviter les dégradations et assurer leur bon fonctionnement à long terme.

La viabilité des infrastructures sportives après l’organisation d’une compétition internationale dépend d’une planification stratégique, de l’implication des communautés locales, de l’utilisation polyvalente des installations et du développement de programmes culturels, sportifs et récréatifs attractifs. En investissant dans des infrastructures durables et en assurant leur utilisation continue, la RDC peut maximiser les retombées positives des Jeux de la Francophonie à long terme, tant sur le plan social que sur le plan économique.

L’affront de la Francophonie

En 2012, les 13 et 14 octobre, se tenait à Kinshasa, en RDC, et pour la première fois en Afrique Centrale, le XIVème Sommet de la Francophonie sous le thème « Francophonie, enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale ». L’objectif des Chefs d’Etat consistait à confirmer la Francophonie comme acteur important des relations internationales.

Ce sommet s’était déroulé sur fond d’une tension diplomatique entre Kinshasa et Paris au point que le Président Français, Monsieur François Hollande, ne s’était pas empêché d’afficher un comportement méprisant à l’égard de son homologue Congolais, Monsieur Joseph Kabila. C’est la RDC qui était méprisée !

En dépit du contexte économique mondial marqué par la récession, la situation sécuritaire préoccupante à l’Est du pays ; la RDC a accepté d’organiser les 9èmes Jeux de la Francophonie, à Kinshasa, du 28 juillet au 06 août 2023 ce, après le désistement du Canada. Ces jeux connaissent également une crise diplomatique inacceptable. La Francophonie ne doit pas être une malédiction pour la RDC.

Ces jeux sont un évènement traditionnel de l’OIF ralliant épreuves sportives et culturelles tous les quatre ans. C’est l’OIF, par sa Secrétaire Générale, ancienne Ministre des Affaires Etrangères du Rwanda, Madame Louise Mushikiwabo, élue en 2018 à la tête de l’OIF, qui en fixe le protocole, notamment en matière d’infrastructures, de logement, d’hébergement et même de la cérémonie d’ouverture et de clôture. Aussi, le Secrétaire Général de l’OIF prend la parole à la cérémonie d’ouverture, c’est la tradition !

L’aveu d’abandon de la Secrétaire Générale de la Francophonie est un véritable affront. La violence de cet acte est comparable à la décision de 2009 du Rwanda de quitter la Francophonie avec la fermeture du Centre Culturel Français de Kigali en 2009.

Si le Président Français Emmanuel Macron, en marge de son récent voyage en RDC, a exigé au patronat français de désigner les chefs d’entreprises ayant la position de décision pour l’accompagner au Forum Economique de Kinshasa ; il est difficile de digérer que la Secrétaire Générale de l’OIF se fasse remplacer par une administratrice, une personnalité non élue, ne travaillant pas dans la sphère politique, mais administrative. Et c’est elle, qui a pris la parole le 28 juillet dernier à l’ouverture des jeux. Est-ce une insulte, un mépris ou un manque de considération pour le peuple congolais et pour tout francophone ? Quel sera l’état d’esprit des dirigeants de l’OIF après le succès des 9èmes jeux en l’absence de sa Secrétaire Générale aux festivités de Kinshasa ?

La Francophonie cultive le droit à la différence sous le sceau du droit international. Aussi, la diplomatie sportive consiste à rassembler les peuples, à garantir la paix grâce au dialogue inter Etat, au dialogue interculturel. Cela exige que le Secrétaire Général d’une telle organisation soit au-dessus de la masse. La tension diplomatique entre la RDC et le Rwanda ne pouvait aucunement empêcher Madame Louise Mushikiwabo, de faire le déplacement de Kinshasa, de faire son job.

Quand l’organisateur des jeux de la Francophonie veut se faire inviter…, Que retiendra la jeune génération des 9èmes jeux organisés par l’OIF à Kinshasa ? La qualité de l’organisation des jeux ? L’hospitalité légendaire de la RDC ou encore l’absence de la Secrétaire Générale de l’OIF, d’origine rwandaise ?

Pour conclure, l’organisation des 9èmes Jeux ne sont pas une fin en soi. La RDC étant au cœur de la transformation digitale et de la transition énergétique, devrait bénéficier d’un accompagnement stratégique et privilégié de l’OIF. Aussi, la RDC devra occuper la place qui lui revient, au sein des instances de l’OIF, au regard de son poids démographique, de sa superficie et de la réponse qu’elle apporte à l’humanité en tant que pays – solution au dérèglement climatique.

Le sport, la culture, les arts contribuent au développement des nations et à la paix dans l’espace francophone. Pour le sport, au-delà de son rôle en matière de compétition et de divertissement, ce secteur peut jouer un rôle transformateur dans la société. En exploitant pleinement le potentiel du sport pour promouvoir la santé, renforcer l’identité nationale, réduire les inégalités, stimuler l’économie, encourager la diplomatie et investir dans les infrastructures et les ressources humaines, la RDC peut véritablement bénéficier d’un développement durable et équilibré. Cela nécessite toutefois une vision stratégique, des politiques publiques appropriées et une coopération entre les différentes parties prenantes pour tirer le meilleur parti de ce puissant levier de développement qu’est le sport.

Et si je pouvais chuchoter à l’oreille du Chef de l’Etat pour attirer son attention… Vigilance même en jouant !

Enseignant/Chercheur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de l’Unikin.

Candidat à la Députation Nationale dans la circonscription de Kinshasa/Lukunga. ([email protected])