Turbulences post-électorales : l’Union sacrée au bord de l’implosion

Le calme qui précède la tempête. Ainsi pourrait-on qualifier l’ambiance délétère qui prévaut au sein de l’Union sacrée de la Nation (USN), la plateforme politique à la base de la réélection de Félix Tshisekedi à la magistrature suprême après les élections du 20 décembre 2023. Si la présidentielle en soi n’a pas fait l’objet de contestations significatives, hormis les allégations de fraudes massives dénoncées par les oppositions,  l’on assiste à une levée de boucliers au sein même de l’Union sacrée à la suite de la publication des résultats provisoires des législatives nationales.  Des voix s’élèvent – et pas des moindres – parmi les alliés de l’UDPS pour dénoncer des irrégularités dans «la désignation» des députés nationaux. Le premier à donner de la voix, c’est curieusement le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, membre éminent du présidium de l’USN, donné hier pour l’un des acteurs majeurs de la réélection de Tshisekedi. Un signe qui ne trompe pas et qui risque de faire des émules dans les jours à venir. 

C’est un spectacle pour le moins inattendu auquel l’on a assisté, le mardi 16 janvier, devant le siège du MLC, avenue du Port, dans la municipalité de  Gombe à Kinshasa. Des membres du parti politique de Jean-Pierre Bemba protestaient contre le maigre score réalisé par le MLC aux législatives nationales. Circulation perturbée, pneus brûlés sur la chaussée. Dans la bouche des manifestants, un nom revenait souvent, celui de Denis Kadima, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).  Ils l’accusaient d’avoir tripatouillé les suffrages au profit de l’UDPS.

Que la manifestation se soit tenue devant le siège même du MLC, sans que les protestataires ne soient inquiétés, a fait dire aux observateurs neutres que la décision  de descendre dans la rue devait venir «d’en haut »; en clair, ils ne pouvaient exprimer leur colère sans le quitus de leur leader ou à tout le moins, des instances dirigeantes de ce parti.

L’argument principal entendu était que le parti de Jean-Pierre Bemba ne pouvait se satisfaire du score rachitique de trois (3) sièges à peine dans la capitale, lui qui aurait œuvré significativement pour la réélection de leur allié, mobilisant principalement dans la partie nord-ouest du pays, donnée généralement pour son fief naturel.  Sans que l’on explique par quel mécanisme la CENI aurait favorisé l’UDPS au détriment du MLC.

MENACE D’IMPLOSION

Raphaël Kibuka, secrétaire général du MLC, a appelé les militants au calme, leur signifiant que le parti allait saisir les instances compétentes et la hiérarchie de l’Union sacrée. «Ces résultats nous ont déçus (…) Au niveau du parti, la hiérarchie est en train d’analyser de manière à se prononcer dans les jours à venir. Nous allons faire valoir nos droits non seulement devant les cours et tribunaux, mais également à la hiérarchie de l’Union sacrée de la nation», a-t-il déclaré.  Par la même occasion, il a réfuté la rumeur selon laquelle le MLC pourrait appeler à l’insurrection, concluant que la manifestation avait été spontanée, n’ayant pas souvenance d’avoir lu ou vu une instruction d’une autorité ou d’un candidat malheureux quelconque.

Il n’empêche que les protestations du MLC ne resteront pas longtemps isolées; ils sont des dizaines parmi les regroupements politiques alliés à l’UDPS qui ont réalisé des scores qui ne leur permettent pas d’envoyer leurs députés siéger à l’Assemblée nationale, par défaut d’avoir atteint le seuil électoral de 1%. Les murmures enflent au fil des semaines dans les états-majors politiques, faisant peser sur l’USN la menace de l’implosion, compte tenu du caractère hétéroclite de la plateforme où se retrouvent des sensibilités aussi disparates qu’aux idéologies improbables.

AUGUSTIN KABUYA HAUSSE LE TON

La veille, 15 janvier, devant les veuves de la Ligue des Femmes de l’UDPS réunies eu siège du parti à la 11è Rue Limete, à Kinshasa, Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS, se lâchait, et fustigeait ceux-là qui l’accusaient justement d’avoir, avec Denis Kadima, contribué à l’échec des candidats issus non seulement des regroupements politiques alliés, mais aussi des membres de l’UDPS, mais surtout de l’influence qu’il aurait exercée sur le président de la CENI dans la funeste démarche.

«Si j’avais le pouvoir de faire élire des gens à la CENI, pourquoi je ne l’ai pas exercé pour mon propre directeur de cabinet qui a échoué à la députation nationale dans la circonscription de Funa», s’est-il interrogé, mettant les rumeurs dont il serait l’objet sur le compte d’une «haine viscérale » que lui voueraient en interne certains membres de l’UDPS.

Interrogé sur les ondes de RFI, Olivier Kamitatu, porte-parole de Moïse Katumbi, candidat malheureux à la présidentielle du 20 décembre 2023, n’a pas été tendre avec la CENI : «Nous leur répondons simplement que nous venons de vivre le plus grand braquage électoral de l’histoire du pays ou même des États modernes. Cela veut dire que personne ne peut dire aujourd’hui, à la date du 20 décembre, combien de bureaux de vote ont été ouverts, combien de machines à voter ont été opérationnelles, combien de bulletins de vote ont été remis à chacun de ces bureaux… Nous ne savons rien de ces élections, si ce n’est qu’elles ont continué pendant 7 jours et pendant 7 nuits, en dehors de tout contrôle ! Et l’on peut même dire que, le soir du 20 décembre, après les 11 heures de vote, Moïse Katumbi était en tête de ces élections. Les machines à voter ont commencé à ronronner à partir du 20 décembre au soir, pendant 7 jours et 7 nuits, sans aucun contrôle.»

Répondant à la déclaration d’Olivier Kamitatu, porte-parole d’Ensemble de Moïse Katumbi remettant en question les résultats de la présidentielle, où son leader est crédité de 18% de suffrages, Augustin Kabuya a estimé que l’homme, arrivé en seconde position, ne méritait même pas ce score. Laissant dubitatif sur le rôle qui aurait été le sien dans l’attribution des suffrages, lui qui se défend bec et ongles de n’avoir joué aucun rôle auprès du président de la Centrale électorale.

De l’avis d’Augustin Kabuya, l’équipe de Moïse Katumbi ne pouvait pas résister à la machine politique de l’USN : «Je peux vous dire que l’Union sacrée a mené une campagne d’encerclement. Quand vous regardez au Nord de notre pays, tous les hommes influents de la politique congolaise étaient derrière le candidat numéro 20, son excellence Félix Tshisekedi. Quand vous allez au niveau de l’Est, c’était la même chose. À l’Ouest, n’en parlons même pas…».

Quoi qu’il en soit, c’est au sein du présidium de l’Union sacrée de la Nation que les tensions sont beaucoup plus vives. Le MLC, qui se dit avoir été floué, n’est pas prêt à lâcher prise.

Jeudi à Mbuji-Mayi, fief incontestable de l’UDPS, les partisans de Jean-Pierre Bemba étaient encore dans la rue pour faire entendre leur voix.

Econews