Union européenne et présidentielle en France : la rupture avec Le Pen ou la réforme avec Macron

Les deux candidats à la présidentielle française ont abordé mercredi, dans le traditionnel débat d’entre-deux tours, les questions européennes avec deux attitudes radicalement contraires : l’une veut décider seule, l’autre choisit la diplomatie.
Les deux finalistes à la présidentielle française, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ont eu de vifs échanges mercredi soir lors de leur débat télévisé en s’affrontant sur la Russie, l’économie, les prix de l’énergie ou encore l’Europe, à quatre jours du second tour.
Au bout d’un quart d’heure de débat, les deux candidats ont une première fois croisé le fer sur un sujet européen : le marché européen de l’électricité. L’inflation des prix de l’énergie, liée au gaz, impose aux décideurs de s’y pencher. Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’illustrent ici par leur différence d’approche fondamentale. La candidate du RN veut quitter le marché européen, Emmanuel Macron a engagé, quant à lui, un travail de concertation avec nos partenaires européens pour le réformer et découpler le prix du gaz de celui des autres sources d’énergies renouvelables et du nucléaire.
Ce débat résume à lui seul les postures des deux candidats vis-à-vis de l’Europe. Marine Le Pen privilégie, devant chaque difficulté, une décision unilatérale là où Emmanuel Macron travaille au sein des institutions européennes pour les transformer. Évidemment, la seconde démarche demande du temps et d’engager du capital politique dans la négociation avec les autres États membres. Ce qui revient à faire de la diplomatie un travail de conviction avec opiniâtreté. C’est ce travail souterrain que fait la France depuis le premier jour de la création des institutions européennes. À l’opposé, Marine Le Pen décrète une position et pense que le «qui m’aime me suive» générera une «Europe des nations», très différente de l’Union européenne.

Un clash sur le travail détaché
En vérité, les institutions européennes sont loin d’être parfaites. Elles sont perfectibles, mais la méthode choisie par Marine Le Pen brise le dialogue avec nos partenaires au lieu de le nourrir. Elle propose par exemple la fin du travail détaché pour éviter la migration de travailleurs de l’Est. Ce faisant, elle se heurtera, au premier chef, avec son allié Viktor Orban, le Premier ministre hongrois. Pour lui, la libre circulation des travailleurs est une vertu cardinale du marché unique…
Emmanuel Macron lui fait remarquer que les travailleurs frontaliers français (plus de 400.000) qui vont chercher des emplois en Suisse, au Luxembourg, en Allemagne, ou encore en Belgique seront forcément victimes de mesures équivalentes de la part de nos partenaires. Mettre fin au travail détaché aura aussi des conséquences dommageables pour les Français. Il n’y aura pas d’action unilatérale de la France sans réaction tout aussi brutale et réciproque de nos partenaires européens.

La préférence nationale contre la régulation de la mondialisation
Le fond du discours de Marine Le Pen s’inscrit dans la logique de la « préférence nationale » et du localisme, ce qui justifie de dénigrer systématiquement les accords de libre-échange. Tout accord de commerce international n’est pas bon à prendre. Or, elle commet à ce moment-là du débat deux erreurs factuelles en brandissant la menace du « poulet brésilien » et de la viande bovine canadienne. Emmanuel Macron lui fait remarquer, à juste titre, que l’Union européenne n’a pas ratifié d’accord avec le Brésil (l’un des pays du Mercosur), précisément parce que la France s’y est opposée. Notamment parce que le Brésil tolère une politique de déforestation dévastatrice pour l’équilibre de la planète.
Quant à la viande bovine canadienne, elle n’a pas envahi les étals français. Marine Le Pen s’est opposée au Ceta, l’accord commercial avec le Canada, dans l’idée de protéger l’élevage français contre le dumping canadien. En septembre 2021, les premiers rapports tombent sur l’application du Ceta. L’invasion de la viande bovine canadienne n’a pas eu lieu. C’est même plutôt l’inverse ! « La France n’a importé que 1 577 tonnes d’équivalent carcasse. Elle en a exporté 21 000 tonnes sous forme d’aloyau », observait Sandrine Gaudin, la secrétaire générale des Affaires européennes devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. La balance commerciale de la France vis-à-vis du Canada a été positive et a atteint le montant record de 650 millions d’euros en 2019.
Tacle sur l’aide à l’Ukraine
L’agriculture française est exportatrice et alimente positivement la balance commerciale. S’il y a un secteur qui a besoin des accords de libre-échange pour pénétrer de nouveaux marchés étrangers, c’est bien celui-là. Là aussi, la critique a besoin d’être subtile : autant il ne s’agit pas d’ouvrir les frontières à tous les vents, autant on ne peut imaginer une France repliée sur elle-même derrière de hautes barrières douanières.
Pour Macron, l’Europe est l’outil de régulation de la mondialisation, là où Marine Le Pen y voit le grand méchant mercantile, à la solde de l’Allemagne.
On peut aussi déplorer un mensonge de Marine Le Pen s’agissant de l’attitude du RN vis-à-vis de l’Ukraine, dont elle se dit solidaire. Elle affirme qu’elle serait prête à aider financièrement le régime de Kiev. Là aussi, Emmanuel Macron l’a reprise sur un fait irréfutable : le 16 février 2022 sur l’aide d’urgence pour l’Ukraine – un prêt de 1,2 milliard d’euros –, les eurodéputés RN ont fait partie des 55 votes négatifs (7,80 % du Parlement européen). Marine Le Pen a nié cette réalité. L’une de ses représentantes, l’eurodéputée Hélène Laporte, a pourtant pris la parole le jour du vote pour souligner que « de nombreuses armes sont vendues par les Américains à l’Ukraine » et qu’il « appartient à la France d’avoir une politique gaullienne, qui nous maintient à égale distance entre les États-Unis et la Russie ».

Econews avec Le Point Afrique