Vent de panique à l’Assemblée nationale : « Députés nationaux, publiez ce que vous gagnez ! »

A l’Assemblée nationale, au-delà de 16 millions bruts de francs congolais le mois, soit environ 8.000 USD, alloués officiellement aux élus nationaux, le reste de primes, logées dans la rubrique des « invisibles », dépend des relations qu’on entretient avec le tout puissant Christophe Mboso, président de la chambre basse du Parlement. Les révélations de Martin Fayulu, faisant état des émoluments de 21.000 USD mensuels aux députés nationaux, ont eu l’effet d’une bombe. On sait aujourd’hui que les députés nationaux sont traités au cas par cas. Là où d’autres se contentent de ce qui leur est alloué par le Trésor public, Mboso gratifie son précarré des sommes astronomiques pour obtenir leur silence. Pour clore la polémique, la population ne demande qu’une chose : « Députés nationaux, publiez ce que vous gagnez ! »
Econews
Depuis les dernières révélations de Martin Fayulu sur les émoluments accordés aux députés nationaux, la polémique a pris une toute autre dimension. Pour le moment, le bureau de l’Assemblée nationale est encre aphone. Seul le directeur de cabinet du président de la chambre basse du Parlement a rompu le silence, sans pour autant donner des éléments probants pour contredire Martin Fayulu.
«Aucun député national ne peut dire et prouver qu’il gagne 21.000 dollars, y compris les élus d’ECIDé », le parti de M. Fayulu, a réagi auprès de l’AFP le député Samuel Mbemba, directeur de cabinet du président de la chambre basse du Parlement congolais. Et de poursuivre : «C’est un discours populiste tenu à dessein pour créer un conflit social entre les députés nationaux et le peuple que ces derniers représentent et aident », accusant l’opposant « de fantasmer » sur les salaires des députés.
Il faut cependant reconnaître que la bombe Fayulu a eu des effets dévastateurs. L’opinion publique sait aujourd’hui que ces élus nationaux, les mêmes qui ont promis en 2018 d’être les dignes représentants du peuple, travaillent plus pour leurs intérêts que ceux de la population. A l’Assemblée nationale, le crédo est « se servir d’abord », avant de penser aux autres.
En perte de vitesse sur la scène politique, Martin Fayulu a donc choisi le bon tempo pour lancer son missile qui a finalement mis sans dessus, sens dessous toute la classe politique. Il faut lui reconnaître le mérite d’avoir réussi son coup.
En tout cas, à l’Hémicycle, chaque élu – les plus courageux – tentent de se justifier, sans convaincre. Mercredi sur la toile, un élu national a posté sur Whatsapp son bulletin de paie. Croyant démentir Fayulu, il a plutôt jeté de l’huile sur le feu en prouvant, noir sur blanc, que les députés nationaux ne doivent rien à l’Etat qui les paient grassement, sauf aux partis et regroupements politiques qu’ils représentent à l’Hémicycle.3
Sur la fiche de paie qui a fait le tour du Net, pas une trace de retenues en termes d’IPR (impôt sur les revenus professionnels) sur les émoluments des députés, mouvementés depuis le compte général du Trésor. Pas une trace non plus de frais de remboursement des Jeeps « Palissade », présentes à leur acquisition, comme un crédit accordé aux élus nationaux. Les seules retenues, suivant cette liste de paie, c’est la quotité de leurs émoluments versés à leurs partis ou regroupements politiques.
Autrement dit, face aux prélèvements publics, les députés sont totalement exemptés. Le seul à qui ils sont redevables, c’est leur parti ou regroupement politique.

Vague d’indignation
Ce qui donne plus d’arguments à ceux qui demandent plus de transparence aux émoluments réellement payés aux élus nationaux
«Ces salaires astronomiques des députés sont scandaleux par rapport à ce que gagnent les médecins, les professeurs d’université ou les fonctionnaires», a dénoncé Trésor Kibangula de l’institut de recherche sur la gouvernance «Ebuteli», basé à l’université de New York.
Évoluant dans une opacité totale, les salaires des députés sont ventilés dans plusieurs rubriques, comme « les réserves parlementaires de 3.000 à 3.500 dollars US versées à chaque député » sans base légale, a-t-il regretté.
Le prof Florimond Muteba de l’ODEP (Observatoire de la dépense publique) pense que la Cour des comptes a l’occasion de redonner son image en fouinant dans les comptes de l’Assemblée nationale où «des primes et des invisibles», difficilement retraçables, gonflent les émoluments des députés nationaux, violant le principe de la loi des finances.
«Les invisibles n’existent pas» dans la loi des finances publiques, dit le prof Muteba.
«C’est de la corruption», le président de l’ODEP, qui dénonce, en même temps «une grande opacité» dans la gestion des finances publiques à différentes échelles institutionnelles.
Tout en se réservant, le prof Muteba est d’avis que «l’alerte de Martin Fayulu doit être prise au sérieux».
Un simple fonctionnaire congolais touche 155.000 francs congolais (52,5 dollars US), un professeur d’université gagne en moyenne 2.000 dollars US alors que le salaire d’un médecin tourne autour de 1.000 dollars US.
Dans un communiqué, publié mercredi, l’ACAJ (Association congolaise pour l’accès à la justice) « recommande au Bureau de l’Assemblée nationale de déférer à l’exigence de recevabilité en publiant les émoluments mensuels effectivement versés aux députés nationaux ». « Le peuple a droit à une information certaine et crédible », martèle Me Georges Kapiamba, président de cette ONG de défense des droits de l’homme.
Pour l’ACAJ, le bureau Mboso doit publier carrément les émoluments mensuels versés à chaque député pour ramener le calme dans l’opinion publique.
Jeudi, Me Georges Kapiamba a récidivé en s’attaquant directement au slogan cher à l’UDPS, «Le peuple d’abord ».
Sur son compte twitter, Me Georges Kapiamba demande à ce que le «Peuple d’abord, prôné par le Président de la République, se matérialise par la RÉDUCTION SENSIBLE du train de vie des institutions Présidence de la République, Gouvernement et Parlement à l’occasion de l’adoption du budget général de l’Etat 2023 ».

Les troublantes révélations de Jean-Baptiste Muhindo Kasekwa

Député national, élu de Goma, et membre de la commission Défense et Sécurité à l’Assemblée nationale, Jean-Baptiste Muhindo Kasekwa, par ailleurs, secrétaire général adjoint de l’ECIDé, a fait de troublantes révélations sur l’affaire, dite «21.000 USD» d’émoluments aux élus nationaux. Son intervention.

Votre réaction aux 21.000 USD payés aux députés nationaux
Nous sommes redevables à la population et cette redevabilité, c’est de dire la vérité autour de ce que nous gagnons, autour également des charges que nous portons. Le budget 2022 alloue aux députés un traitement de base, pour tous les 500 députés, de 128.420.464.000 FC. Lorsque vous divisez par 500, par député et par mois, vous avez l’équivalent de 21.403.410 FC. Ça, c’est le traitement de base prévu dans le budget 2022, c’est-à-dire 10.701 USD, si l’on considère le taux de 2.000 FC/USD. Mais avec le taux de 2.050 /USD, ça peut être moins. A côté de ça, le bureau alloue en termes de charges des députés, en termes de transport, en termes de communication, en termes de logement, un montant – ce que Sesanga a appelé avantages et primes diverses – qui atteignent le 5.000 USD. Maintenant, il est vrai que depuis le mois de mars 2022, il s’est annoncé une rubrique qui fait polémique que les députés avaient posé depuis longtemps, que certains députés appelaient « réserve parlementaire », c’est-à-dire ils estiment que lors de leurs descentes sur le terrain, lors des vacances parlementaires, ils sont tellement sollicités que ce qu’ils gagnent ne parvient pas à leur permettre d’entretenir tout leur séjour – et ce qui est en discussion. Certains estiment que Félix Tshisekedi l’avait promis dans un discours qu’il allait accompagner ces descentes des députés sur le terrain. Alors, c’est là que se pose le débat d’une majoration de 5.000 USD. Et c’est ce qui s’évaluerait avec le total à 20.000 USD.

Donc, Martin Fayulu n’a pas dit la vérité ?
Il n’a pas tous les chiffres en détails. Mais il n’a pas non plus menti.

Il estime que c’est quand même scandaleux pour les députés nationaux de toucher ce montant, alors qu’on a des professeurs, des enseignants de l’école primaire, des médecins, des infirmiers qui sont en grève parce qu’ils ne sont pas payés ?
Madame, personne ne peut nier le caractère scandaleux de ça. Je viens de Goma, où il y a un enseignant qui est tombé en plein rassemblement devant ses élèves, parce que l’enseignant avait une classe de 128 élèves et qu’il gagne 330.000 FC (seulement 165 USD). C’est difficile. Ces collègues l’ont ramassé, ramené au bureau, on lui a demandé ce qui n’allait pas. Il avait avoué qu’il avait fait deux jours sans manger et qu’il avait décidé de laisser le peu de ration qu’il avait (à la maison : ndlr) pour les petits enfants. Donc, c’est scandaleux et surtout que nous sommes l’autorité budgétaire destinée à veiller à la distribution équitable du revenu national. Donc, il n’y a pas de honte d’avouer que sur ce plan-là que nous sommes sur le point de démissionner de notre responsabilité. Comme nous allons en session budgétaire, le débat se pose à point nommé pour que nous puissions recadrer le tir. Sinon, on ne peut pas s’entêter et se dire : il n’y a pas de problème et de continuer comme si de rien n’était. Non !

Alors il y a des députés qui avaient demandé à ce qu’on puisse revoir, diviser le salaire des députés par deux, on a vu comment vous avez réagi à l’Assemblée nationale. On a l’impression que vous ne vous souciez pas du peuple, c’est plutôt vos propres intérêts qui vous intéressent ?
Maintenant, il faut poser le débat sans passion, sans rire ni pleurer, comme disent les scientifiques. Le débat se pose à un niveau beaucoup plus grand, au niveau de toutes les institutions.

On le sait. Mais au niveau de l’Assemblée nationale, est-ce que ça ne vous gêne pas, vous les députés, de toucher ce montant alors qu’il y a des enseignants, des médecins, des infirmiers qui sont en grève parce qu’ils ne sont pas bien payés ?
Je ne saurai pas parler au nom de tous les députés, mais pour moi, ça trouble ma conscience.

Mais, vous prenez quand même cet argent ?
J’avais été de ceux qui ont haussé la voix. Vous savez, par exemple, le budget 2022 comment il a été adopté ? Sama Lukonde avait déposé le budget à temps, avant le 15 septembre, mais le bureau a joué pour que le budget nous soit remis légèrement avant la clôture de la session. Et donc, le budget, non seulement celui de 2022, tous les budgets ne font pas l’objet de débats sérieux. Et c’est scandaleux. Moi je suis de la Commission défense et sécurité…
Tiré de Radio Okapi et décrypté par Tighana M.