Depuis l’arrêt du 15 novembre 2021 par lequel la Cour constitutionnelle se dit « incompétente » pour juger l’ancien Premier ministre Matata dans l’affaire Bukanga-Lonzo, on sait que le sort du juge Dieudonné Kaluba, président de la Cour constitutionnelle était scellé. Ceux qui ont commandité le procès Matata auraient bien voulu voir le juge Kaluba trahir le droit qu’il enseigne à l’Université de Kinshasa. Mais, fidèle à la science qui a fait sa réputation, le juge Kaluba n’a pas flanché, en disant le droit ce jour du 15 novembre 2021. Pour le premier procès pénal de son histoire, Dieudonné Kaluba avait choisi le bon côté, celui de la légalité, en inscrivant son nom en lettres d’or dans les annales juridiques de la RDC. Depuis lors, il faisait l’objet d’une fatwa, exécutée de la plus vilaine manière par une haute Cour, censée servir de dernière forteresse dans la défense de la démocratie et de l’Etat de droit. Si la Cour constitutionnelle peut se détourner de ses principes et règles de fonctionnement, que reste-t-il encore à l’Etat de droit. Sinon, juste une coquille vide.
Pour avoir dit le droit, rien que le droit, le président de la Cour constitutionnelle, le professeur Dieudonné Kaluba, a été tiré politiquement au sort mardi pour quitter cette haute Cour de la République Démocratique du Congo. Dans une procédure expéditive, d’une célérité sans pareille, le juge Kaluba, de surcroît président de la Cour constitutionnelle, et son collègue Funga ont été débarqués de la haute Cour.
Elu, en principe pour un mandat de trois ans, le juge Kaluba n’aura donc passé qu’environ une année aux commandes de la Cour constitutionnelle.
Dans l’opinion publique, les conjectures vont dans tous le sens. Quel est donc ce pêché que le juge Kaluba a commis pour le faire descendre du piédestal de manière aussi humiliante ? Qui a-t-il offensé pour mériter un tel sort, lui qui, il y a quelques mois, a été présenté comme la grande pointure dans le lot de juristes de la RDC pour redonner à la Cour constitutionnelle toute sa grandeur ?
Après le départ du juge-président Benoît Lwamba, mort quelques mois après sa démission, le juge Kaluba était voué à un bel avenir, avant que le rêve ne soit brisé en cette journée du mardi 9 mai 2022.
Dans la ville haute, l’annonce d’un tirage au sort, commandité par la Présidence de la République par une instruction du directeur de cabinet du Chef de l’Etat adressée directement au greffier en chef de la Cour constitutionnelle sans passer par le juge-président Dieudonné Kaluba annonçait le tsunami qui allait balayer la haute Cour. Et ça n’a pas tardé.
Malgré la résistance que son cabinet a opposé mardi, le juge Kaluba a fini par capituler. Il a été tiré au sort, perdant son statut de juge constitutionnel et, en corollaire, de président de la Cour constitutionnelle. En l’espace de quelques heures, Dieudonné Kaluba a tout perdu, recouvrant, sans doute, sa toge d’avocat. Le sort en a décidé ainsi. Bien plus, ceux qui l’ont placé au sommet de l’ordre judiciaire ont estimé que Kaluba ne rassurait plus, poussant la Présidence de la République à s’immiscer dans une affaire qui ne relève de son champ d’activité.
Depuis quand la Présidence de la République gère-t-elle la Cour constitutionnelle jusqu’à ordonner son greffier en chef d’organiser un tirage au sort, sans le concours de à son président ? C’est le monde à l’envers.
Grand artisan de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, le député national Delly Sesanga est abattu.
Sur son compte twitter, l’élu de Luiza dénonce la dérive : « Les changements orchestrés ce jour à la Cour constitutionnelle me rappellent à cette réflexion de J. Rostand : ‘Il est affreux de voir revenir avec des couleurs d’avenir tout ce qu’on détestait dans le passé’. Quel gâchis de voir ainsi défigurée notre œuvre commune pour un Etat de droit ! »
L’ombre de Matata
Selon des sources recoupées par Econews, la décision de faire partir le président Kaluba de la Cour constitutionnelle était irrévocable. Kaluba et Funga devaient quitter la haute Cour. La sentence était dite dans la sphère présidentielle.
Des reproches formulés contre eux se chuchotaient sans s’annoncer à haute voix. Ce qui induit que le brillant professeur de droit n’a pas tenu à des promesses d’accomplir certaines choses qui ne cadraient pas avec les missions politiques d’un juge constitutionnel.
Dieudonné Kaluba ne rassurait plus depuis que la Cour constitutionnelle s’était déclarée « incompétente » pour juger l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon dans l’affaire du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo.
Pour noyer son chien, il suffit de l’accuser de rage, dit-on. Des bruits de corruption sont distillés pour justifier cette sanction, sans preuves évidentes. Le coup ayant été joué, on veut juste soigner la formule pour camoufler le ridicule. Une fois de plus, la RDC a raté une belle occasion de consolider cet Etat de droit tant vanté.
Règlement de comptes
Pour avoir résisté au diktat politique, le professeur Dieudonné Kaluba a payé cash. Le tirage au sort, qui a été organisé en dehors de toute obligation de transparence, est venu salir davantage le régime qui bouffe ses propres fils.
En cherchant à condamner absolument Matata Ponyo, il faut éviter que cela se fasse en marchant sur le cadavre du droit. C’est inacceptable !
La Cour constitutionnelle a dit le droit. Il n’est pas question de revenir, sous quelque prétexte que ce soit, aux décisions de cette Cour qui sont « irrévocables et opposables à tous ».
Aujourd’hui, pour réduire au silence le candidat président de la République Matata, il faut violer publiquement le droit. C’est ridicule !
Il faut une forte dose d’esprit suicidaire pour se lancer dans cette voie.
Après cette défenestration politiquement voulue, plus de mystère, l’Etat de droit est en souffrance dans un local des soins intensifs. Bientôt, il y a risque qu’il soit transféré à la morgue. Triste pour le pays d’Étienne Tshisekedi !
Econews