Vu de l’Occident : au sommet Afrique-Russie, les «amis» de Poutine attendent des actes au-delà des promesses

Dix jours après avoir suspendu la participation de la Russie à l’accord sur les céréales ukrainiennes, le président russe Vladimir Poutine pourrait annoncer une surprise cette semaine à ses «amis» africains. Alors qu’il s’apprête à recevoir dans sa ville natale de Saint-Pétersbourg une vingtaine de chefs d’État pour la deuxième édition de son sommet Afrique-Russie, le chef du Kremlin a déjà déclaré que Moscou est prêt à «livrer gratuitement tout le volume destiné ces derniers temps aux pays les plus nécessiteux».
Le 27 juillet s’ouvre à Saint-Pétersbourg la deuxième édition du sommet Russie-Afrique, dédié au renforcement des partenariats avec le continent. France 24 analyse les enjeux de ce rendez-vous ô combien stratégique pour Moscou.
La réunion, jeudi et vendredi, avec une vingtaine de chefs d’États africains à Saint-Pétersbourg, intervient juste après la suspension russe de l’accord céréalier, source d’inquiétude pour les pays du Sud.
Il est présenté comme un « événement majeur » pour les relations russo-africaines. Le second sommet Russie-Afrique, consacré à l’approfondissement des liens entre Moscou et le continent, aura lieu les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg.
Après un premier rendez-vous en 2019 à Sotchi, cette nouvelle rencontre ambitionne de renforcer les partenariats dans les domaines politique, sécuritaire, économique, scientifique ou bien encore culturel.
Fait nouveau, le Forum économique organisé dans le cadre du sommet comprend désormais une composante humanitaire, censée incarner la diversification du partenariat souhaité par Moscou et sa volonté de « développement à long terme ».
En vue de ce sommet, la Russie a multiplié, ces derniers mois, les messages de soutien envers l’Afrique ainsi que les missions diplomatiques. Début 2023, son ministre des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, a mené coup sur coup deux tournées africaines.
Pourtant, derrière les visites et les discours, les échanges commerciaux demeurent faibles entre Moscou et le continent. Alors que la guerre en Ukraine s’enlise et que les sanctions occidentales fragilisent l’économie de la Russie, ses capacités réelles d’engagement vis-à-vis de l’Afrique interrogent.

Diplomatie des armes
Parmi les domaines de coopération entre la Russie et l’Afrique, le secteur de l’armement est probablement celui qui fait couler le plus d’encre. Ces dernières années, Moscou a annoncé le renforcement de ses partenariats militaires avec de nombreux pays dont le Cameroun, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, la Centrafrique ou bien encore le Mali.
Ces accords sont loin d’être nouveaux. À l’époque des indépendances, l’URSS avait investi ce domaine fournissant des armes à de nombreux pays africains. Des partenariats mis en sommeil après la chute du bloc soviétique, que Moscou a entrepris de réactiver au cours des deux dernières décennies. En parallèle, la milice Wagner a étendu ces dernières années sa présence en Centrafrique, au Mali, au Soudan ou bien encore en Libye.
Entre 2018 et 2022, la Russie a détrôné la Chine en tant que premier exportateur d’armes en Afrique subsaharienne, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, passant de 21 % à 26 % de parts de marché.
Néanmoins, selon le même rapport, les livraisons d’armes à l’Afrique ne représentent qu’une petite part des exportations d’armes de la Russie (12 % en 2022) dont le volume global a par ailleurs connu une baisse significative au cours des dernières années et davantage avec la guerre en Ukraine.
«Les exportations militaires en Afrique ne sont pas les plus significatives pour la Russie, ni en termes de niveau technologique, ni en termes de recettes en devises, bien qu’elles constituent l’un des vecteurs de l’influence russe dans la région », souligne Julien Vercueil, économiste spécialiste de la Russie et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
Une analyse partagée par Maxime Ricard, chercheur spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem). «À l’échelle de la Russie, ces livraisons demeurent relativement faibles, mais elles ont un intérêt stratégique pour l’influence de la Russie en Afrique. En soutenant des élites politiques peu regardantes sur les droits humains, elles ont une dimension politique importante car elles participent au renforcement de régimes autoritaires. Pour les dirigeants des États comme le Mali ou le Burkina Faso, le partenariat militaire avec la Russie est un gros enjeu, d’autant plus depuis qu’ils ont demandé le retrait des forces françaises ».
Dans ce contexte, la rébellion du chef de Wagner, Evguéni Prigojine, qui avait entamé, fin juin, une marche vers Moscou, finalement avortée, a suscité une attention toute particulière. Sergueï Lavrov avait alors promis que le travail des « instructeurs » de Wagner ‘présents au Mali et en Centrafrique allait « bien sûr continuer ».

La bataille du blé
Outre le domaine sécuritaire, la Russie entretien également un important partenariat agricole avec le continent, dont elle est le premier fournisseur de blé au monde. Le forum Russie-Afrique intervient alors même que Moscou vient de se retirer de l’accord permettant l’exportation de céréales ukrainiennes par la mer Noire, dont l’ONU affirme qu’il est essentiel pour équilibrer les prix et éviter une crise alimentaire mondiale.
La Russie réclame un allègement des sanctions financières qui «entravent» son commerce international de céréales mais aussi, et surtout, ses exportations d’engrais et de matériel agricole.
La Russie a assuré qu’elle était prête à offrir ses céréales gratuitement aux pays africains qui en ont le plus besoin, précisant que cette proposition serait discutée lors du sommet, qui comprend un volet sur la souveraineté alimentaire du continent.
«Les importations de blé posent un problème idéologique pour l’Afrique, car il est inacceptable qu’elle demeure dépendante de pays tiers pour se nourrir, 60 ans après les indépendances», analyse Adama Gaye, journaliste et essayiste sénégalais, spécialiste des relations internationales. «Si elle veut développer des partenariats de long terme avec le continent, la Russie doit soutenir son indépendance alimentaire en l’aidant à développer sa capacité de production d’engrais et de céréales, en construisant des usines et en fournissant des outils de production ».

Diversification tous azimuts
Le 23 juillet, à quelques jours du sommet, le Kremlin a publié une lettre du président russe, déclinant les «axes de coopération prioritaires». Vladimir Poutine y souligne sa volonté d’«intensifier» le travail dans de nombreux secteurs dont la high-tech, l’exploration géologique, l’énergie, notamment le nucléaire, l’industrie chimique, ou bien encore l’exploitation minière et l’ingénierie des transports, promettant «l’extension du réseau des ambassades et représentations commerciales» russes sur le continent.
Parmi les grands projets russes lancés ces dernières années sur le continent figurent le contrat d’exploitation de gaz offshore au Mozambique, signé par le groupe russe Rosneft, ou bien les projets de centrales nucléaires de Rosatom en Afrique du Sud et en Égypte.
«Les possibilités de partenariats ne manquent pas», souligne Adama Gaye. «L’Afrique a besoin de co-investissements dans les infrastructures, l’énergie, la pétrochimie, la cybersécurité ou bien encore l’industrie manufacturière. Dans ces domaines, les Russes ont une carte à jouer car ils proposent des expertises abordables et des normes souvent plus souples. Mais pour les Africains, la question aujourd’hui est plutôt de savoir si la Russie est encore en capacité de mener ces investissements car elle n’est plus aussi puissante financièrement qu’elle ne l’était lors du sommet de Sotchi ».
Si l’économie russe a mieux résisté aux sanctions internationales que ne l’avaient prédit les soutiens de l’Ukraine, elle est néanmoins entrée en récession depuis l’invasion à grande échelle de la Russie. Selon lesestimations de la Banque mondiale, son PIB, qui a baissé de 2,1 % en 2022, devrait à nouveau perdre 2,5 % en 2023.

Fausses promesses ?
En octobre 2019, devant une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement réunis dans la ville balnéaire de Sotchi, Vladimir Poutine avait promis de « doubler dans les cinq ans les échanges commerciaux » avec le continent.
Pourtant, après plusieurs années de croissance, ceux-ci ont enregistré un recul sur la période 2018 – 2021, passant de 20 à 17,7 milliards de dollars. Un chiffre sans commune mesure avec le commerce chinois (282 milliards), de l’Union européenne (254 milliards) ou bien des États-Unis (83 milliards) avec l’Afrique, alors que la Russie représente toujours moins de 1 % des investissements étrangers sur le continent.
Dans sa lettre aux pays africains, Vladimir Poutine affirme que le chiffre de commerce de la Russie avec les pays d’Afrique a augmenté en 2022 «pour atteindre presque 18 milliards de dollars américains», tout en reconnaissant que les «capacités de [leur] partenariat commercial et économique sont beaucoup plus grandes».
La Russie à tendance à «sur-promettre et à ne pas tenir ses promesses lorsqu’il s’agit de ses engagements économiques en Afrique», analyse Joseph Siegle, auteur d’un rapport sur les engagements économiques de la Russie en Afrique. Pour le chercheur américain, la Russie souhaite avant tout «promouvoir ses intérêts géostratégiques […] : s’assurer un pied dans la Méditerranée à la frontière sud de l’Otan, déplacer l’influence occidentale et normaliser la vision du monde de la Russie ».
«Mis à part peut-être quelques partenaires privilégiés comme l’Égypte, l’Afrique du Sud ou le Nigeria, l’Afrique n’est clairement pas un marché prioritaire de la Russie», souligne Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe. «L’Afrique subsaharienne ne représente qu’un à deux milliards de dollars par an sur les 700 milliards du commerce extérieur russe. Néanmoins, Moscou a besoin de bâtir de nouveaux partenariats et, à ce titre, ce marché peut être prometteur».
«L’Afrique présente une mosaïque d’économies de niveaux de revenus, de structures économiques et d’objectifs de développement différents. C’est à la Russie de s’adapter à cette diversité si elle veut commercer à un niveau significatif avec chacun des pays du continent», estime pour sa part Julien Vercueil.

Opération de communication
L’économiste juge toutefois que le premier enjeu du sommet pour Moscou reste de «préserver l’image de partenaire – recours» pour les pays africains «désireux de trouver des alternatives fortes à leurs relations avec les puissances occidentales».
«La dimension économique ne peut pas être absente de ce type de sommet. Mais l’affichage et la symbolique, dans des circonstances d’isolement de la Russie par les pays occidentaux, seront les objectifs principaux de cet évènement pour les autorités russes ».
Dans ce contexte, la bataille de communication fait rage entre les alliés de Kiev et la Russie pour s’octroyer les bonnes faveurs des chefs d’État du continent. Alors que la France voit son influence diminuer dans ses anciennes colonies, le président Emmanuel Macron s’était agacé, lors de sa visite au Cameroun, des réticences de certains pays africains à désigner la Russie en tant qu’agresseur. En mars 2022, une vingtaine d’États du continent avaient préféré s’abstenir lors d’une résolution des Nations unies appelant la Russie au retrait militaire d’Ukraine.
«Les dirigeants ne veulent pas soutenir l’Occident dans un conflit qui ne les concerne pas. Mais cela ne veut pas dire qu’ils soutiennent la Russie» estime le journaliste sénégalais Adame Gaye, présent en 2019 lors du premier sommet de Sotchi. «Cette première rencontre s’inscrivait dans la lignée d’évènements similaires organisés par les États-Unis et l’UE avec l’Afrique et elle avait suscité une vraie ferveur. Aujourd’hui le contexte a changé. Les Africains sont disposés à faire affaire mais ils ne veulent pas servir de pions dans le conflit entre Moscou et l’Occident. Ce qu’ils veulent défendre ce sont les intérêts africains», conclut-il.
Avec France 24