Kigali de plus en plus isolé : Paris condamne avec « la plus grande fermeté » les massacres de Kishishe et Bambo

Jugée souvent aphone et passive face aux massacres perpétrés dans l’Est de la République Démocratique du Congo par le Rwanda, sous couvert des terroristes de M23, la France est finalement sortie de sa torpeur en brisant le silence. Dans une déclaration faite jeudi, depuis Paris, le Quai d’Orsay – siège de la diplomatie française – condamne avec « fermeté » les violences commises par le M23 à Kishishe et Bambo dans le territoire de Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu.
Les cris de colère du peuple congolais contre la France et l’Organisation internationale de la Francophonie ont finalement remonté vers Paris. A la surprise générale, alors qu’elle brille par un silence complice dans le drame qui s’abat sur la partie Est de la RDC où le Rwanda arme les terroristes de M23 pour déstabiliser la République Démocratique du Congo, la France s’est finalement prononcée jeudi en condamnant «avec la plus grande fermeté » le massacre de Kishishe et d Bambo qui, selon les chiffres recoupés par la Monusco, ont fait une centaine de morts. Kinshasa parle plutôt de plus de 270 personnes massacrées – hommes, femmes et enfants.
Dans un communiqué du Quai d’Orsay, daté de jeudi 8 décembre 2022, Paris exprime sa désapprobation, mais évite superbement d’indexer le Rwanda, parrain des terroristes de M23. Paris se limite juste à dire que «tout soutien extérieur au M23 doit cesser ».
«Nous sommes horrifiés par les informations recueillies par la MONUSCO lors d’une enquête préliminaire faisant état de violences commises les 29 et 30 novembre par le M23 à l’encontre de civils, y compris de femmes et d’enfants, dans les villages de Kishishe et de Bambo, à l’Est de la RDC. Ces actes ne peuvent rester impunis. Nous saluons la volonté des autorités congolaises de poursuivre leurs auteurs en justice », dit le communiqué.
«La France condamne avec la plus grande fermeté ces exactions, et le non-respect par le M23 du cessez-le-feu décidé à Luanda le 23 novembre dernier, en présence de dirigeants congolais, rwandais, angolais, burundais et du facilitateur de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Elle prend note du communiqué du 6 décembre dans lequel le groupe armé se dit prêt à se retirer des territoires qu’il occupe. Nous l’appelons à le faire immédiatement et sans condition », poursuit le communiqué. Avant de lancer un appel à la reddition de tous les groupes : «Nous appelons également tous les groupes armés à cesser immédiatement les combats et à s’engager sans délai dans le processus de désarmement. Comme l’a exigé le Conseil de sécurité des Nations Unies, tout soutien extérieur au M23 doit cesser ».
Enfin, « la France réitère son appui aux initiatives diplomatiques régionales, dans le cadre des processus de Nairobi et de Luanda, visant à faire cesser les combats et les violences à l’Est de la RDC ».

La Monusco confirme le massacre
Une enquête préliminaire de l’ONU, rendue publique dans la nuit du mercredi 7 au jeudi 8 décembre 2022, accuse les terroristes du M23 d’avoir exécuté au moins 131 civils et commis viols et pillages les 29 et 30 novembre dans deux villages de l’est de la RDC, en représailles à des affrontements avec des groupes armés.
Kinshasa avait évoqué lundi un bilan d’environ 300 morts dans le village de Kishishe, dans la province du Nord-Kivu.
L’enquête préliminaire de l’ONU, basée sur des témoignages et dévoilée par la mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monusco), concerne Kishishe et le village voisin de Bambo.
Ces 131 civils (102 hommes, 17 femmes et 12 enfants) ont été tués « au cours d’actes de représailles contre les populations civiles ». «Les victimes ont été exécutées arbitrairement par balles ou à l’aide d’armes blanches», précise la Monusco dans un communiqué. «Huit personnes ont par ailleurs été blessées par balles et 60 autres enlevées. Au moins 22 femmes et cinq filles ont été violées.»
«Ces violences ont été commises dans le cadre d’une campagne de meurtres, de viols, d’enlèvements et de pillages contre ces deux villages du territoire de Rutshuru en représailles à des affrontements entre le M23 » et des miliciens des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et autres groupes armés, poursuit le communiqué.
L’enquête a été menée par le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’Homme (BCNUDH) et la Monusco qui ont « interrogé 52 victimes et témoins directs, et diverses sources » à Rwindi (20 km de Kishishe), où se trouve une base de la Monusco et où des victimes et témoins ont trouvé refuge, précise-t-il.
Les enquêteurs n’ont pu se rendre à Kishishe et Bambo «en raison des contraintes de sécurité dues au fait que Kishishe est pour le moment contrôlé par le M23 et du risque élevé de représailles contre les victimes et les témoins encore présents dans la zone», souligne la Monusco.
Le bilan de l’enquête préliminaire « pourrait évoluer », précise-t-elle.
Le 1er décembre, l’armée congolaise avait accusé le M23 d’avoir massacré au moins 50 civils à Kishishe, un bilan rapidement revu à la hausse par le gouvernement.
Le M23 a nié avoir commis ce massacre, reconnaissant seulement la mort de huit (8) civils tués, selon lui, par des «balles perdues» lors d’affrontements à Kishishe entre ses combattants et des miliciens.
«C’est regrettable de voir une organisation respectable (…) faire un rapport monté de toutes pièces», a réagi jeudi Lawrence Kanyuka, porte-parole politique du M23. «Nous sommes sidérés », a-t-il déclaré à l’AFP, en rappelant que le M23 avait dit «plusieurs fois à la Monusco qu’elle pouvait venir » à Kishishe pour enquêter.
Mais la Monusco « est allée faire une enquête à 20 km » et a « décidé de faire un rapport pour soutenir les accusations du gouvernement congolais, cela montre sa partialité », a ajouté le porte-parole.
Des habitants interrogés par téléphone par l’AFP en fin de semaine dernière avaient raconté avoir dû, à la demande des rebelles, enterrer les victimes de Kishishe dans des fosses communes.
Dans son communiqué, la Monusco indique, selon l’équipe d’enquête préliminaire, que «des éléments du M23 auraient enterré eux-mêmes les corps des victimes, dans ce qui pourrait être une tentative de destruction des preuves».
Le M23 (Mouvement du 23 mars) est une ancienne rébellion majoritairement tutsi, qui a repris les armes en fin d’année dernière et conquis ces derniers mois de larges portions d’un territoire du nord de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu.
Selon les autorités congolaises, des experts de l’ONU et la diplomatie américaine, le M23 est soutenu par le Rwanda. Mais Kigali conteste, accusant en retour Kinshasa, qui nie également, de collusion avec les FDLR, un mouvement essentiellement hutu constitué par certains auteurs du génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda.
Parmi les différentes initiatives diplomatiques lancées pour tenter de résoudre la crise dans l’est de la RDC, un sommet organisé le 23 novembre à Luanda avait décidé d’un cessez-le-feu le 25 au soir, suivi deux jours plus tard d’un retrait du M23 des zones conquises. Faute de quoi, la force régionale est-africaine en cours de déploiement dans le Nord-Kivu interviendrait pour déloger les rebelles.
Sous la pression des Etats-Unis, le M23 s’est dit mardi «prêt à commencer à se désengager et se retirer », mais aucun retrait n’a été observé jusqu’à présent.

Hugo Tamusa

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