Un représentant de Moïse Katumbi, figure de proue de l’opposition et candidat à la présidentielle de décembre, a été convoqué lundi devant la Cour militaire. Les sombres affaires et les atteintes aux droits humains se multiplient.
C’est le lundi 18 septembre 2023 que la Cour militaire a entamé l’audience de Salomon Idi Kalonda, le bras droit de Moïse Katumbi, président de la formation Ensemble pour la République et candidat à la présidentielle de décembre prochain. L’avocat belge Alexis Deswaef, qui souhaitait assister son client à Kinshasa, n’a pas reçu de visa.
Et à la veille du week-end, c’est le journaliste Stanislas Bujakera qui a été transféré à la prison centrale de Makala. Le correspondant de Jeune Afrique avait été placé sous mandat d’arrêt provisoire après la publication d‘un article – non signé – qui mettait en cause les renseignements militaires dans le meurtre du député national Chérubin Okende, figure de proue du parti Ensemble.
Dans ce climat délétère, le mouvement citoyen La LUCHA dénonce «un climat de répression généralisée visant l’opposition et la société civile». A trois mois des élections, prévues pour le 20 décembre prochain…
L’une des premières cibles de ce «climat» a été le parti Ensemble de Moïse Katumbi, ce dernier étant crédité d’une grande popularité. Me Deswaef a souligné que son client n’avait pas accès aux avocats de son choix, ajoutant : «Tout se passe comme s’il était le prisonnier personnel du chef de l’Etat ».
La GR à l’origine de la tuerie de Goma
Quant à Chérubin Okende, rappelons que son corps a été retrouvé en juillet dans son véhicule alors que, la veille, il avait répondu à une convocation de la Cour constitutionnelle. Le cadavre portait des traces de mauvais traitements et d’une tentative d’étouffement. Mais le décès a été attribué à un coup de feu qui aurait été porté par le chauffeur du véhicule… après la mort de la victime.
Deux pays qualifiés d’«amis», l’Afrique du Sud et la Belgique, avaient accepté de dépêcher un expert à Kinshasa. Les spécialistes ont pu examiner le corps du défunt, mais deux mois après le crime, leurs conclusions n’ont toujours pas été publiées.
Voici une semaine, le quartier populaire de Keshero à Goma, dans l’est du pays, a été le théâtre d’un véritable carnage, qui a fait – officiellement – 48 morts, sinon une centaine. On en sait plus aujourd’hui sur le déroulé des évènements : une foule, sans armes mais munie de réserves de nourriture comme pour soutenir un siège, se trouvait en prière dans une église dite « messianique » et elle se préparait à manifester pour réclamer le départ de la Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et des organisations humanitaires. Vers 4h du matin, le bâtiment a été pris d’assaut par la Garde républicaine (GR) qui a tiré dans la foule désarmée. C’est par la suite, au cours de la débandade qui a suivi, qu’un policier a été tué.
Contrairement à ce qui a été déclaré initialement, la mort du représentant de l’ordre n’a donc pas été la cause des évènements : c’est de sang-froid que la GR, une unité d’élite, a ouvert le feu dans l’église. Puisque d’après ses statuts, la GR ne peut répondre qu’à un ordre donné au niveau de la présidence, la responsabilité politique de cette opération doit être imputée au chef de l’Etat et à son cabinet. Jusqu’à cette date, les corps des victimes, entassés dans l’hôpital voisin de Kahindo, n’ont pas été identifiés, n’ont pas reçu de sépulture et les voisins se plaignent des odeurs qui se dégagent du charnier.
Cette tuerie n’est pas une première : le 24 mars dernier déjà, la GR était intervenue à Lubumbashi pour disperser une réunion de l’Unafec (Union nationale des fédéralistes du Congo). Les tirs avaient fait 25 tués et l’opinion s’était déjà interrogée sur la composition de la Garde républicaine.
Des pratiques qui rappellent le régime Mobutu
La GR, composée de jeunes Kasaïens bien équipés, bien formés (en Israël pour certains), a alors été comparée à la tristement célèbre Division spéciale présidentielle (DSP), qui faisait régner la terreur parmi les opposants au président Mobutu. Ceux qui, à l’époque, se trouvaient particulièrement visés étaient les militants de l’UDPS, le parti d’Etienne Tshisekedi, le père du président actuel Félix.
Désormais, le parti UDPS, matrice du régime d‘aujourd’hui, n’est pas épargné non plus : Jean-Marc Kabund, son ancien président, a été condamné à sept ans de prison. Une lourde peine pour un ancien militant de base, devenu président du parti puis écarté après avoir osé critiquer le chef de l’Etat. En première instance, il n’avait été condamné qu’à trois ans de prison mais la Cour de cassation a porté sa peine à sept ans.
Quant à Paul Nsapu, Kasaïen d’origine, il avait été placé à la tête du Comité national de défense des droits de l’homme après avoir présidé la Fédération internationale des droits de l’homme et d’aucuns le considéraient comme un proche de la famille Tshisekedi. Son passé ne l’a pas protégé : il vient d’avoir été contraint à la démission après avoir rendu visite en prison au député Salomon Kalonda et à Jean-Marc Kabund. Quant au comité supérieur de l’audiovisuel, il a suspendu pour 90 jours une radio qui avait suivi les activités du parti Ensemble et le ministère de Justice a été saisi de son cas.
Aujourd’hui, les plus anciens observateurs du Congo évoquent les pratiques qui illustrèrent le régime Mobutu. Ils se demandent avec amertume si des conseillers de ce dernier, ou leurs descendants, n’auraient pas été «recyclés» par le pouvoir actuel, qui renouerait ainsi avec les méthodes autoritaires.
D’une époque à l’autre, une différence s’impose cependant : à la fin de son règne, le régime Mobutu était régulièrement critiqué par les capitales occidentales et son successeur Joseph Kabila n’a guère été épargné. Dans le cas présent, sauf dans le cas du journaliste Bujakera, c’est la gêne qui prévaut.
Colette Braeckman (Le Soir/Belgique)