Tshisekedi à Doha : la carte Kagame sur la table des discussions

Le Président de la République, Félix Tshisekedi, effectue, depuis lundi, une visite surprise à Doha (Qatar), suscitant divers commentaires et soulevant des questions sur les dynamiques géopolitiques en jeu. Son choix de s’allier aux Emirats Arabes Unis a été interprété comme un désaveu envers le Qatar, traditionnel allié du Rwanda, avec lequel Doha a conclu une série d’accords commerciaux allant du transport aérien à l’exploitation minière. Le rapprochement étroit entre Doha et Kigali a été mis en lumière par l’arrivée du Président Tshisekedi à Doha le lundi 4 mars. Cette visite inattendue soulève des interrogations sur les véritables enjeux sous-jacents. Pour le président Tshisekedi, il s’agit également de perturber les relations de Kagame avec le Qatar afin d’inverser les rapports en sa faveur. Des sources non confirmées laissent entendre qu’une médiation du Qatar pourrait être envisagée pour réconcilier les deux dirigeants, ennemis de longue date. La proximité entre le Qatar et le Rwanda légitime cette possibilité, laissant entrevoir un scénario complexe et plein de rebondissements dans les relations diplomatiques de la région.

Peu d’informations ont filtré à la suite de la «visite de travail» du président Félix Tshisekedi à Doha au Qatar où il est arrivé lundi en provenance d’Antalya en Turquie. La langue protocolaire évoque une visite destinée à renforcer la coopération bilatérale et les échanges commerciaux. Aussitôt arrivé, il a été reçu à la chancellerie par l’ambassadrice de la République démocratique du Congo auprès de l’Emirat Valérie, Lusamba Kabeya, entourée du personnel diplomatique accrédité. Le président Tshisekedi s’est ensuite entretenu avec le groupe d’ambassadeurs des pays de la SADC venus témoigner de la solidarité de leurs Etats respectifs et leur volonté de mettre un terme à la crise sécuritaire qui sévit dans l’Est de la RDC.

Le chef de l’Etat congolais avait déjà effectué une première visite officielle au Qatar en mars 2021 au cours de laquelle des accords de coopération économique, commerciale et technique avaient été conclus en présence de l’Emir du Qatar Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani. Ces accords assuraient de garantir la sécurité et la protection des investissements massifs ultérieurs. Un an plus tard, une nouvelle convention était  signée à Kinshasa qui prévoyait la relance et la modernisation de l’Office national des transports (ONATRA).

LE QATAR AU CŒUR DES MÉDIATIONS

«Petit pays» du Golfe (11.586 km2, soit environ le quart de la province du Kongo Central), coîncé entre l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Golfe persique, d’une population d’à peine deux millions six cent mille habitants (2021), il affiche pourtant un PIB de près de 180,7 milliards USD grâce à ses importantes et riches réserves de gaz naturel (5ème producteur mondial, après la Russie, les Etats-Unis, le Canada et l’Iran).

L’intérêt de Kinshasa pour le Qatar ne procède pas de besoins en hydrocarbures, ni de la place de l’influence croissante de l’Emirat sur la scène internationale. Kinshasa reconnaït les efforts de médiation de ce pays dans divers conflits (entre le Talibans et les Américains en Afghanistan, entre Israël et le Hamas dont il héberge la plupart des dirigeants; et tout récemment entre Addis-Abeba et les rebelles du Tigré).

Au cours des vingt dernières années, le soft-power qatarien semble étendre sa présence en Afrique subsaharienne. Celle-ci s’exerçant indistinctement à la mode chinoise avec des Etats quelquefois antagonistes ou carrément en conflits ouverts ou latents.

Dans cette perspective, Kinshasa ne pouvait que prendre ombrage du renforcement des relations entre le Rwanda et le Qatar dont le dirigeant, l’Emir Al-Thani, avait déjà été recu en grande pompe à Kigali en avril 2019. Les accords conclus depuis avec ce pays incluent une coopération dans le domaine du transport aérien, par un partenariat entre RwandAir et Qatar Airways et la prise par Doha de 60% de parts dans la construction et l’exploitation de l’aéroport de Bisesero.

DUPLIQUER LE MODÈLE PRIMERA GOLD

Mais Kinshasa n’a jamais été dupe. L’intérêt porté par les monarchies du Golfe à l’égard du Rwanda ne se limite pas seulement à une coopération entre compagnies aériennes. Les matières premières dont l’Est du Congo regorge et dont elles sont dépourvues font l’objet d’avenants secrets.

L’exemple de Dubaï dans les Emirats arabes unis qui, pendant longtemps, s’est servi du Rwanda comme sa plate-forme de prédation du coltan, de cassitérite et de l’or a fini par revenir à la raison et conclu avec Kinshasa un partenariat à travers Primera Gold qui a privé Kigali de ressources tirées de la contrebande des matières précieuses et de terres rares illégalement exploitées dans le Kivu grâce à sa présence militaire sous le couvert de rébellions préconçues.

Voulant tourner à son avantage l‘influence du Qatar et de son rôle de pivot géopolitique, Félix Tshisekedi devrait manœuvrer pour qu’au finish, rejouant la même carte utilisée naguère pour assécher les ressources sanglantes que Paul Kagame tire de l’Est de la RDC au prix de milliers de morts grâce au partenariat avec Primera Gold, il n’est pas exclu que Doha réoriente sa politique en Afrique centrale et réalise enfin où se situe ses véritables intérêts.

A tout prendre, la visite du président Tshisekedi à Doha suscite des commentaires et soulève des enjeux importants. La possibilité d’une médiation du Qatar pour réconcilier le président Tshisekedi et le président Kagame souligne l’importance des relations diplomatiques dans la région.

Econews