Accord RDC – Groupe Ventora, Henri Muhiya tacle CNPAV : «Il faut savoir quels sont les intérêts qu’on défend. Les intérêts du pays ou les intérêts de qui ?»

Henri Muhiya, directeur exécutif de la Commission épiscopale des ressources naturelles de la Cenco (CERN/CENCO), est réputé pour sa droiture et sa constance dans les milieux de la Société civile. La compromission n’est pas dans son ADN. Et quand il s’agit de défendre une cause, Henri Muhiya y va à fond, conscient de la charge morale de sa fonction qui engage indirectement toute l’Eglise catholique. Comme d’autres acteurs de la Société civile, il a pris part, les 13 et 14 avril 2022, à la table ronde entre la Présidence de la République et la Société civile autour de l’accord qui lie la RDC au Groupe Ventora. Alors qu’une infime partie de la Société civile tergiverse et implose, Henri Muhiya a accepté de répondre aux questions d’Econews. Il adhère à l’option levée par la Société civile, c’est-à-dire le soutien total à l’accord RDC – Ventora. Et lorsque le collectif « Congo n’est pas à vendre (CNPAV) » s’agite, Henri Muhiya le contre de la belle manière : « Il faut savoir quels sont les intérêts qu’on défend. Les intérêts du pays ou les intérêts de qui ? » Interview.
Vous venez de participer à une table ronde autour de l’accord signé entre la RDC et le Groupe Ventora, qui a pris l’initiative de ces assises ?
En tout cas, moi j’ai reçu une invitation du directeur de cabinet du Président de la République, et sur cette invitation, j’ai vu plusieurs noms, je pense plus d’une vingtaine de noms, et moi j’ai compris que c’est l’initiative de la Présidence de la République.

Quels en ont été les termes de référence ? Disons, vous avez discuté de quoi exactement au cours de cette table ronde ?
Bon, la réunion s’est déroulée en deux jours, les 13 et 14 avril 2022. Le premier jour, les téléphones étaient dans la salle, cela pour ne pas filmer l’accord. Ce dont on a parlé est qu’on nous a présenté l’accord signé entre la RDC et le Groupe Ventora. Parce qu’en fait, si je me rappelle bien, lorsqu’on avait présenté à la télévision la restitution des actifs par Dan Gertler, ça créé la polémiques. Avec cette table ronde, j’ai eu l’impression que la Présidence de la République a voulu expliquer à un groupe de gens qui sont influents d’une certaine manière, de la Société civile spécialement. Il y avait aussi la presse là-bas. De quoi était-il question ? Les questions que l’on se posait dans le groupe : Pourquoi n’a-t-on pas publié cet accord ? Pourquoi cela? Nous avons parcouru le protocole d’accord, par PowerPoint, ensuite nous avons parcouru le document signé par PowerPoint. Après, il a été demandé aux gens de poser des questions.

Et quand vous parlez de l’accord qui vous a été présenté, vous l’avez lu et vu ?
Je me rappelle avoir été la première personne à poser la question. J’ai posé trois questions. Première question: Dans cet accord que nous venons de voir, qu’est-ce que la RDC gagne. La deuxième question : Qu’est-ce que la RDC perd ? Qu’est-ce Dan gagne et qu’est-ce qu’il perd? Et la troisième question : après avoir lu cet accord, pouvez-vous me dire ce qu’il y a de confidentiel ? Pour moi, c’était ça les questions essentielles. A la suite de tout ça, il y a eu toutes les réponses nécessaires.
Le deuxième jour, on a parlé de chiffres pour montrer ce que la RDC gagnait exactement, qu’est-ce que Dan perdait et qu’est-ce qu’il espérait gagner en termes de cet accord. Parce qu’une des questions qui a été posée concernait le volet d’accompagnement. Pourquoi la RDC devrait accompagner Dan dans sa démarche pour la levée des sanctions américaines ? Personnellement, j’estimais que ça pouvait être une démarche justifiable d’autant plus qu’il y a un temps, en 2019, nous avions fait un communiqué sur les enjeux du cobalt. Là aussi on nous avait traité de corrompu, mais on avait montré quels étaient les enjeux du cobalt en RDC. Autour de ces enjeux, je vois dans le dossier de Dan, qui est sanctionné aux Etats-Unis, des implications sur Glencore, la RDC, la Gécamines et ainsi de suite. On lit dans la presse que Glencore paie Dan en euro, après avoir négocié entre les deux gouvernements, suisse et américain. Donc, chez nous, on peut faire la même chose, pourvu qu’on obtienne quelque chose. Souvenez-vous qu’il y a plusieurs dossiers en justice où nous n’avons pas gagné. Je sais qu’il y a une étude qu’il faudra encore faire. La Gécamines a -t-elle gagné ? J’ai trouvé que c’était possible, le dossier n’est pas que financier et technique, mais aussi diplomatique.
Avec tous les contentieux entre la RDC et Dan Gertler, j’ai estimé qu’un tient vaut mieux deux tu l’auras. Parce que le dossier en justice, on ne sait jusqu’où on va aller. On a trouvé qu’on pouvait encourager la démarche. Vous savez que dans les explications, c’est tout de suite que vous avez les réponses, il faut la levée des sanctions, d’une certaine manière. Si on enlève les sanctions et que l’on peut obtenir de vendre ces deux blocs, par exemple, on peut obtenir, en fait, l’annulation de la dette. Je rappelle encore que j’ai ici le jugement qui condamnait la Gécamines à payer 151 millions d’euros et d’autres choses à Lubumbashi, au Tribunal de commerce. Donc à ce niveau-là, on a pensé qu’une démarche à l’amiable pouvait être menée. La RDC a gagné quelque chose.

Donc vous estimez qu’en privilégiant les négociations avec le Groupe Ventora, la Présidence de la République n’a pas fait fausse route ?
Je vous donne un autre exemple. Gécamines et KCC avaient des problèmes autour de Glencore. Quand Glencore disait que son investissement est allé jusqu’à 9 milliards de dollars américains, on l’a traduit en justice. Ils ont fini par négocier pour trouver une solution à l’amiable. Vous vous rappelez que là – et je peux même vous donner le communiqué de la Gécamines – c’est parti de 9 milliards USD jusqu’à 3,5 milliards. Ce qui était au-dessus-là s’est effacé. Comment? Par la négociation. Voilà ! Donc je pense que quelque part, il faut y aller. Nous sommes en train d’appeler les investisseurs, en même temps si vous allez en justice, c’est trop long. Et ce n’est pas toujours sûr. Donc si vous pouvez négocier en même temps pour sécuriser les investisseurs qui viennent et sécuriser ceux qui sont là, équilibrer les avantages ou les gains, je pense que c’est ce qu’il faut.

Après la table ronde, qu’est-ce que vous retenez exactement ? Quelles sont les conclusions les plus pertinentes ?
Ce que je retiens, c’est ce que nous avons repris dans la déclaration (Ndlr : du 15 avril 2022). Premièrement, nous avons encouragé le fait que la Présidence de la République a fait une ouverture de faire savoir ce qu’ils ont négocié. Parce que quand ils ont présenté les conclusions de ces négociations à la télé, il n’y avait pas de détails. Deuxième chose, on encourage le fait de chercher de récupérer des actifs. Ce processus n’a pas commencé aujourd’hui. On l’a fait avec la révisitation des contrats miniers où nous avons eu près de 300 et quelques millions de dollars américains. On a équilibré certains contrats. On a fait la révision du Code minier où nous avons supprimé par exemple la question de convention. Grâce à l’action de la Société civile, on a eu le 0,3% dont on parle en faveur des communautés affectées par les projets miniers. On a introduit le cahier des charges là-dedans. C’est pour permettre à la RDC de gagner, c’est ça notre objectif. Ensuite, il y a cet encouragement pour continuer dans ce sens, dans d’autres dossiers qui sont déséquilibrés, pour qu’on y aille d’une manière transparente. Nous avons donné notre compréhension du contenu de l’accord. A la fin, nous avons fait des recommandations. Parce que, nous avons constaté que, même si on veut équilibrer ce qui existe, il y a des tendances maintenant à pouvoir encore brader. C’est comme ça qu’on a attiré l’attention, d’abord du Gouvernement et de la Présidence sur le nouveau mécanisme de bradage.
Une autre question qu’on a posé – je me rappelle encore de la boutade «mutu atetaka nguba, batalaka munoko na ye te (celui qui décortique les arachides, on ne regarde pas sa bouche)» – les négociateurs doivent avoir été payés. Ils n’ont pas mentionné quelque part combien ils ont reçu. Mais puisqu’il y a encore d’autres processus, nous avons demandé que des mécanismes soient pris pour que l’on sache clairement combien les négociateurs peuvent gagner pour éviter ce que l’on appelle rétro-commission et tout ça. Comme on le fait pour l’IGF, pour des inspecteurs, pour les aviseurs, etc. C’est ce qu’on a demandé.

Pour ceux, au sein de la Société civile, remettent en cause les conclusions ou les acquis de la table ronde et qui vont même plus loin en disant qu’il y a eu retro-commission au sein de la Société civile, que leur répondez-vous ?
Premièrement, tout dépend de ce que l’on veut faire de nos ressources naturelles. Nous voulons en bénéficier ou pas ? Ça c’est de un. De deux, quand on dit que ça ne marche pas, on s’est compromis, moi je ne vois pas en quoi on s’est compromis. On vous appelle pour prendre connaissance, vous prenez connaissance, vous lisez le contenu de l’accord et vous donnez des remarques. Je ne vois pas où se situe la compromission. Maintenant, est-ce que on veut qu’on continuer à attendre que la justice tranche, parce que là, le processus peut durer. Apparemment, l’objectif est de dire : «il faut que Dan reste avec zéro». Quand vous négociez, dans les conditions de notre pays, comme je l’ai dit avant, un tient vaut mieux que deux tu l’auras. Maintenant, si les autres estiment qu’on a été corrompu, c’est-à-dire que le Gouvernement nous a corrompus, pour quel intérêt ? Ils auraient pu démontrer sur place, parce que moi je suis allé à la table ronde après avoir reçu l’invitation. Je n’ai vu aucun endroit où on pouvait nous rencontrer pour me corrompre, je n’ai pas vu. Ensuite, j’engage ma signature pour ce que je comprends, comme je l’ai fait dans le passé. Maintenant, quelle est l’alternative pour ceux qui disent qu’on s’est compromis? L’alternative, c’est quoi ? On laisse le dossier en justice jusqu’à ce que ça va se terminer ou on essaie d’obtenir ce qu’on peut avoir en sachant que d’autres ont fait de même? C’est un peu ça pour moi. Je ne m’attaque à personne, mais je pense qu’il faut savoir quels sont les intérêts qu’on défend. Les intérêts du pays ou les intérêts de qui ? Je ne sais pas. Ça, c’est mon point de vue. Dans mon parcours, depuis que je travaille pour ce pays, depuis que je travaille sur les questions des ressources naturelles et que j’ai compris les enjeux, je défends les intérêts du pays de la manière la plus objective possible.

Quand les autres tiennent à ce que l’accord qui a été signé soit publié, qu’est-ce que vous leur dites exactement ?
Sur place, c’était l’une des questions. D’ailleurs certains disaient que c’est un préalable pour qu’on puisse discuter. Par la suite, on va dans le juridisme, je ne suis pas un juriste. Donc, je ne vais pas entrer dans ce débat. Maintenant on sait que l’accord existe, j’ai vu la signature de tel ou tel autre, j’ai vu le montant. Donc, je sais ce qu’il y a dans cet accord-là. Je suis sûr que ça va être publié un jour.

Donc, selon vous, faire de la publication de cet accord une fixation est un faux débat ?
A mon avis, c’est un faux débat, tant qu’on sait ce qu’il y a. En plus, les deux parties n’ont pas refusé de publier cet accord. Elles ont plutôt dit qu’elles attendaient certaines échéances pour que les démarches des plaidoyers avancent, puis on le rendra public. Je sais qu’il y a beaucoup de contrats qui ont été rendus publics sur lesquels on doit maintenant travailler pour la révision ou pour la renégociation. On revient sur TFM, par exemple. Pourtant, c’était déjà passé à la révisitation des contrats miniers. Maintenant pourquoi on veut encore renégocier ? Donc, ça veut dire qu’il y a un certain dynamisme dans ce genre des choses.

Après la table ronde, apparemment, on peut se dire que des divergences ont été aplanies entre la Présidence de la République et la Société civile, quelle sera la suite ?
Non, vous avez vu que la Société civile est multiple. Pour certains, il n’y a plus des divergences. En tout cas, c’est la plus représentative. Ceux qui ont participé à la table ronde ont compris. Mais, on ne leur a pas donné une carte blanche. D’ailleurs, dans l’accord, une phrase dit : «Si cet accord est appliqué effectivement, il peut permettre…». Ça fait déjà une conditionnalité. Chez nous, on a des lois qu’on n’applique pas. On a des accords qu’on n’applique pas. Vous voyez qu’il y a des mécanismes pour attirer l’attention des gouvernants. C’est le rôle qu’attend de la Société civile.

Pour vous, ça valait la peine que vous teniez cette table ronde ?
Oui ! Maintenant, toutes les polémiques qu’il y a, c’est parce que les gens sont informés du contenu de la table ronde. Ça valait la peine de donner l’information pour dissiper les malentendus. Quant à moi, je soutiens, à l’instar d’autres acteurs de la Société civile, les négociations engagées avec le Groupe Ventora.
Propos recueillis par Faustin K.