Acharnement contre Matata : le ridicule à la porte de la Justice

La Justice congolaise risque de perdre son prestige alors qu’elle est en train de redorer jour après jour son blason terni. L’affaire Matata Ponyo Mapon est en voie de devenir la porte par laquelle le ridicule pourrait emporter la Justice congolaise dont les décisions, politiquement motivées dans de nombreux cas, l’éloigne de son indépendance. Quel est le problème ?

Traîné injustement devant la Cour constitutionnelle, la défense de l’ancien Premier ministre Matata a apporté la démonstration que la haute Cour ne pouvait pas juger cet ancien chef du Gouvernement pour des faits de sa gestion. N’étant plus en fonction et en sa qualité de sénateur, son juge naturel est la Cour de cassation. C’est ainsi que la haute Cour a tranché, la loi, mieux le droit, ne l’ayant pas accordé l’habilitation de juger Matata.

Le bon droit dit, tous attendaient que le Parquet général près la haute Cour puisse se dessaisir de cette affaire. Aussi curieux que cela puisse paraître, le Parquet près la Cour constitutionnelle refuse d’autoriser l’ancien chef du Gouvernement à se rendre à l’étranger pour suivre des soins dans un centre médical approprié. Et pourtant, Matata Ponyo Mapon vit avec des substances toxiques dans son corps.

En refusant de lui accorder cette autorisation, le Parquet près la Cour constitutionnelle viole intentionnellement les droits de M. Matata, non pas seulement comme citoyen de la RDC, mais surtout comme sénateur. Dans un État de droit, cela n’est pas acceptable.

D’ailleurs, le Parquet près la Cour constitutionnelle aurait dû tenir compte de la disponibilité de l’ancien Premier ministre qui était volontairement rentré au pays pour se mettre à la disposition de la Justice. Un acte salué par des observateurs neutres. Sauf le procureur près la Cour constitutionnelle qui a fait de cette affaire, un cas d’acharnement.

Comment refuse-t-il de laisser un citoyen congolais se mouvoir librement alors que la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente vis-à-vis de ce justiciable ?

À l’état actuel de l’architecture juridique du pays, il ne faut pas se hasarder à juger un ancien Président de République ou un ancien Premier ministre. La loi leur reconnaît implicitement ce privilège. Ce sont des personnalités qui ont eu à prendre des décisions difficiles. Ils se sont souvent trompés? C’est possible parce que ce sont des humains. Personne n’avait pensé à des poursuites lorsqu’ils étaient en fonction. Il ne sert donc à rien d’engager des poursuites qui n’ont aucune base légale.

Si la loi ne prévoit pas, la Justice ne crée rien pour s’acharner sur un justiciable. Un sujet que le procureur général près la Cour constitutionnelle devra prévoir pour ses prochaines mercuriales.

En attendant, laissez Matata jouir pleinement de sa liberté !

Econews

Les enseignements à retenir de l’arrêt sous R.P.0001 rendu le lundi 15 novembre 2021 par la Cour constitutionnelle

Rappel des cadres factuel et juridique de ce procès

Depuis la fin du mois d’août de l’année en cours, le monde judiciaire de la République Démocratique du Congo a attiré l’attention de l’opinion tant interne qu’internationale, à cause de la procédure mise en mouvement contre le Premier Ministre honoraire Augustin Matata Ponyo Mapon, s’agissant des présumés faits infractionnels qu’il aurait commis dans ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, mais dont les poursuites n’avaient pas été enclenchées pendant qu’il était en fonction.

Ainsi, par la requête n°2004/RMPI/000/PG.COUR.CONST/MOP/2021 aux fins de fixation d’audience, signée par le procureur général près la Cour constitutionnelle le 27 août 2021, ce dernier a saisi la Cour constitutionnelle en déférant le Premier ministre honoraire cité supra, Monsieur Patrice Kitebi M’Vul ainsi que le sud-africain Christo Grobler, le dirigeant de la société Africom Commodities.

Ensuite, par la citation à prévenu sous R.P.0001, les trois prévenus ont été invités à comparaître devant la Cour Constitutionnelle à l’audience du 25 octobre 2021, au cours de laquelle cette affaire passait en introduction, puis a été renvoyée en prosécution à l’audience du 08 novembre 2021.

Rappelons cependant que dans le cadre de ce dossier de Bukanga-Lonzo, le procureur général près la Cour Constitutionnelle avait émis trois réquisitoires en moins d’un mois.

Le premier réquisitoire sous le n°1219/RMPI/0001/PG.C.CONST/MOP/2021, adressé à la fois au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat avait été émis le 28 avril 2021, et réceptionné le 05 mai 2021 par ses destinataires.

Dans ce réquisitoire, le procureur général sollicitait les autorisations de poursuites judiciaires à l’endroit du Premier ministre honoraire, actuellement sénateur Augustin Matata Ponyo Mapon. Il faisait observer aux présidents des deux chambres du Parlement que le concerné était Premier ministre au moment de la commission des faits mis à sa charge, et que la levée de ses immunités ne pouvait être examinée que par le Congrès conformément à l’article 166 de la Constitution, qui dispose que : « La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des  membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue  par le Règlement intérieur. La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation des membres du Gouvernement sont votées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur. Les membres du Gouvernement mis en accusation, présentent leur démission ».

Ayant été sérieusement critiqué par plusieurs spécialistes qui ont scientifiquement démontré que la démarche du procureur était inconstitutionnelle, ce dernier l’a abandonnée au profit d’un deuxième réquisitoire émis le 12 mai 2021.

Dans ce deuxième réquisitoire, émis le 12 mai 2021 sous le n°1419/RMPI/0001/PG.C.CONST/MOP/2021, adressé une fois de plus concomitamment aux deux présidents des chambres du Parlement, réceptionné le 13 mai 2021 par ses destinataires, le procureur général faisait savoir qu’en rectification du premier réquisitoire, sa demande d’autorisation des poursuites du sénateur Augustin Matata Ponyo Mapon, était adressée uniquement aux sénateurs, conformément à l’article 75 de la loi organique n°13/010 du 19 février 2013, relative à la procédure devant la Cour de cassation, qui prévoit que : «Sauf dans le cas où le parlementaire peut être poursuivi ou détenu sans l’autorisation préalable de l’Assemblée nationale, du Sénat ou de leur Bureau selon le cas, si le Procureur Général près la Cour de cassation, estime que la nature des faits et la gravité des indices relevés justifient l’exercice de l’action publique, il adresse au Bureau de la Chambre dont fait partie le parlementaire, un réquisitoire aux fins de l’instruction. L’autorisation une fois obtenue, le procureur général pose les actes d’instruction ».

Ainsi, ladite demande n’était plus adressée au Congrès comme il l’avait précédemment sollicité.

Par la suite, le procureur général a adressé au président du Sénat un troisième réquisitoire sous le n°1429/RMPI/0001/PG.C.CONST/MOP/2021 le 18 mai 2021, réceptionné le même jour.

Il faut rappeler qu’au cours de sa plénière du vendredi 14 mai 2021, ces deux premiers réquisitoires avaient été examinés. Malgré que le procureur avait clairement demandé au Sénat, dans son deuxième réquisitoire, de considérer qu’il appartenait plutôt aux seuls sénateurs d’autoriser les poursuites du Premier ministre honoraire et non au Congrès, la plénière avait tout de même jugé important de s’appesantir sur la question de savoir lequel des procureurs généraux était qualifié pour initier les poursuites contre le Premier Quels sont les acquis de l’arrêt rendu par la cour constitutionnelle dans cette cause sous R.P. 0001 ?

L’arrêt sous R.P.0001 de la Cour constitutionnelle est très riche en enseignements, car la Cour a, avec beaucoup de compétence, de pédagogie et de maîtrise, réglé de nombreuses questions qui semblaient diviser les juristes en général, et les acteurs judiciaires en particulier.

Ainsi, nous pouvons retenir de cet arrêt notamment les acquis juridiques que voici : La Cour constitutionnelle n’est pas le juge naturel d’un ancien Premier ministre ou un Premier ministre honoraire.

La Cour considère que pendant la durée de ses fonctions, et non après celles-ci, le Premier Ministre ne peut voir sa responsabilité pénale engagée que devant elle. Le Premier ministre bénéficie d’un privilège de juridiction le mettant largement à l’abri puisque les particuliers ne peuvent saisir la Cour constitutionnelle des actes le mettant en cause (pas de citation directe à l’égard d’un Premier ministre en fonction). Ce privilège de juridiction prend cependant fin avec les fonctions de Premier ministre, qui redevient à la fin de son mandat justiciable des tribunaux ordinaires.

De la nécessité de l’intervention législative pour la détermination de la juridiction devant juger un Premier ministre honoraire pour des actes ou faits infractionnels commis pendant ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, y compris la procédure y relative.

Bien que la Cour ait jugé que le privilège de juridiction du Premier ministre prend fin avec ses fonctions, après quoi il redevient à la fin de son mandat, justiciable des juridictions ordinaires, elle précise cependant que l’exigence du principe de la légalité exige que la procédure pénale à appliquer contre un ancien Premier ministre ou Premier ministre honoraire pour des faits circonscrits ci-avant devant les juridictions ordinaires doit être celle expressément prévue par les textes constitutionnels et législatifs en vigueur.

Par cette affirmation, la Cour met en exergue un élément important en droit pénal, à savoir, le critère de prévisibilité et d’accessibilité de la loi. C’est-à-dire que non seulement que cette loi doit exister au moment des poursuites, mais également elle doit être accessible. Car, il n’y a pas de juge ou de juridiction sans la loi, ce qui veut dire qu’une personne ne peut être poursuivie que devant une juridiction préalablement connue dans un texte de loi, sous peine de violer les prévisions de l’article 17, alinéa 2 de la Constitution qui dispose que : «Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit».

En l’espèce, la Cour a constaté que Monsieur Augustin Matata Ponyo Mapon a été Premier ministre de 2012 à 2016; qu’à ce jour, il n’exerce plus lesdites fonctions.

Elle a relevé que la compétence juridictionnelle étant d’attribution, le prévenu sus-identifié qui a cessé d’être Premier ministre en fonction au moment où les poursuites contre lui sont engagées, doit être déféré devant son juge naturel, de sorte que, autrement, il serait soustrait du juge que la Constitution et les lois lui assignent, et ce en violation de l’article 19 de la même Constitution, dont les deux premiers alinéas prévoient ce qui suit : «Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent». 

Elle ajoute que la théorie de l’interprétation du droit pénal est marquée par le caractère strict de l’interprétation, et est basée sur le principe de la légalité des délits et des peines. De même, la procédure pénale est caractérisée par le principe selon lequel la loi doit être prévisible et accessible. Une décision judiciaire condamnant un prévenu au mépris de ce principe ne peut être régulière.

C’est dire en clair que la Cour invite le constituant et le législateur à combler les lacunes liées à l’absence de la juridiction naturelle d’un ancien Premier ministre ou un Premier ministre honoraire pour des actes infractionnels commis pendant ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, ainsi que la procédure à mettre en œuvre devant cette juridiction. Il ne suffit pas de s’arrêter à stipuler que ces actes relèvent des juridictions ordinaires ou du droit commun; encore faudra-t-il préciser ladite juridiction ainsi que la procédure y relative, pour ne par heurter les articles 17, alinéa 2 et 19, alinéa 1er de la Constitution, ci-haut libellés, sans préjudice de la règle d’interprétation stricte, sacrée en matière pénale, valeur fondamentale pour un procès équitable.

Autrement dit, tous les anciens Premiers ministres, en l’occurrence : Augustin Matata Ponyo Mapon, Bruno Tshibala, Samy Badibanga Ntita, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, ne sauraient être poursuivis, après leur mandat pour des faits infractionnels commis dans ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions de Premier ministre, si ces poursuites n’ont pas été initiées conformément aux dispositions constitutionnelles et légales pertinentes pendant qu’ils sont en fonctions, car à ce jour, aucune loi ne détermine leur juridiction naturelle une fois devenu honoraire, de même que la procédure y relative, parce que, comme le savent tous les juristes qualifiés, la loi pénale ne rétroagit pas, sauf lorsqu’elle est favorable au prévenu.

En définitive, la Cour vient de mettre fin à toute velléité d’interprétation tendancieuse, et ramène tout le monde sur le terrain du droit, que dis-je, du bon droit. La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre en fonction.

Après avoir rappelé le libellé de l’article 164 de la Constitution, ci-haut mentionné, la Cour observe que cette disposition reconnaît au Président de la République et au Premier Ministre en fonction un privilège de juridiction tout simplement parce qu’il s’agit d’une question présentant un caractère politique trop accentué pour être examiné par une juridiction de l’ordre judiciaire. En plus, elle renchérit que c’est pour mettre à l’abri les deux autorités ci-haut des poursuites qui empêcheraient l’exercice des pouvoirs que leur confère la Constitution, que ce privilège leur a été reconnu.

Elle ajoute que le Président de la République et le Premier ministre bénéficient d’un régime dérogatoire au droit commun pour toute infraction par eux commise. Par ce régime, le constituant vise la protection des fonctions du Président de la République et du Premier ministre en exercice, lesquelles sont attachées à leur fonction.

La circonscription de la notion des immunités parlementaires

Enfin, circonscrivant la notion des immunités, la Cour a fait observer que les règles des immunités sont destinées à préserver le parlementaire dans l’exercice de ses fonctions. Il est donc évident, soutient-elle, que l’institution des immunités parlementaires a pour cause l’indépendance de l’exercice du mandat. Il ne s’agit pas de la protection exclusive d’un individu, appelé «parlementaire». Elle protège plutôt la fonction, en raison de l’intérêt public, et la personne du parlementaire n’en tire le bénéfice qu’indirectement. La protection du parlementaire c’est la protection du souverain primaire. En d’autres termes, c’est du fait de la fonction que certaines personnes jouissent des immunités. Elles ont le droit de bénéficier d’une dérogation à la loi commune.

Voilà quelques enseignements combien importants que l’on peut tirer de l’arrêt R.P.0001 rendu comme la première décision en matière répressive; le moins qu’on puisse dire, c’est que le bon droit a été dit.

Fait à Kinshasa, le 29 novembre 2021

Onyemba Djongandeke Laurent

Doctorant en Droit, chercheur en Droit public.

Mende Olenga Patrick

Professeur associé à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa