Assassinat de Chebeya : crime d’État confirmé !

Dix ans après l’ignoble assassinat de Floribert Chebeya, secrétaire exécutif de la Voix des sans Voix, la Justice militaire qui a décidé de la réouverture de son procès, s’approche de plus en plus de la vérité. Mercredi, Jacques Mugabo, témoin de l’assassinat de l’activiste des droits de l’Homme, tué le même jour avec son chauffeur, Fidèle Bazana, a reconstitué la scène du crime. Un témoignage glaçant qui confirme une chose : l’assassinat de Chebeya a été planifié au plus haut niveau de l’État. Plus de doute possible d’affirmer que sa mort est véritablement un crime d’État.

Le double meurtre du défenseur des droits de l’homme, Floribert Chebeya, tué en juin 2010 avec son chauffeur, Fidèle Bazana, commence à livrer son secret. En détention, le lieutenant Jacques Mugabo, témoin de cet assassinat, a décidé mercredi de briser l’omerta. Il a parlé, rendant compte à la Cour du déroulé des événements. Dix ans après ce crime odieux, la Justice n’a jamais été aussi près de la vérité.

Le procès de l’assassinat des défenseurs des droits de l’Homme Floribert Chebeya et Fidèle Bazana a permis des graves révélations. Le double assassinat était consciemment et minutieusement préparé par deux officiers supérieurs dans les installations de la Police nationale congolaise en utilisant des hommes engagés sous le drapeau.

Lucide, Jacques Mugabo a dit avoir participé à la double exécution, avec l’aide d’autres membres du commando dirigé par Christian Kenga Kenga. Pointillé dans son récit, le policier a reconstitué la scène du crime, depuis l’assassinat de Chebeya dans les locaux de la Police jusqu’à son acheminement sur la route de Matadi où il a été retrouvé sans vie le lendemain, les mains menottées derrière le dos. Puis, un sac plastique a été placé sur leur tête avec du scotch pour les étouffer.

A Jacques Mugabo de raconter. Ce jour du mois de juin 2010, tout commence dans les locaux de l’Inspection générale de la Police nationale où Floribert Chebeya vient répondre à une invitation du chef de la Police. Il n’en sortira plus vivant.

Après avoir été tué, le cortège qui conduit son corps sans vie prend la direction de la route de Matadi. Direction : la ferme du général Zelwa Katanga, alias Djadjidja.

Selon Mugabo, à leur arrivée sur le lieu, le trou pour accueillir le corps de Bazana était déjà creusé par un militaire sur place. Et c’est sur le chemin de la ferme, que le corps de Chebeya sera abandonné dans sa voiture dans un coin perdu de la route de Matadi, sur les hauteurs du quartier Mitendi.

Assassinat prémédité

En suivant le témoignage du policier Mugabo, il ne fait plus l’ombre de doute qu’en RDC, un crime d’Etat avait été commis par des officiers de la Police nationale congolaise. Un crime crapuleux dans la mesure où Floribert Chebeya avait documenté des choses connues de tout le monde. Rien ne justifiait donc que des officiers puissent décider de l’éliminer physiquement, lui et son chauffeur dans une mise en scène qui ne peut jamais être une conception humaine.

Des aveux

Aussitôt l’audience ouverte, le lieutenant Jacques Mugabo est passé aux aveux. Il a reconnu avoir pris part à l’exécution de ce crime dans le respect des consignes d’un corps comme la police. Allant dans des détails, le lieutenant Mugabo a quasiment répété ce qu’il avait révélé avant qu’ils avaient effectivement tué les deux défenseurs des droits de l’Homme sur ordre des officiers Daniel Mukalayi et Kienga-Kienga, des hommes à tout faire du général John Numbi, alors chef de la Police nationale congolaise actuellement en fuite.

Dans des bribes de détails donnés à d’autres circonstances, notamment à RFI, cet officier de la police avait affirmé qu’il leur avait été dit que « ce monsieur avait des problèmes avec le général John Numbi et l’ex-président Joseph Kabila ».

Le policier affirme que Fidèle Bazana et Floribert Chebeya ont été maîtrisés l’un après l’autre, les mains menottées derrière le dos. Puis, ils ont placé des sacs en plastique sur leurs têtes avec du scotch jusqu’à ce qu’ils manquent de l’air et meurent par étouffement.

Ayant agi sous les ordres de sa hiérarchie, le lieutenant Mugabo, membre du commando qui s’est chargé de l’exécution, est précis dans son récit : «Nous avons placé des préservatifs, des mèches de cheveux et des faux ongles avant de descendre son pantalon au niveau des genoux ».

Tout cela était réfléchi afin d’effacer des traces. La salle d’audience est restée glacée dans un silence de cimetière. Ces révélations démontrent que les défenseurs de droits de l’Homme ont vu venir la mort face à des bourreaux sans cœur.

Après avoir constaté la mort par étouffement, le commando s’est rendu à la sortie de Kinshasa, enterrant le corps de Bazana dans un trou préalablement creusé par un militaire dans la concession du général Djadjidja alors que le corps de Chebeya a été déposé à Mitendi à côté des préservatifs et autres artifices pour faire croire à une mort après ébats sexuels. Quelle cruauté ? Quel crime a-t-il commis pour mériter une fin aussi tragique ?

Et dire que pour cette tâche aussi ignoble, Jacques Mugabo et ses autres collègues n’auraient reçus, selon ses témoignages, que la modique somme de 50 USD.

Crime d’Etat

Ce qui s’est passé est ni plus ni moins qu’un crime d’Etat. Il n’y a pas d’autres termes pour le qualifier. Les exécutants ne peuvent pas subir, seuls, la rigueur de la loi. Partout où il est, le général John Numbi doit être traqué. Il doit répondre de ses actes. C’est inacceptable qu’un homme pareil puisse bénéficier de la protection des Etats civilisés. S’il peut prétendre n’avoir pas été informé de ce forfait, il devra être puni pour négligence. De même, il faut revoir la sanction contre le colonel Mukalayi. On ne peut entrevoir une quelconque remise de peine. Il y a des éléments nouveaux qui prouvent qu’il était dans l’action.

Lorsqu’il y a crime d’Etat, il faut aussi remonter plus haut vers l’ancien président de la République, s’il est cité.

Il y a des questions qui devront être élucidées pour comprendre les contours exactes de ce double meurtre de juin 2010 : Pourquoi a-t-on laissé faire John Numbi et ses hommes? Pourquoi l’a-t-on réintégré dans l’armée alors que tous savaient son rôle dans cet assassinat qui ne pouvait que faire très mal au régime ?

Dans le traitement de l’affaire Chebeya – ce crime d’Etat – il faut user de la fermeté parce qu’il est clairement établi que ceux à qui le pays avait investi des pouvoirs pour son bon fonctionnement en ont abusé en tuant de sang-froid un Congolais! Plus jamais ça !

Econews