Convocation de Peter Tiani au CSAC : Me Hervé Diakiese déploie la grande artillerie

Me Hervé Diakiese, l’avocat du journaliste «très engagé» Peter Tiani, déplore le comportement du CSAC qui a refusé de réceptionner jeudi sa correspondance soulevant les irrégularités de l’organe de régulation des médias dans son invitation concernant son client.
Sur son compte twitter, Peter Tiani annonce déjà un choc frontal avec la nouvelle direction du CSAC. Rendez-vous demain (Ndlr : ce vendredi) au siège de l’UNPC à 12h00. La résistance à l’oppression impose le respect. Un immoral peut-il devenir donneur des leçons ? Laissez les petites bêtes mourir de leur propre poison». Ci-dessous l’intégralité de la correspondance de Me Hervé Diakiese.

N°Réf 007/CAB HD/01/23

A Monsieur Le Président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC)
à Kinshasa/Gombe

Objet : Invitation du journaliste Peter TIANI a comparaître

Monsieur Le Président,
Nous venons, par la présente, aux droits de Monsieur TIANI MALEMBE Peter, qui nous a constitué conseil quant à ce, relever les éléments de droit qui entachent de lourdes irrégularités et d’illégalités flagrantes votre invitation, contenue dans votre correspondance 002/CSAC/CP/sec/54/O1/2023 du 10 janvier 2023, par laquelle vous le citez à comparaitre au secrétariat de |’instruction du CSAC, pour y présenter ses moyens de défense.
Il ressort de votre correspondance précitée qu’une plainte de Monsieur Lambert MENDE a été déposée auprès du CSAC, dans laquelle, il fait grief à mon client de l’avoir qualifié de «délinquant politique, de croc (sic) mort, ayant le sang des congolais sur les mains» sur Télé 50.
Sauf interprétation contraire de votre part, nous estimons approprié de donner, dans la présente cause, à l’expression « croc mort », le même entendement que croque-mort, à moins qu’il ne s’agisse d’une référence à une dentition jadis virulente et coupante qui aurait perdu ses effets; auquel cas, il vous appartiendra de nous le préciser, pour éviter toute ambigüité dans la compréhension et l’orthographe des expressions contenues dans la plainte.
Monsieur le Président,
Comme signalé, à l’entame de la présente lettre qui vaut déclinatoire de compétence, nous entendons démontrer des arguments liées à l’incompétence du CSAC pour convoquer Monsieur TIANI MALEMBE (I) et stigmatiser les irrégularités flagrantes liées à la présente invitation (II).

I. s’agissant de l’incompétence du CSAC
Votre invitation vise spécifiquement les articles 62 alinéas 1 et 2 de la loi organique du 10 janvier 2011 portant composition, attributions et fonctionnement du CSAC ainsi que l’article 87 du règlement intérieur du CSAC.
L’analyse minutieuse et combinée de ces dispositions, inscrites dans l’économie générale de la loi organique ainsi que l’interprétation téléologique de l’ensemble des dispositions du règlement intérieur, dans son régime disciplinaire permettent de conclure à l’incompétence du CSAC pour :

  • Violation du prince d’attributions de compétence;
  • Violation du droit au juge naturel;
  • Violation du principe non bis in idem;
  • Violation du principe de la présomption d’innocence et de la légalité des peines.

I.1. De la violation du Principe d’attribution de Compétence
Il est de principe que la compétence ne se présume pas, elle est d’attribution.
Que dans le cas d’espèce le CSAC tire ses attributions de la loi organique déjà sus-évoquées, ainsi que de son règlement intérieur, pour autant que ses mesures d’application demeurent conformes a la loi organique qui, elle, a valeur constitutionnelle.
L’article 62 alinéas 1 et 2 que vous visez dans votre invitation, se réfère aux cas des plaintes ou de saisine d’office du CSAC lui donnant attribution de notifier les griefs formulés à l’organe des médias incriminés et l’invite a présenter ses moyens de défense.
Vous conviendrez avec nous, sur ce point, que Monsieur TIANI, n’est pas, en tant qu’individu, un organe de media, et qu’en tout état de cause, votre lettre a bien précise l’identité du media concerne, censé relever de votre compétence .Ce n’est pas le cas de Monsieur TIANI, personne physique, relevant d’une autre instances, à savoir le Tribunal des pairs de l’UNPC, pour des cas relatifs à l’éthique ou a la déontologie professionnelle.
L’article 87 du Règlement intérieur, que vous combinez à l’article 62 crée délibérément un flou visant à octroyer au CSAC, par un raccordement frauduleux, une compétence que la loi organique ne lui a pas attribuée.
La ratio legis qui justifie l’existence de cet article 87 du règlement intérieur, qui, il faut le rappeler ne peut être applicable que dans sa conformité a la loi organique, ne peut s’appréhender que dans sa compréhension globale avec les autres articles combines, en l’occurrence 57 à 67 de la loi organique et 85 a 90 du règlement intérieur notamment.
L’expose des motifs de la loi organique du CSAC, dans son paragraphe 7 fixe clairement les limites des attributions du CSAC en ces termes :
La présente loi détermine le champ d’intervention du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la Communication qui ne vise que les organes des medias et non les professionnels de ce secteur, sauf en cas des faits infractionnels.
Il ressort clairement de la volonté du législateur qu’il n’a jamais entendu attribuer au CSAC une compétence sur les professionnels des medias, mains plutôt sur les organes des medias.

Quant aux aspects
Infractionnels, il va de soi que c‘est de la compétence exclusive des instances judiciaires, auxquels vous n’avez que le devoir de déférer les faits de la cause et non de les instruire.
Cela est d’autant plus patent que dans la grille des sanctions que le CSAC est habilité à infliger, comme énumérées exhaustivement par les articles 58 et 59 de la loi organique, il n’en existe aucune qui vise un professionnel des medias.
L’article 57 de la loi organique qui s’inscrit dans le régime disciplinaire, en précisant qui sont les justiciables disciplinaires du CSAC, et donne au règlement intérieur uniquement la compétence de fixer la procédure devant le CSAC, dispose sans équivoque, comme suit:
Le Conseil est saisi par toute personne morale ou physique d’une plainte à charge de toute entreprise des medias dont le professionnel viole les règles d’éthique et de déontologie journalistique d’information. Il peut se saisir d’office.
Le règlement intérieur fixe les règles de procédures devant le Conseil.
Il découle du dernier alinéa de cette disposition de la loi organique, qu’en matière disciplinaire le règlement intérieur du CSAC vise uniquement à fixer les règles des procédures et non pas a se créer des justiciables que la loi ne lui a pas attribués.
C’est ainsi que les articles 85 et 86 du règlement intérieur ont pertinemment visé les articles 57 et 58 de la loi organique fondement du régime disciplinaire du CSAC.
De ce qui précède, cet article 87 que vous aviez visé dans votre invitation constitue une violation flagrante de la loi organique organisant le CSAC et ne peut être opposable aux tiers.
Or, il est de principe constitutionnel, garanti par l’article 28 de la Constitution que :
Nul n est tenu d exécuter un ordre manifestement illégal. Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques et des bonnes mœurs.
Dans le cas d’espèce, votre invitation, en ne se fondant que sur cet article 87 du règlement intérieur, tout en ignorant les dispositions pertinentes de la loi organique pré-rappelées, constitue un ordre manifestement illégal, dont l’illégalité a été démontré et mon client, exerçant cette garantie constitutionnelle, ne peut y obéir .
Par ailleurs, votre invitation constitue une violation du droit à un juge naturel.

I.2. Violation du droit au juge naturel
Il est de principe, garanti par l’article 19 alinéa 1 de la constitution que :
Nul ne peut être ni soustrait ni distrait de son juge naturel.
En matière de manquement a l‘éthique professionnelle ou pour toutes autres questions de déontologie concernant les professionnels de la presse, il existe un organe habilité qui est le Tribunal des Pairs.
Ce Tribunal des Pairs statue sur les manquements reprochés aux professionnels, personne physique et non aux organes des médias, attribution du CSAC.
En l’occurrence, il a été saisi des mêmes faits et a adressé une invitation à mon client pour être entendu ce vendredi 13 janvier 2023 à 12H00.

I.4. Violation du principe de la présomption d’innocence et de la légalité des peines
L’article 17 de la Constitution s’est longuement penché sur ces garanties constitutionnelles.
En l’occurrence et in casu spécie, cette disposition prohibe d’infliger une condamnation à une personne, sans qu’elle n’ait été jugée et soumise aux règles fixant la peine et la procédure de sa défense. Elle prohibe aussi le fait de traiter en coupable une personne qui n’a pas été définitivement condamnée.
Dans votre invitation, le dernier paragraphe contient un message comminatoire ainsi libellé :
Le refus de présentation de vos moyens de défense vous expose a des sanctions plus lourdes conformément a la loi.
L’allusion a des «sanctions plus lourdes», s’agissant d‘une personne qui n’a pas encore été entendue, qui n’a pas encore eu à présenter ses moyens de défense, signifie clairement que vous avez déjà sanctionné l’intéressé, et ce de manière clandestine, en attendant sa comparution pour échapper a des sanctions plus lourdes.
Autrement, rien ne justifie cette formule comminatoire.
Votre invitation est donc une atteinte flagrante a la présomption d’innocence et à la légalité des peines, ce qui est extrêmement préoccupant pour une institution d’appui a la démocratie.
Nous vous serions gré de bien vouloir nous communiquer les sanctions moins lourdes déjà prises à l’encontre de Monsieur TIANI, afin de lui permettre d’exercer ses voles de recours.
Outre ces arguments de déclinatoire de compétence, votre invitation est entachée des graves irrégularités procédurales.

II. Des irrégularités flagrantes de l’invitation à comparaitre
Votre invitation adressée a Monsieur TIANI est datée du 10 janvier 2023 et l’enjoint de comparaitre le 13 janvier 2023
Pourtant l’article 62 alinéa 1 et 2 de la loi organique dispose que vous invitez l’organe de médias incriminé a présenter ses moyens de défense endéans sept jours francs.
Conformément aux articles 34, 35, 40, 55 et 56 du statut Particulier de la Commission de Discipline et D’éthique professionnelle, qu’est le tribunal des pairs, il appert que Monsieur TIANI, en sa qualité de professionnel des medias, est justiciable devant cette instance, quant aux faits dont a été saisi le CSAC.
Que de ce fait, vouloir persister dans votre invitation est une violation flagrante de droit au juge naturel et une tentative de soustraire ou de distraire un journaliste professionnel du juge que la loi lui assigne.
Qu‘ainsi, votre invitation constitue une violation de la constitution et des autres dispositions particulières évoquées.
Outre ce qui précède, votre invitation porte atteinte au principe non bis in idem

1.3. Violation du principe non bis in idem
Il est de principe général de droit que Nul ne peut être juge deux fois pour les mêmes faits.
Il demeure constant que le CSAC a été saisi d’une plainte à charge de Monsieur TlANl, sur demande de Monsieur MENDE Lambert.
Il demeure constant que le Tribunal des pairs a été saisi, lui aussi, de la même plainte concernant les mêmes faits et opposant les mêmes parties, toujours à la requête de Monsieur MENDE Lambert, poursuites et diligences de ses conseils.
Que par ailleurs, depuis le 09 janvier 2023, le Tribunal des pairs a invite Monsieur TIANI à comparaitre le vendredi 13 janvier 2023 a 12h00 pour présenter ses moyens de défense.
Que le lendemain 10 janvier 2023 c’est le CSAC, par votre entremise qui l’invite aussi pour les mêmes faits, opposant les mêmes à se présenter au secrétariat de l’instruction le même vendredi a 13 heures précises pour y présenter ses moyens de défense.
Cette situation de litispendance, pouvant aboutir à être jugé deux fois pour les mêmes faits, outre les autres arguments déclinant la compétence du CSAC, ne peut se régler qu’en laissant la juridiction naturellement compétente, en l’occurrence le Tribunal des pairs, sa prérogative de statuer. Ce, d’autant plus qu’elle a fait les diligences nécessaires pour statuer avant la vôtre, en notifiant l’invitation à Monsieur TIANI, depuis le 09 janvier 2023 et en fixant la cause avant le CSAC.
Au-delà de ce qui précède, votre invitation viole le principe de légalité des délits et des peines.
Or, en invitant Monsieur TIANl moins de sept jours francs pour y présenter ses moyens de défense, votre invitation à délibérément viole cette disposition.
Par ailleurs, la dérogation d’abréviation des délais, prévue par l’alinéa 2 du même article, exige une décision motivée du Bureau du CSAC, laquelle devrait être annexée a l’invitation, en guise de justification d’abréviation de délais, et des motifs impérieux d’ordre public ou de flagrance.
Qu’au regard de ce qui précède, il est manifeste que la présente procédure a été initiée avec une célérité suspecte, au mépris total des règles de compétences et des respects des procédures, avec déjà une décision, des sanctions lourdes, rendue en toute clandestinité, pour contraindre mon client a comparaitre, afin non pas de se défendre, mais d’éviter des sanctions plus lourdes encore.
Au regard de la noble mission qui est celle du CSAC, en tant qu’institution d’appui à la démocratie, Nous ne doutons pas un seul instant, que sur base des arguments de droit développés supra, le CSAC s’abstiendra d’intervenir dans la présent affaire, en la laissant, en ce qui concerne Monsieur TIANl, aux instances habilitées pour les questions d’éthiques des professionnels de presse.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre parfaite Considération.

Kinshasa, le 12 janvier 2023

Hervé DIAKIESE KYUNGU
AVOCAT
ONA 1388