Dans un an jour pour jour, les Congolais doivent choisir leur nouveau Président

Les candidats sortent du bois mais des énigmes demeurent et tout le processus électoral continue de poser bien des questions.
J moins 362. Le 20 décembre 2023, les électeurs congolais seront appelés pour le quatrième scrutin présidentiel et législatif de la jeune histoire de la République démocratique du Congo. Un passage par les urnes qui s’apparente à un véritable défi pour la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) dirigée par Denis Kadima, qui entend enregistrer près de 50 millions d’électeurs en trois mois, mobiliser les électeurs de la diaspora congolaise en Belgique, en France, au Canada, aux États-Unis et en Afrique du Sud et organiser les premières élections locales de la RDC, le tout en respectant scrupuleusement les délais impartis par la Constitution congolaise.
Un défi qui laisse dubitatifs nombre d’observateurs pour qui les délais sont intenables et les promesses irréalisables, «d’autant plus que la mobilisation internationale est moindre que pour les dernières élections où la Monusco, notamment, avait été largement déployée », explique un habitué des processus électoraux en Afrique.
Denis Kadima n’en a cure. Il martèle partout où il passe – comme à Bruxelles au palais d’Egmont, le 2 décembre dernier – que le scrutin se tiendra le 20 décembre 2023. Ses équipes enregistreront donc 16 millions d’électeurs par mois dans un pays sans infrastructures et en période des pluies.
«Kinshasa est sous eau depuis plusieurs jours. Les corps des victimes de ces inondations terribles sont encore ramassés tous les jours, comment voulez-vous enregistrer les électeurs dans ces conditions ? Dans le Nord-Kivu, les affrontements se poursuivent, le Kwilu est loin d’être apaisé et la RDC est le pays qui compte le plus de déplacés internes, on parle de près de 5 millions. Dans ce contexte, il est impossible de faire un travail sérieux », explique un ancien agent de la Ceni, qui souligne aussi le temps «nécessaire » pour «l’examen et la correction du fichier électoral. Ce ne sont pas quelques doublons que l’on découvre à chaque exercice, mais des centaines de milliers. Vérifier ce fichier, c’est un travail de bénédictin qui demande du temps. La Ceni prévoit un mois pour le réaliser, c’est risible et une des portes ouvertes pour la tricherie».
Denis Kadima expliquait lors de ce passage à Bruxelles que les élections auront lieu «pour la première fois un mercredi qui sera un jour férié, chômé et payé». Et il a tenu à rassurer une fois de plus que «les élections seront inclusives. Si vous voulez être candidat, venez. Personne ne sera laissé de côté sauf si le candidat est impliqué dans un crime de guerre». Dans la foulée, le président de la Ceni osait aborder le coût de ce scrutin qui devrait flirter, voire dépasser le milliard de dollars. «Nos élections sont coûteuses. 400 millions de dollars ont déjà été dépensés », expliquait-il avant d’ajouter : «Cela me dérange beaucoup. Je dois demander des crédits supplémentaires».
À Kinshasa, en présentant son calendrier électoral, le patron de la Ceni avait déjà expliqué qu’il allait «exploser» son budget parce qu’il fallait recourir à de nombreux avions pour dispatcher tout le matériel nécessaire pour ces scrutins.

Des candidats à la pelle
Si le doute subsiste sur l’organisation de ce scrutin, si les critiques demeurent vives sur la proximité des juges de la Cour constitutionnelle (qui doit avaliser le résultat des élections) avec le pouvoir, sur les déséquilibres ethniques, les candidats à la présidentielle commencent à se déclarer.
Félix Tshisekedi est candidat à sa succession. Mal élu en 2018, porté au pouvoir par un accord avec son prédécesseur Joseph Kabila sans se soucier des résultats du scrutin qui n’ont jamais été publiés officiellement, l’homme entend faire taire toutes les critiques en s’imposant en 2023. Avec un scrutin à un tour, le président sortant doit espérer que ses adversaires soient nombreux pour une large dispersion des voix.
En coulisses, il a tout fait pour «bétonner» coûte que coûte ce succès en imposant « ses » juges à la Cour constitutionnelle, « son » favori à la tête de la Ceni, en court-circuitant systématiquement les normes établies. Il s’est aussi acheté la complicité d’une large majorité au Parlement par des salaires et des primes indécentes, sans oublier ces petits cadeaux qui entretiennent l’amitié et les fidélités, comme ces jeeps distribués à chaque parlementaire.
Paradoxalement, dans un scrutin à un tour organisé à la hussarde, les instabilités dans certaines provinces qui ne sont pas ses réserves de voix pour le président sortant peuvent également le servir. Les discours de haine à l’égard des Rwandais et l’assimilation de tous les présumés Tutsis à des Rwandais ont permis au pouvoir de fédérer une part importante de la population dans une dérive éminemment raciste qui a fait oublier – pour un temps au moins – le bilan politico-économique de ce mandat. Un bilan qui flirte avec le zéro.
En face de lui, il retrouvera la plupart de ses anciens alliés de la précampagne de 2018, quand l’opposition congolaise avait réussi, pour quelques heures seulement, à s’entendre sur le nom d’un candidat unique : Martin Fayulu.
Celui-ci, qui se présente comme le « président élu de 2018 », sera de nouveau de la partie. Mais cette fois, il ne pourra bénéficier du soutien des locomotives qui le portaient il y a cinq ans comme Bemba et Katumbi. Il devra aussi affronter son ancien inséparable acolyte de l’ex-Grand Bandundu, Adolphe Muzito.
Toujours à l’ouest, reste l’énigme Bemba. L’ancien chef rebelle a perdu de sa superbe en cherchant à tout prix une alliance et des accessits chez Tshisekedi qui ne lui a finalement rien concédé. Une proximité qui déplaît dans cet ex-Grand Équateur qui n’a rien oublié du temps du Maréchal et qui se sent abandonné depuis un quart de siècle.
Dans l’Est du pays, Antipas MbusaNyamwisi s’est déjà lancé dans la course dans le Nord-Kivu, comme l’ancien Premier ministre MatataPonyo dans le Maniema, même si ce dernier est toujours menacé par des dossiers judiciaires pour sa gestion des fonds publics du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo.

Que d’interrogations au Sud-Kivu
Au Sud-Kivu, les Congolais s’interrogent sur le positionnement à venir de Vital Kamerhe, le colistier de Tshisekedi en 2018, qui aurait dû, selon leur accord de Nairobi, être le candidat de ce tandem l’année prochaine. La justice est passée par là. Condamné à 20 ans, puis 13 ans en appel, avant d’être blanchi, l’homme se serait rangé derrière Tshisekedi et serait chargé de mener sa campagne. Un exercice qu’il connaît parfaitement pour avoir été le chef d’orchestre de celle de Kabila en 2006. Une autre interrogation dans cette province s’appelle Modeste Bahati, le président du Sénat, second personnage de l’État, qui ne peut espérer rempiler à cette fonction. L’homme est ambitieux et sait manœuvrer. Mais la réelle inconnue du Sud-Kivu s’appelle Denis Mukwege. Le Prix Nobel de la paix 2018 n’a jamais annoncé son intention de se lancer en politique mais d’autres, surtout en Europe, y pensent pour lui. Le médecin de Panzi sait que le pari est très risqué même en cas de victoire.

Le cas Katumbi
Depuis le week-end dernier, le principal adversaire de Tshisekedi est entré dans la danse en claquant poliment la porte de l’Union sacrée. Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Grand Katanga, empêché de participer en 2018, a annoncé qu’il était candidat. Son parti Ensemble pour la République doit l’introniser ce jeudi. L’homme a perdu du temps, de l’énergie et de sa popularité en accompagnant, même mollement, même de loin, la présidence de Tshisekedi. Mais il avait eu la bonne idée d’entrer dans cette majorité avec un cahier des charges qui n’a jamais été respecté. Il peut donc justifier facilement son divorce.
Katumbi demeure populaire dans son grand Katanga où, pour l’instant, il n’a aucun adversaire. Il a perdu certains de ses lieutenants dans son aventure gouvernementale mais il se reconstruit et dispose d’un vrai parti présent dans toutes les provinces. L’espace swahilophone lui est largement acquis.

L’énigme Kabila
Il manque évidemment un acteur de poids : Joseph Kabila et son FCC/PPRD. L’ancien président sait qu’il peut difficilement revenir personnellement sur le devant de la scène sans susciter une levée de boucliers internationale. Il sait aussi que son casting en 2018 lui a coûté très cher. Un congrès de son parti, le FCC, ne cesse d’être reporté.
«Il est en latence», comme l’explique un de ses proches. L’énigmatique «Raïs », qui poursuit notamment une thèse universitaire en Afrique du Sud, attendra la dernière heure pour mettre cartes sur table, mais il sera inévitablement un acteur de ce scrutin.
Avec La Libre Afrique