Delly Sesanga : «Ma conception de la sureté de l’Etat contre la dérive dictatoriale en RD Congo»

Delly Sesanga, leader d’ENVOL, parti politique de l’Opposition, a tenté de décrypter, à sa manière, la déclaration fracassante du Chef de l’Etat faite depuis la ville de Mbuji-Mayi. Tribune.

  1. Le mépris de la Constitution et des Lois est la pire menace à la sécurité et à la stabilité du pays. Dans un État de droit, c’est la loi qui définit les conditions ainsi que les circonstances dans lesquelles il y a lieu d’évoquer de l’atteinte à la stabilité et à la sécurité du pays, dont la sûreté de l’État est une des composantes. Toute autre référence pour le faire est arbitraire et relève de l’abus de pouvoir !
  2. La dictature commence et s’entretient lorsque le pouvoir, et en particulier quand le Chef de l’État, décide par sa seule volonté et les zèles de ses partisans, de poursuivre toute personne qu’il accuse, à tort ou à raison de porter atteinte à la sécurité de l’Etat. Le passé ne nous instruit-il pas ? Pourtant, au nom des mêmes considérations de l’atteinte à la sûreté de l’État, un jour de la pentecôte, le 1er juin 1966, sur la place où est érigé le stade des martyrs, le régime de la IIème République et ses thuriféraires, pour servir d’exemple, lancer un message fort à l’opinion, prévenir toute critique, en insufflant la terreur pour museler les oppositions, mirent à mort les quatre compatriotes, (connus sous l’appellation pendus de la pentecôte) – et, à travers leur martyr la démocratie fut ensevelie – pour instituer la dictature.
  3. Dans ce cadre, les propos du Président de la République tenus à Mbuji-Mayi, promettant de s’attaquer sans hésitations et sans remords à tout congolais qui mettrait en danger la sécurité et la stabilité du pays, et ce, sans égard sur les droits de l’homme, sont d’une extrême gravité. Ils expriment une confusion des ordres et un déficit du sens de l’Histoire de notre pays, en s’inscrivant à l’encontre des valeurs et des principes sur lesquels le Peuple congolais a fondé l’ordre politique cristallisé dans la Constitution du 18 février 2006 : l’Etat de droit démocratique. Il s’agit en réalité d’une dérive autoritaire, qui n’a pas de place dans une démocratie libérale fondée sur le principe de l’Etat de droit.
  4. Je considère qu’il n’y a pas pire atteinte à la stabilité du pays et à la sécurité de son peuple qu’un régime qui s’émancipe de la Constitution ainsi que des principes démocratiques et des valeurs républicaines. L’annonce de la décision d’avancer et de demeurer ainsi à la marge du respect de nos institutions et de nos lois, sous le prétexte de la sécurité et de la stabilité, porte un coup critique inacceptable au processus démocratique et à la cohésion nationale. Pourtant, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays sont sous une menace militaire immédiate à l’EST, qui requiert davantage fermeté et rigueur dans l’action du pouvoir. Les congolais en paient constamment le prix du sang et ressentent l’abandon de leur État. L’introversion du pouvoir par la quête effrénée du prétendu ennemi intérieur, ne peut compenser le manque d’efficacité contre les menaces militaires externes pourtant bien identifiées. Bien au contraire, ce type de procédé a toujours été à la base des désastres des Nations.
  5. Le constituant de 2006 réaffirme dans l’exposé des motifs l’attachement de la République Démocratique du Congo aux Droits humains et aux libertés fondamentales tels que proclamés par les instruments juridiques internationaux auxquels elle a adhéré. C’est pourquoi, ces droits et libertés sont intégrés dans 57 articles faisant partie du corps même de la Constitution au titre 2 consacré aux droits humains, libertés fondamentales et droits du citoyen. Ils représentent en volume le quart des 229 articles soit 25% des dispositions de notre Constitution.
  6. C’est donc un devoir de la charge du Président de la République de veiller au respect intégral de la Constitution. D’où le serment solennel qu’il prête de veiller, d’observer et de défendre la Constitution ainsi que les lois de la République, en jurant de ne se laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine. Les 13 parlementaires n’avaient-ils pas, à juste titre, rappelé au Président fondateur Mobutu en ces termes : «Il est inadmissible que vous continuiez à modifier par des discours les lois et la Constitution » ? Est-ce une volonté et un choix de revenir aujourd’hui à ce passé ?
  7. J’affirme, sur pied des prescrits de la Constitution, que le respect des droits de l’Homme et des libertés publiques n’est donc, ni une option pour le Président de la République, ni une libéralité du chef de l’État à ses sujets, ni une valeur négociable à l’aune des calculs politiciens. C’est un droit des citoyens et une obligation du serment constitutionnel du Président de la République, sous peine de haute trahison !
  8. En démocrate, partisan de l’État de droit, je condamne avec fermeté ces graves propos du Chef de l’État qui ébranlent les fondements de la cohésion nationale et de la concorde intérieure. Il revient au peuple congolais, comme nous l’ont instruit Patrice Emery Lumumba ainsi que les 13 parlementaires à ne pas céder à la peur, à défendre la Constitution et les lois de la République, y compris contre toute autorité qui s’en écarte (article 64). Les congolais doivent demeurer vigilants dans l’unité autour des acquis de notre Histoire pour barrer la route à toute nouvelle dérive dictatoriale. Je reste convaincu que c’est à ces conditions que nous pouvons matérialiser le rêve de Patrice Emery Lumumba, Père de l’indépendance et de l’État de droit dans notre pays.
  9. Au discours du Président Félix Tshisekedi qui pense s’attaquer sans hésitations, sans remords à tout congolais qui mettrait en danger la sécurité et la stabilité du pays, et ce, sans égards aux droits de l’homme et aux libertés; je demande aux démocrates d’opposer fermement le serment de Patrice Emery Lumumba, qui dit de son gouvernement dans son discours d’investiture du 23 juin 1960 : « (Il) s’efforcera de mettre en place un État de droit et d’ordre public dans le pays, et ce sans la moindre hésitation. Et pour ce faire, il lui faudra toujours respecter ces biens que sont les droits inaliénables de l’homme et du citoyen…Nous ne voulons rien avoir à faire avec des nouvelles formes de dictatures ».
  10. Dans le cadre de mon projet pré projet de LA REFONDATION DU CONGO, j’invite les congolais à rechercher cet État pour lequel nous nous engageons. Un État de droit où seule la Constitution et les lois du pays dictent les actes des dirigeants, dans le respect sans faille des droits de l’homme et de la dignité de la personne humaine.
    Delly SESANGA HIPUNGU DJA KASENG
    Président national d’ENVOL