Interférence politique dans le dossier Matata : le ministre de la Justice pris la main dans le sac

Quand Econews a dénoncé, dans une récente édition, la forte pression exercée par Mme la ministre d’Etat en charge de la Justice et Garde des sceaux, Rose Mutombo Kiese, sur le Parquet général près la Cour de cassation pour fixer le procès Matata, son cabinet s’est vigoureusement attaqué à notre rédaction jusqu’à menacer de nous traduire en justice pour, semblait-il dire, diffamation et diffusion de fausses informations.

Heureusement, un vieil adage rappelle que « quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit toujours par poindre ». En effet, c’est sur les réseaux sociaux que les informations relayées par Econews ont finalement eu gain de cause.

Une correspondance de Mme la ministre d’Etat en charge de la Justice au procureur général près la Cour de cassation, datée du 9 mars 2022, confirme réellement que la Garde des sceaux a profité de sa position dans la Gouvernement pour donner des injonctions au PG près la Cour de cassation pour, dit-elle, accélérer le dossier Matata. Une position que ne lui confrère nullement les lois et règlements de la République Démocratique du Congo. En réalité, Mme la ministre est allée bien au-delà de ses attributions. En agissant ainsi, Mme la ministre d’Etat a révélé au grand jour la main politique qui guide, depuis toujours, le procès Matata. Bien plus, Mme la ministre de la Justice a sacrifié sur l’autel des intérêts politiques l’Etat de droit dont se réclame le pouvoir en place à Kinshasa.

En réalité, en interférant sur le dossier Matata, Mme la ministre prouve qu’en RDC, la Justice est encore loin de s’affranchir de la politique. Malheureusement, Mme la ministre ignore que le combat pour l’avènement d’une justice « juste et équitable » est celui qu’a porté, depuis toujours, l’UDPS. Le renier, c’est autrement trouver l’âme du Sphinx Etienne Tshisekedi wa Mulumba. On n’exerce pas le pouvoir pour nuire. Le pouvoir, c’est savoir rendre service en se pliant aux règles qui régissent toute société qui se veut démocratique.

En donnant injonction au PG près la Cour de cassation, par sa lettre du 9 mars 2022, la Gardes des sceaux a pêché sur toute la ligne. Elle a assené un coup fatal à l’indépendance de la justice.  Après 37 ans de lutte pour l’avènement d’un Etat de droit, pareil agissement ne pouvait pas venir du régime « udpsien ».

Le lider maximo doit sûrement se retourner dans sa tombe. Son combat a été dénaturé.

Saisissant la balle au bond, le sénateur Matata Ponyo Mapon n’a pas tardé à réagir. Ancien Premier ministre, il sait comment fonctionne un Gouvernement et jusqu’où s’étalent les attributions d’un ministre de la Justice.

C’est ce qu’il rappelle à Mme la Garde des sceaux dans sa lettre du 25 mars 2022. Une bonne leçon de droit que Mme la ministre d’Etat en charge de la Justice devrait intérioriser, avant de passer outre les prérogatives lui reconnues par la loi.

Voici, en fac-similé, l’injonction de la ministre de la Justice au PG près la Cour de cassation, avec en prime la réplique de Matata.

Econews

A son Excellence Mme la ministre d’Etat, ministre de la Justice et Garde des sceaux

Concerne : Votre lettre adressée au Procureur Général près la Cour de Cassation sur mon dossier

Excellence Madame la Ministre d’Etat,

J’ai l’honneur de me référer à votre lettre N°NR500/OMK 184/DA/CAB/ME/MIN/J&GS/2022 du 09 mars 2022 dont copie circule sur les réseaux sociaux.

Par cette correspondance, vous demandez au Procureur Général près la Cour de Cassation de traiter avec diligence le dossier me concernant qui a été transmis irrégulièrement à son office.

Il m’est utile de rappeler à votre Excellence que votre démarche s’écarte fondamentalement de l’esprit et de la lettre des dispositions de l’article 15 de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats telle que modifiée et complétée par la Loi organique n°15/014 du 1er août 2015 ainsi que l’article 36 de la Loi organique n°13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de Cassation.

Pour votre gouverne, le législateur a circonscrit et encadré le pouvoir d’injonction du Ministre de la Justice sur le Parquet de telle sorte que, lorsque l’injonction est faite par le Ministre de la Justice sans que la question ne soit préalablement traitée au niveau du Conseil des Ministres, celle-ci s’assimile à un excès, voire à un abus de pouvoir, mieux un abus d’autorité.

En plus, s’agissant de l’injonction faite au Parquet Général près la Cour de Cassation, l’article 36 de la Loi organique n°13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de Cassation trace la ligne directrice de l’exercice du pouvoir d’injonction pour les dossiers qui nécessitent l’intervention gouvernementale et surtout sur lesquels la justice n’est pas encore saisie. Ce qui n’est pas le cas dans le dossier qui me concerne où il y a déjà même une décision de justice rendue en premier et dernier ressort par la Cour constitutionnelle sous RP 0001 du 15 novembre 2021.

Il revient à dire que le pouvoir d’injonction ne peut servir des béquilles à un ministre de la Justice pour voiler son ingérence sur les dossiers judiciaires conformément à l’article 151 alinéa 1 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, qui dispose que : « le pouvoir exécutif ne peut donner d’injonction au juge dans l’exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice ».

Il s’ensuit que, pour un dossier dont l’instruction serait suffisamment avancée selon vous et pour lequel la Cour constitutionnelle a été saisie régulièrement par le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle et a même rendu sa décision depuis le 15 novembre 2021, votre lettre traduit l’ingérence voilée dans un dossier en instruction devant les instances judiciaires. En plus, vous vous êtes écartée de la compétence vous reconnue par les dispositions légales susmentionnées et cette attitude pourrait s’assimiler, à ne point douter, à un intérêt quelconque que vous auriez dans mon dossier.

Pourtant, au lieu d’instruire le Procureur Général près le Cour constitutionnelle de lever les mesures irrégulières par lui prises contre moi, vous préférez aggraver la violation de mes droits et libertés garantis par la Constitution et les lois de la République. Et pourtant, vous êtes restée silencieuse à toutes les lettres que j’ai écrites aux Procureurs près la Cour constitutionnelle et Cour de Cassation, dont copies vous ont été réservées, faisant état des violations flagrantes de la Constitution, des lois et autres règlements du pays par le Parquet près la Cour constitutionnelle en rapport avec mon dossier. Il s’agit notamment des lettres réf. N°SENAT/MPM/KM/12/2022/040 du 02 décembre 2021 et réf. N°SENAT/MPM/KM/12/2022/006 du 24 février 2022. D’où ma déception.

Dans l’espoir que la présente vous permettra de revenir sur les compétences vous reconnues par la Constitution et les lois de la République, je vous prie, Excellence Madame le Ministre d’Etat, de croire en l’expression de ma considération très distinguée.

Matata Ponyo Mapon

Sénateur

LETTRE