Kenya-RDC : l’élection de William Ruto remet les compteurs à zéro

William Ruto, le nouveau président kenyan, restera-t-il dans la lignée de son prédécesseur, Uhuru Kenyatta

L’élection de William Ruto comme cinquième président de la république du Kenya au détriment de l’opposant historique Raila Odinga (soutenu par le président sortant) a constitué une grosse surprise dans nombre de capitales africaines. Cette élection met fin aux années Uhuru Kenyatta et brise, en même temps, le rêve présidentiel de son dauphin désigné, Raila Odinga. Dans ses premières déclarations de président élu, William Ruto a promis de travailler avec tout le monde. Ce qui ne l’oblige pas à pérenniser les méthodes de son prédécesseur. On doit s’attendre à de grands changements depuis Nairobi. Ce qui ne manquera pas d’influer sur la politique de Kenya dans la région des Grands Lacs. A Kinshasa, on suivra de près les grandes manœuvres politiques de Nairobi.
Vice-président sous les deux mandats d’Uhuru Kenyatta dont il est devenu l’un des opposants, William Ruto ne partait pas avec les faveurs des pronostics. La victoire de Raila Odinga était secrètement souhaitée par les alliés continentaux d’Uhuru Kenyatta, dans une perspective de la pérennisation des réseaux d’influence tissés par celui-ci tant au niveau des organisations régionales à l’exemple de l’East African Community (EAC) que de l’Union africaine. La République démocratique du Congo doit suivre avec une attention toute particulière le bouleversement politique intervenu au Kenya qui vient rebattre les cartes et remettre les compteurs à zéro.
Vue de Kinshasa, la victoire de William Ruto à l’élection présidentielle du 2 août 2022 est loin d’être un motif de réjouissances. Dans une déclaration récente, l’ex-vice-président a traité les Congolais d’ «un peuple paresseux qui n’a pas de vaches pour produire son propre lait, qui aime chanter et qui porte des pantalons enfilés au-dessus du nombril ». Une attitude qui laisse présager des relations difficiles avec le pouvoir de Félix Tshisekedi largement soutenu par Uhuru Kenyatta dans sa recherche de la stabilité dans les régions de l’Est. Ce dernier, l’on s’en souvient, avait été en effet le seul chef d’Etat présent à Kinshasa à l’investiture du successeur de Joseph Kabila, le 29 janvier 2019.
Un échec à répercussion régionale
L’échec du candidat Odinga, est un revirement qui vient remettre en question les engagements pris par son désormais ancien titulaire, dont la constitution de la force régionale de l’EAC destinée à intervenir aux côtés de l’armée congolaise dans sa lutte contre la constellation des groupes armés non-étatiques qui écument les provinces orientales de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Sans préjuger de la position du nouveau dirigeant quant à la politique extérieure de son futur gouvernement, à l’heure où il n’est pas encore investi, il est cependant permis de considérer que Ruto n’irait pas jusqu’à faire table rase des initiatives de son prédécesseur, comme retirer la force kenyanne du corps expéditionnaire à envoyer au Congo. A tout le moins serait-il amené à en retarder le déploiement.
Il serait en effet hasardeux qu’il vienne à torpiller les efforts entrepris par Uhuru Kenyatta dans la difficile médiation entre le gouvernement congolais et les groupes armés réunis dans les négociations dans le cadre du «processus de Nairobi ». L’aboutissement satisfaisant des pourparlers entre Congolais, il le sait, sera à mettre à son actif. D’où la nécessité de sa part de jouer à l’apaisement avec ce géant au cœur de l’Afrique qu’est le Grand Congo.
Sur le plan économique, William Ruto, homme d’affaires à la tête d’une immense fortune, a tout intérêt à ménager Kinshasa. Le Kenya leader et pionnier du mobile banking en Afrique subsa-harienne (M-pesa y a fait ses premières armes) a vu ces dernières années ses banquiers au dynamisme incontestable se ruer sur la RDC, où toutes les banques commerciales sont à capitaux étrangers. Equity Bank vient d’y prendre le contrôle de la centenaire Banque commerciale du Congo (BCDC), quelques années après l’acquisition de l’Allemande ProCredit Bank; tandis que la KBC (Kenya Commercial Bank) vient de racheter la branche congolaise de la Trust Merchant Bank (TMB). Et le flot des investissements kényans dans les secteurs bancaire et des services semble loin de tarir vers un pays où l’initiative privée en est encore à ses balbutiements en dépit de l’importance de ses ressources naturelles.
Pour toutes ces raisons, Nairobi a tout intérêt à sauvegarder et à amplifier ses relations avec Kinshasa, débouché considérable d’opportunités d’un pays de près de 100 millions de consommateurs.

M.M.F.