La fin du Phénix monétaire

Le Phénix est cet oiseau légendaire qui se reproduit de lui-même en renaissant de ses cendres. Quand il sent sa fin venir, il construit un nid de branches aromatiques et d’encens. Il y met le feu et se consume dans les flammes. Des cendres de ce bûcher surgit le nouveau Phénix.

Dans l’élite universitaire en République Démocratique du Congo (RDC), le débat sur l’opportunité de financer le déficit de l’État aux moyens de ce qui est communément dénommé « la planche à billets » ressemble au Phénix: il renait, à intervalles répétitifs et par enchantement, des cendres qui l’ont consumé du fait de ses conséquences graves sur la société et l’économie.

Notions sur le financement monétaire du déficit public de l’État

La création monétaire est une opération d’augmentation de l’un ou de tous les postes d’actif du bilan comptable de la Banque Centrale ou des banques commerciales. Elle conduit à l’augmentation de la masse monétaire localisée dans les postes du passif.

Le financement monétaire du déficit public est l’une de nombreuses formes de création monétaire consistant en l’octroi des avances par la Banque Centrale à l’État.

Au niveau de la Banque Centrale, il y a lieu de mentionner, outre le financement monétaire du déficit public, le refinancement des banques pour raison de trésorerie demandée par la clientèle, les achats des devises auprès des banques commerciales dont le donneur d’ordre est la clientèle.

Au niveau des banques commerciales, l’on peut citer l’octroi du crédit à l’économie, les achats des devises ou des titres, les concours des banques aux autres banques.

A part le financement monétaire du déficit public, toutes ces opérations donnent lieu à des remboursements à bonne date ou à une destruction monétaire (refinancement des banques, crédit à l’économie, concours des banques aux autres banques).

Si la création monétaire subséquente aux achats des devises entraine des tensions sur les marchés des changes ainsi que des biens et services, la Banque Centrale peut les contrer à travers les ventes des devises.

En définitive, le problème de fonds que pose le financement monétaire du trésor est celui de son remboursement. De ce fait, au lieu de se traduire par une création monétaire temporaire (c’est-à-dire suivie d’un remboursement ou de la destruction monétaire), il débouche sur une création monétaire définitive (en cas de non remboursement). Il est ainsi à la base de la spirale dépréciation monétaire’! inflation selon la séquence: monnaie’! change ’!Prix.

Concernant spécifiquement le cas de financement monétaire des investissements productifs dans les pays en développement, le gros des équipements et matériels servant à la réalisation des investissements sont importés. Il résulte que l’essentiel du financement monétaire va se déverser sur le marché des changes étroit accentuant la demande des devises dans un contexte d’offre limitée des devises. Il en découle la dépréciation monétaire et la hausse du niveau général des prix.    

L’argumentaire en faveur le financement monétaire du déficit public de l’État

Les défenseurs irréductibles, insubmersibles et indécrottables du financement monétaire du déficit public argüent ce qui suit: les ressources issues du financement monétaire seront affectées, par des dirigeants à l’état d’esprit réformé qualitativement, au financement des investissements productifs, notamment les infrastructures de base en matière de transport, de logistique, de desserte en eau et en électricité et d’intrants agricoles; le delta de production qui résultera de cette affectation judicieuse aux investissements productifs donnera lieu à un rapport coût-bénéfice positif dès lors que sa croissance sera supérieure à la hausse du niveau général des prix suscitée par la création monétaire ex nihilo;

Ce delta de production, sur la base de ce qui précède, fait office de seigneuriage monétaire positif. Pour rappel, le seigneuriage monétaire («MD P) se définit comme le revenu réel produit par la création monétaire ou l’augmentation ex nihilo de la masse monétaire («M/M×M/P).

Ainsi, le seigneuriage est égal au produit de la croissance de la masse monétaire multiplié par la masse monétaire réelle.

L’État se prive des « ressources disponibles » résultant du financement monétaire et procède à des coupes sombres de dépenses en raison des préceptes venus d’ailleurs. Il laisse la population dans la pauvreté et le sous-développement en se mortifiant dans la recherche irréaliste et improductive de la stabilité du niveau général des prix.  

Les réponses à l’argumentaire des inconditionnels du financement monétaire du déficit public

Cet argumentaire, soit-il séduisant et enthousiaste, mérite les réponses suivantes: les ressources issues du financement monétaire du déficit public, quelque soient son affectation et la qualité des dirigeants, procèdent d’une création monétaire ex nihilo (faite à partir de rien). Elles entrainent un excès de monnaie non désirée.

Cet excès de monnaie se traduit très rapidement par une inflation forte (un impôt invisible qui va grever tous les revenus indistinctement). Cette inflation annihile tout le bénéfice à moyen et long terme attendu de l’affectation du financement monétaire du déficit aux investissements productifs. A ce propos, l’histoire de la RDC nous rappelle les ravages de l’hyperinflation des années 1990 à 2000 dont l’économie et la société congolaises portent encore les stigmates: la dépréciation du taux de change et la hausse du niveau général des prix ont été si vertigineuses que la mémoire collective a retenu l’expansion terrible des cimetières au cours de ces années ainsi que l’appauvrissement quasi généralisé. Pour quel gain en termes réels?

La situation est encore plus grave lorsque l’État ne rembourse pas le crédit au titre de financement monétaire. Or, les États modernes ont pris l’habitude de ne pas rembourser le crédit au titre de financement monétaire du déficit public au motif qu’ils étaient les actionnaires uniques des Banques Centrales. Compte tenu des conséquences néfastes de l’inflation sur l’économie et la société nées de la création monétaire non remboursée, les États, de commun accord, ont décidé de ne plus recourir au financement monétaire du déficit public et de se prononcer pour l’indépendance des Banques Centrales.

A. Hitler a financé la deuxième guerre mondiale aux moyens notamment de la planche à billets (financement monétaire du déficit public non remboursé). L’hyperinflation qui en a résulté a précipité la fin du régime hitlérien.

Le seigneuriage monétaire est positif lorsque la croissance de la masse monétaire est supérieure à celle du niveau général des prix du fait surtout que l’État rembourse au fur et à mesure sa dette. Mais lorsque le financement monétaire n’est pas suivi de remboursement, la croissance monétaire excède l’inflation et provoque la situation de seigneuriage monétaire négatif.

Il est assez préoccupant, détonnant et à peine croyable qu’une partie de l’élite continue à soutenir le financement monétaire du déficit dans un pays où la mobilisation des recettes publiques est l’une des plus faibles au monde. La pression fiscale au sens large mesurée par le ratio recettes hors dons sur PIB est de 11% en moyenne en RDC contre une moyenne de 23% pour les pays africains au Sud du Sahara.

Au lieu d’insister sur la réforme, voire la refonte du système fiscal en vue de la mobilisation des recettes pour reconquérir le terrain perdu, une polarisation est portée sur le financement monétaire du déficit public abandonné par la quasi-totalité des États.

Il serait plutôt judicieux pour cette élite d’encourager et relayer les efforts des gouvernants qui ont tourné le dos au financement monétaire du déficit public et s’engagent résolument, à l’instar d’autres pays, dans la recherche des voies susceptibles d’engranger suffisamment des ressources saines pour le financement du développement. Il existe une division du travail dans les pays en développement entre la politique monétaire et la politique budgétaire: focalisation sur les objectifs de stabilité macroéconomique pour l’une et polarisation sur les objectifs de croissance et de développement pour l’autre.

Observations finales

Une bonne partie de ces inconditionnels justifie le recours par tous les moyens au financement monétaire du déficit par des faits ci-après: le déficit des États-Unis est couvert par le financement monétaire.

Il faut distinguer le déficit public du déficit extérieur. Les États Unis financent plutôt son déficit extérieur avec la monnaie nationale, le dollar américain, en sa qualité de monnaie internationale de réserve et d’intervention. Le déficit public des États Unis est couvert par les fonds prêtables sur les marchés financiers.

La Fédérale Réserve procède régulièrement depuis la crise financière de 2008 à des achats massifs des titres privés. Ce n’est pas pour financer le déficit public américain mais plutôt dans le cadre de sa politique monétaire d’open market et des interventions non conventionnelles d’assouplissement quantitatif.

La meilleure alimentation de l’économie en liquidités s’opère à travers l’augmentation du crédit à l’économie et non des créances sur l’État.

Finalement, le recours au financement monétaire du déficit public est un débat d’un autre âge caractérisant un recul important dans la dynamique des réformes à entreprendre aujourd’hui. Des réformes de fonds s’avèrent cruciales en RDC, notamment la réforme du système bancaire et financier par le biais du développement du marché des titres publics que privés pour la création des marchés financiers, la refonte de la fiscalité et régime des assurances…

Le Monde est actuellement confronté aux menaces de l’inflation par les coûts à la suite de la montée des prix des produits énergétiques et alimentaires consécutivement à la guerre en UKRAINE.

Les inconditionnels du financement monétaire du déficit se rendent-ils compte que ce serait ajouter de l’huile sur le feu (ajouter à l’inflation par les coûts l’inflation monétaire déjà maitrisée par le Gouvernement depuis aout 2020 à ce jour au regard de la stabilité remarquable du taux de change dont l’une des causes déterminantes est la renonciation au recours au financement monétaire du déficit public? Les réalisent-ils? L’intériorisent-ils?

L’inflation monétaire vaincue, le Gouvernement doit maintenant s’atteler à lutter contre les deux types d’inflation résiduels: l’inflation par les coûts d’origine importée en réduisant la dépendance vis-à-vis des produits venant de l’extérieur notamment par la promotion de la substitution aux importations à travers le désenclavement des bassins de production, la rationalisation de la production énergétique…La RDC en est capable moyennant un minimum d’organisation; l’inflation structurelle, en améliorant la connectivité nationale, grâce à la réhabilitation ou à la construction des infrastructures de transport permettant de réduire les ruptures de charge et la multiplication des chaines d’approvisionnement… Le programme de développement de 145 territoires rentre dans ce cadre.

Donc, ce n’est pas en proposant le retour et recours au financement monétaire du déficit public que seront réglés les problèmes que posent les inflations par les coûts et structurelles. Pire, l’inflation par la demande d’origine monétaire aujourd’hui éventée risque de réapparaitre tel le Phénix.

Il faut définitivement clore ce débat inopportun et anachronique sur le financement monétaire du déficit public. Il n’honore pas l’élite. En faisant, d’une part, l’impasse sur les affres et ravages de l’hyper-inflation des années 1990 à 2000 dont le financement monétaire du déficit public est la cause. D’autre part, cette élite est en décrochage par rapport aux tendances générales observées actuellement dans le monde en matière de financement des dépenses publiques. Passons à autre chose.

Professeur Vincent Ngonga Nzinga