Le cri d’alarme de l’ODEP : dépassements budgétaires, un «cancer» qui gangrène les finances publiques

Encore et toujours les dépassements budgétaires dans les grandes institutions en République Démocratique du Congo. En partant de la Présidence de la République jusqu’au Gouvernement, en passant par les deux chambres du Parlement (Sénat et Assemblée nationale), aucune n’est épargnée. Elles sont toutes logées à la même enseigne avec d’impressionnants dépassements budgétaires. Dans ce partage de maigres ressources publiques, les Cours et tribunaux, quatrième institution du pays, après le Président de la République, le Parlement et le Gouvernement, n’ont pas trouvé leur compte. Le pouvoir judiciaire est le seul à n’avoir pris part au festin. Dans un communiqué, l’ODEP (Observatoire de la dépense publique) tire la sonnette avec un titre évocateur : «Stop aux dépassements budgétaires : un fléau qui consacre le triomphe de l’indiscipline budgétaire». Intégralité du communiqué.
«Stop aux dépassements budgétaires : un fléau qui consacre le triomphe de l’indiscipline budgétaire»
L’Observatoire de la dépense publique (ODEP) a suivi avec satisfaction la publication par la Cour des comptes du rapport général sur le contrôle de l’exécution de la loi de finances rectificative n°21/028 du 31 décembre 2021 en vue de la reddition des comptes du budget du pouvoir central pour l’exercice 2021. L’ODEP en tant qu’organisation citoyenne de contrôle des finances publiques félicite la Cour des comptes pour avoir rempli son rôle constitutionnel. De ce fait, l’ODEP note les mêmes inquiétudes à répétitions dans la gestion des finances publiques depuis plusieurs années notamment le cancer de «dépassements budgétaires », nous relevons dans ce communiqué les grandes constatations de la Cour des comptes pour l’exercice 2021, qui viennent confirmer par celles faites par l’ODEP en janvier 2022 sur l’exécution de la loi des finances 2021.

CONSTATS GENERAUX SUR L’EXECUTION DES DEPENSES PUBLIQUES POUR L’EXERCICE 2021
L’Observatoire de la dépense publique (ODEP) constate que le changement de régime n’a pas changé grand-chose à la mauvaise gestion des finances publiques. L’indiscipline budgétaire, la contagion dans les dépassements des crédits autorisés par le parlement est devenue une culture de gestion de la respublica. Il s’agit, de manière résumée, des dépassements relevés sur les rubriques des dépenses du budget général, sur les budgets annexes et sur les comptes spéciaux.
De ce qui précède, nous estimons que l’exécution du budget de janvier à septembre 2021 n’a pas été conforme à la loi des finances y afférente. Il y a l’inadéquation entre la vision et la programmation, la budgétisation, l’exécution, le suivi-évaluation. Elle n’a permis ni de créer des richesses ni de promouvoir une croissance économique pro-pauvre ni d’améliorer les conditions sociales de la population.
L’exécution de la loi de finances à fin septembre 2021 renseigne un niveau global d’exécution des dépenses de l’ordre de 7.210,95 milliards FC contre les prévisions linéaires de 10.166,38 milliards FC, soit 70%. Cependant en ressources internes, les dépenses effectuées s’élèvent à 6.521,97 milliards FC contre les prévisions linéaires de 8.173,66 milliards FC soit 79,8%. En ressources extérieurs, les dépenses de situent à 688 milliards FC contre les prévisions linéaires de 1.992,72 milliards FC, soit 34,6%.

Des rubriques budgétivores
Il est à noter qu’à fin septembre 2021, plusieurs lignes budgétaires, dont l’impact demeure faible dans la vie de la population ont connu un paiement de 1.074,12 milliards FC (526.526.112 USD) contre les prévisions linéaires de 560 milliards FC, soit 191,7%. Il s’agit entre autres des indemnités kilométriques, frais secrets de recherche (474%); liste civile 102%; fonds spécial d’intervention (203,05%); frais d’installation ou d’équipements (513,0%).

Exécution inégale du budget : Absence de la justice distributive
L’exécution de la loi des finances reste marquée par l’affaiblissement des institutions à caractère social. Les dépenses de la santé, éducation, agriculture et infrastructures sont restées faiblement payées au cours de la période. 80% de décaissement concerne les rémunérations en lieu et place des investissements. Les institutions phare du pays sont trop gourmandes. La Présidence de la République (211,6%), l’Assemblée nationale (103%), le Sénat (133%) et la Primature (131%) ont vu leurs dépenses exploser en neuf (9) mois.
Ces dépenses en dépassement sont justifiées par le recours à des mauvaises pratiques de gestion. La Présidence de la République a augmenté le nombre de son personnel en charge de l’Etat de 455 à 1018 ; le bureau de l’assemblée nationale rémunère 2.756 membres de cabinet, hormis les 500 députés; la Primature paie 606 personnels politiques dans le cabinet du Premier ministre.
Par ailleurs, les dépenses de fonctionnement des institutions, à l’instar des voyages restent une préoccupation majeure. Environ 30 millions USD dépensés au cours de la période.
D’après les statistiques du ministère du Budget, la Présidence de la République, la Primature et le Sénat engagent les dépenses sans disponibilité des crédits. Les dispositions de la loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques fixent deux notions majeures de gouvernance budgétaire : celle d’autorisation d’engagement et des crédits de paiement.
Ainsi, «les autorisations d’engagement constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être engagées. Les crédits de paiement constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être ordonnancées ou payées pendant l’année. Ils sont inscrits dans des programmes attribués aux ministères et Institutions ».
Cette gestion hors norme a pour conséquences, la privatisation des secteurs sociaux des crédits budgétaires nécessaires pour couvrir les dépenses urgentes de la population et l’absence d’investissement.

Les investissements marginalisés
A fin septembre 2021, ODEP constatait que l’Etat n’a dépensé que 59 milliards FC (29,6 millions USD) contre les prévisions linéaires de 256 milliards FC (128,0 millions USD), soit 23,14% pour le compte des investissements publics. Ce montant représente environ 10% de la consommation de fonds par la présidence de la République (253 millions USD) et du fonctionnement des institutions (150,9 millions USD).
Du côté du Gouvernement, on affirme que les investissements ont été portés à près de 5% des dépenses publiques. Pour l’ODEP, le niveau d’exécution des dépenses d’investissements sur fonds propre se situe à 0,1% à fin septembre 2021. Une situation, qui a un impact négatif sur la croissance économique et le développement du pays.
Par ailleurs, sur la même rubrique nous constatons que la dépense emblématique est l’acquisition des terrains payée à hauteur de 306,88%, tandis que les constructions restent à 4,80%.

Niveau de paiement des rémunérations
La rémunération reste l’épine dorsale pour la gestion des dépenses publiques en RépubliqueDémocratique du Congo. Fin septembre, 3.012,82 milliards FC ont été dépensé contre les prévisions linéaires de 3.889,04 milliards FC, soit 77,47%. Comme nous l’avons présenté ci-haut, elles représentent 52,9% des dépenses effectuées, en-tête de toutes les affectations de l’Etat.
Cela justifie par le recrutement fantaisiste du personnel politique dans différents cabinets : institutions et ministères. Les effectifs du bureau du président de la République par exemple sont passés de 445 en 2019 à 1.018 en 2021. Au niveau de la Primature, ce sont 606 personnes en charge de l’Etat ; 2.756 dans les cabinets du bureau de l’assemblée nationale et 881 au Sénat, en dehors de 500 députés et 108 Sénateurs pris en charge par l’Etat. Alors que les deux chambres du Parlement disposent d’une administration de qualité capable d’accompagner les personnels politiques.

Considérations d’ordre général
Après constat général, l’ODEP note que le Gouvernement peine à améliorer la qualité et l’efficacité de la dépense publique. Ce qui passera par la réduction drastique du train de vie des institutions et l’augmentation des investissements publics porteur de croissance, capables d’améliorer le niveau de vie de la population. Pour l’instant, la loi de finances de l’année reste consacrée aux dépenses de rémunération et de fonctionnement des institutions, malgré les efforts consentis de la mobilisation des recettes.
Nous notons aussi qu’au fur et à mesure que les recettes publiques augmentent, les dépenses de fonctionnement et de rémunération prennent de l’épaisseur ; tandis que les investissements publics sont toujours trop faibles. Conséquences, les priorités budgétaires telles que définie en amont ne sont pas exécutées.
Les recettes additionnelles mobilisées au cours de la période sont reversées dans le fonctionnement et la rémunération, représentant plus de 80% des dépenses de l’Etat. Des inégalités sociales sont également perceptibles dans la répartition des ressources tirées par l’Etat. Le salaire le plus bas s’élève à 90 $ tandis que le plus élevé est à environ 25.000 USD.
Les fonctions politiques restent le travail de prestige, dont le salaire le plus faible dans un cabinet politique se situe entre 800 USD et 3.000 USD le mois. Le métier le plus marginalisé reste l’enseignement, avec un salaire moyen de 180 dollars USD.

CE QU’INSPIRENT LES DEPASSEMENTS BUDGETAIRES
Au sujet des dépassements budgétaires, nous rappelons que les crédits budgétaires sont limitatifs. Les dépenses sur crédits limitatifs ne peuvent être engagées ni ordonnancées au-delà des dotations budgétaires. Les dépassements budgétaires inspirent les observations ci-après :

  1. La non crédibilité du budget. Quand comme en 2020 on prévoit un budget de 11 milliards de dollars et qu’on ne mobilise que 3,7 milliards, les plus puissants chercheront à consommer des crédits initiaux mal évalués et les secteurs pro-pauvres vont être sacrifiés.
  2. L’indiscipline budgétaire
  3. Le non-respect de la procédure de décaissement des fonds selon la chaîne de la dépense
  4. Le dépassement des allocations budgétaires des institutions et ministères de souveraineté au détriment des ministères à caractère social et économique
  5. Le manque de réalisme du budget oblige le gouvernement à réajuster ses ambitions pour les aligner sur ses capacités réelles de financement afin d’éviter d’affaiblir tout l’ensemble du processus budgétaire
  6. Le déficit du suivi et de contrôle par le parlement, l’IGF, et la Cour des Comptes dans l’exécution du budget;
  7. Le manque de poursuites pour sanctionner des personnes impliquées dans le non-respect des procédures;
  8. Plus des moyens pour les institutions et très peu pour les secteurs pro-pauvres;
  9. La non prise en compte du principe sacré de la justice distributive;
  10. L’impossibilité de mettre en œuvre les belles orientations du plan national stratégique de développement;
  11. La non prise en compte des recommandations de la Société civile pour améliorer la gouvernance budgétaire ;
  12. Le dépassement budgétaire est un indice de probable vol de Fonds Publics et de corruption
    Pour l’exercice 2021, l’ODEP déplore le fait que le cancer de dépassements signe son entrée dans le secteur de l’Enseignement supérieur et universitaire.

Tableau : dépassement des crédits d’un échantillon d’établissements d’enseignement supérieur (en CDF)

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