Le profil idéologique et politique de Poutine

Russian president, Vladimir Putin

Depuis l’an 2000 qu’il est aux commandes de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine forge, à sa propre image, la perception qu’il veut que les Russes, le monde et l’histoire se fassent de sa Russie : Un Etat extrêmement puissant, conduit par un homme extrêmement puissant. Depuis lors, la Russie n’a plus jamais été personne d’autre que Vladimir Poutine. Et Vladimir Poutine n’a plus jamais été rien d’autre que la Russie elle-même. Ainsi, ces deux entités, séparées au départ, ne constituent plus, essentiellement, qu’une seule, unique et même entité politico-idéologique, éthico-morale et juridico-administrative : Poutine. A l’intérieur de sa Russie, Poutine gouverne par la terreur. A l’extérieur de sa Russie également, il répand la terreur. Nous nous trouvons ainsi en plein régime totalitaire, expansionniste et impérialiste.
Nous tentons d’observer, d’analyser et d’interpréter l’évolution idéologique et politique de l’ancien chef des services secrets russes, Vladimir Poutine, depuis qu’il s’est hissé au sommet de la Fédération de Russie. Nous essayons de livrer, ici, le profil idéologique et politique de ce phénomène politique que nous avons pu dégager de ses pratiques idéologiques et politiques.

PROFIL IDEOLOGIQUE
Depuis l’effondrement du régime communiste soviétique qui le couvrait et surtout depuis qu’il est devenu Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine a longtemps dissimulé l’idéologie à partir de laquelle il fonctionne politiquement. Cependant, depuis 2014 qu’il a brutalement et violemment arraché la Crimée à l’Ukraine et l’a, sans aucune gêne, annexée à sa Russie et surtout depuis le 24 février 2022 qu’il impose, avec acharnement, une guerre totale à l’Ukraine, ses voiles pudiques tombent, de plus en plus, en face d’une opinion idéologiquement avertie. A nous, particulièrement, il nous parait n’être ni un révolutionnaire socialiste, ni un révolutionnaire social-démocrate, ni encore moins un révolutionnaire libéral.
Nous nous expliquons : Le profil idéologique, que ses attitudes, son comportement et ses pratiques politiques dégagent, ne nous semble pas du tout relever du socialisme, du libéralisme ou de la social-démocratie. Il nous parait plutôt découler d’un certain refus des idéologies, mieux, d’un certain mélange idéologique apparemment inextricable. Mais, après avoir effectué un long plongeon dans les profondeurs de ce phénomène politique, nous réalisons qu’il est d’abord un farouche nationaliste qui subordonne toute politique intérieure au développement de la puissance nationale russe. Un implacable nationaliste qui tient à affirmer, à l’extrême, la primauté de la puissance nationale russe sans limitation de la souveraineté. Un cruel nationaliste qui revendique la primauté de la puissance nationale russe sur toute autre considération de rapports internationaux.
Comme celui de Charles Mourras, le nationalisme de Vladimir Poutine nous semble intégral et conservateur. Car, il s’accompagne parfois de xénophobie et d’une certaine volonté d’isolement. Ce qui nous amène à fureter davantage dans ses pratiques idéologiques et nous permet de percevoir, de déceler et de distinguer, dans son nationalisme intégral et conservateur, les traits essentiels du totalitarisme. C’est-à-dire, les traits d’un régime politique généralement à parti unique, qui n’admet aucune opposition organisée, dans lequel le pouvoir politique dirige souverainement et tend même à confisquer la totalité des activités de la société qu’il domine. Il s’agit donc d’un régime politique fondé sur la négation de la barrière séparant action de l’Etat et société civile. Il se caractérise essentiellement par le rejet de la démocratie, l’apologie de la violence politique, l’éloge de l’autoritarisme et la confusion des pouvoirs.
Quelques preuves tangibles de l’existence de l’idéologie totalitaire dans la Russie de Poutine? Un parti politique quasi-unique, le Parti Russie Unie, par surcroît celui de Vladimir Poutine, dirige souverainement seul, mais alors vraiment seul depuis 23 ans, la Fédération de Russie. Le maître de ce régime politique, Vladimir Poutine, rejette malicieusement la démocratie. En manipulant habilement, à sa guise et en sa faveur, la Constitution fédérale. A ce propos, que l’on se rappelle seulement le jeu qu’il a joué, à la fin de ses deux premiers mandats présidentiels, avec son complice Medvedev, alors son premier ministre. Par sa volonté et par élection apparemment démocratique, Medvedev l’a remplacé à la présidence de la Fédération de Russie pour un seul mandat. Et, incroyable mais pourtant vrai, il a pris la relève de ce dernier comme premier ministre. A l’issue de ce mandat unique de Medvedev, Poutine est redevenu, par élection apparemment démocratique aussi, président de la Fédération de Russie et Medvedev son premier ministre pour la seconde fois.
Vladimir Poutine réprime, au moyen de la violence inouïe, toute opposition à son pouvoir. Un exemple concret et incontestable : Me Navalny, le seul et l’unique opposant ouvertement et farouchement anti-Poutine, a habituellement pour résidences régulières les geôles poutiniennes. Par son parti, Russie Unie, ses idéologues et sa police politique, Poutine s’arroge le contrôle absolu de la vie, tant publique que privée, à travers toute sa Russie. Les citoyens russes ne s’appartiennent plus. Ils sont obligatoirement au service du projet de l’Etat fort de Poutine, lequel se confond avec le parti Russie Unie qui en a pris le contrôle. Pour preuve, par décret présidentiel, Poutine a interdit à qui que ce soit de protester contre la guerre impitoyable qu’il fait à l’Ukraine et qu’il désigne sous le terme équivoque d’opération spéciale. Il a quasi-inféodé la société russe et la vie individuelle à son Etat, les vidant ainsi de toute leur substance.
Par son parti, Russie Unie et ses idéologues, Poutine nie l’essence même de la politique qui repose pourtant, à en croire Hannah Arendt, sur «la communauté et la réciprocité d’être différents» ou sur «la pluralité humaine». C’est pourquoi, dans sa Russie, le pluralisme politique est, en réalité, de façade. Pour preuve, son régime organise des élections apparemment démocratiques, mais sans liberté d’expression, ni de candidature. En effet, les partis politiques d’opposition tels que le Parti communiste, Rodina, le Parti libéral et démocrate, Labloko, l’Union des Forces de droite, etc., asphyxiés et pratiquement inexistants, sont très faiblement représentés dans la Douma d’Etat (assemblée nationale) et dans le Conseil de la Fédération (sénat) par des opposants faibles. D’où, un seul, unique et même discours idéologique, celui de Poutine, passe à travers sa Russie.
Ainsi, la Fédération de Russie n’a plus jamais été, depuis 23 ans, personne d’autre que Vladimir Poutine. Et Vladimir Poutine n’a plus jamais été, depuis 23 ans, rien d’autre que la Russie personnifiée. Ces deux entités, séparées au départ, ne constituent plus en réalité, essentiellement, qu’une seule, unique et même entité politico-idéologique, politico-juridico-administrative et politico-éthico-morale : Vladimir Poutine. Nous nous trouvons ainsi, indubitablement, en plein totalitarisme.

PROFIL POLITIQUE
Vladimir Poutine arrive, par suffrage universel, à la présidence de la Fédération de Russie en mars 2000. Et ce, après avoir assumé, de janvier à mars 2000, l’intérim du président Boris Eltsine qui a démissionné et avoir été, d’août à décembre 1999, le premier ministre de ce dernier. Il hérite, selon Gilles Favarel-Garrigues, «d’un nouveau régime politique favorable à la réalisation de ses projets», particulièrement ceux, primordiaux, de rétablissement de l’autorité de l’Etat russe et de la restauration de son prestige international. Souvent qualifié de «super-présidentiel», de «démocratie dirigée», d’«autoritarisme bureaucratique» ou de «militocratie libérale, ce régime politique a résulté du contexte «antiparlementaire» dans lequel fut adoptée la Constitution fédérale de 1993. Celle-ci a consacré la domination du pouvoir exécutif, particulièrement de l’institution Président et Chef de l’Etat de la Fédération de Russie, sur les autres institutions fédérales. En l’occurrence la Douma d’Etat (assemblée nationale), le Conseil de la Fédération (sénat) et le Conseil judiciaire.
Partisan d’un pouvoir fort, Vladimir Poutine exploite à fond, et même exagérément, cet avantage constitutionnel afin d’imposer l’autorité de l’Etat russe et de rétablir son prestige sur le plan international. Pour y parvenir, il a volontairement choisi de monopoliser le pouvoir d’Etat. Dans ce même ordre d’idées, il a profondément fait remanier, il y a environ 3 ans, cette Constitution maintenant taillée à sa mesure. Les prérogatives présidentielles s’en retrouvent très fortement renforcées et le mandat présidentiel rallongé. Le pouvoir du Président de la Fédération s’appuie, non pas tellement sur la Douma d’Etat, le Conseil de la Fédération et le Conseil judiciaire, qui n’existent que pour sauver les apparences démocratiques, mais bien plutôt sur son cabinet politique et son gouvernement fédéral. Ces deux lieux du pouvoir poutinien, disent les observateurs, demeurent impénétrables, insondables et obscurs à ceux qui n’en font pas partie. Le pouvoir exécutif, supplantant ainsi tous les autres pouvoirs fédéraux, le Président de la Fédération, Vladimir Poutine, nage dans une certaine confusion des pouvoirs.
De ce fait, à l’exception de l’intraitable Me Navalny, de quelques oligarques, gouverneurs de région et journalistes impénitents qui lui résistent, la quasi-totalité des sources de contestation du pouvoir présidentiel ont disparu. Les méthodes utilisées afin de les éliminer n’ont rien à voir avec la démocratie. L’usage permanent de l’intimidation et de la force dissuade généralement les opposants potentiels. D’où, un seul, unique et même discours politique, celui de Vladimir Poutine, est distillé, à travers toute sa Russie et en dehors de celle-ci, par sa propagande. L’autorité de l’Etat étant, en quelque sorte, rétablie à l’intérieur de sa Russie, Poutine se croit obligé de l’exporter dans certains pays de la région et du monde.
Quelques exemples concrets ? En 2008, après avoir vociféré, Vladimir Poutine ne réussit pas à empêcher la Géorgie à adhérer à l’Otan et à l’Union Européenne (UE). Alors, il décide d’armer et de soutenir, militairement et diplomatiquement, les minorités musulmanes des régions d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud à faire la guerre au pouvoir établi, à déclencher la sécession et à proclamer, unilatéralement, leur indépendance vis-à-vis de la très orthodoxe patrie-mère. En 2014, pour décourager la soif profonde du régime ukrainien d’adhérer à l’Otan et à l’UE, Vladimir Poutine sort brutalement et violemment, par ses forces armées et de sécurité interposées, la Crimée de l’Ukraine. Il l’annexe, d’autorité, à sa Russie. Pire, depuis le 24 février 2022, se fondant sur ses propres inventions et élucubrations que sa propagande fait passer pour la vérité implacable, Poutine envahit sauvagement et détruit méchamment, par ses forces armées et de sécurité, l’Ukraine qu’il veut entièrement russe et seulement russe. Par le traumatisme politique, économique, social, culturel et humain qu’il a suscité, imposé et implanté dans le subconscient des Russes et des Ukrainiens, il menace et terrorise certains autres pays de la région. En l’occurrence, la Pologne, la Géorgie, la Moldavie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, etc. Il envisage même de détrôner les «petits présidents» de ces «petits Etats» qu’il déconsidère. Et pourtant, tous ces Etats sont souverains et libres de tout engagement.
Au moyen de la cyber-criminalité, Vladimir Poutine sème le trouble dans les processus électoraux de certains pays dits démocratiques afin de biaiser, justement, leur caractère démocratique. Il engage, en plus, des mercenaires, par le truchement du groupe russe prétendument paramilitaire dénommé Wagner, qu’il finance, équipe et charge de s’immiscer, par la violence armée, dans les affaires intérieures des Etats étrangers, principalement d’Afrique. Et ce, sous le prétexte de les protéger contre le terrorisme et ses sponsors étrangers. Et pourtant, comme les puissances occidentales, Poutine vise essentiellement les intérêts particuliers de sa Russie. En effet, la contrepartie de cet engagement prétendument humanitaire se paie en termes d’énormes quantités de ressources naturelles pompées dans les pays «assistés.» Diamant, or, uranium, cobalt, lithium, coltan, manganèse, cuivre, nickel, pétrole, etc., prennent, nuits et jours, le chemin de sa Russie. L’impérialisme, d’une couleur idéologique jusque-là insoupçonnée, c’est, incroyable, mais pourtant vrai, Vladimir Poutine. Visiblement, il cherche à étendre, par les armes et la propagande, la domination politique de sa Russie sur d’autres Etats.
Benito Mussolini et surtout Adolf Hitler et Joseph Staline, ses véritables modèles idéologiques et politiques cachés, ont procédé et agi, suivant l’histoire, de la même manière. A l’intérieur de leur pays respectif, ils ont gouverné par la terreur et l’horreur. A l’extérieur de leur pays respectif également, ils ont répandu la terreur et l’horreur par l’impérialisme. Certes, ils ont longtemps résisté aux assauts de leurs divers adversaires et ennemis. Mais, ils ont fini par échouer lamentablement. Serait-ce là suggérer que Vladimir Poutine pourrait, un jour ou l’autre, subir le même sort tragique que ses trois maîtres susmentionnés? Très souvent, l’histoire s’est répétée à l’encontre de ceux qui n’ont jamais voulu apprendre d’elle.

A L’IMAGE DU MAÎTRE
Voilà, enfin, le profil idéologique et politique que Vladimir Poutine, l’incontestable maître duKremlin post-soviétique depuis 23 ans, projette de sa Russie et de lui-même : un Etat et un chef totalitaires, expansionnistes et impérialistes. En effet,il s’applique, en permanence, à forger, à sa propre image, la perception qu’il veut que les Russes, le monde et l’histoire se fassent de sa Russie : Un Etat extrêmement puissant, conduit par un homme extrêmement puissant. Quitte à monopoliser le plus longtemps possible, par des subterfuges autoritaristes, le pouvoir d’Etat et à entraîner sa Russie dans une guerre d’hégémonie à l’issue inconnue. Cependant, tout cela serait-il vraiment suffisant pour lui permettre de s’emparer de l’hégémonie géopolitique mondiale à laquelle il semble aspirer?
MUSENE SANTINI BE-LASAYON
Analyste indépendant