Les déchets électoraux : l’angle mort environnemental de la campagne

Vue des affiches (photo du 15 décembre 2023 à la place de la gare à Gombe)

Du 19 novembre au 18 décembre 2023, les candidats aux différents scrutins se sont adonnés à une campagne d’affichage – toujours présente après la date limite de retrait d’affichage. Sur l’ensemble du territoire national

congolais, la population a été convoquée à l’élection du président de la république, des députés nationaux et provinciaux ainsi que des conseillers communaux. Et pourtant, cette campagne électorale a généré beaucoup de déchets dont la gestion pose problème tant à Kinshasa qu’à l’intérieur du pays, faute d’une bonne politique en la matière. Comment ces déchets de campagne ont été gérés et par qui ? Que sont-ils devenus après la campagne ? Enquête.

Guelord, la quinzaine révolue, est un enfant de la rue dans la commune de N’djili. Au quartier 7 où il rôde en longueur de journée, il a avoué avoir désaffiché sur le boulevard Kimbuta. Les banderoles qu’il a arrachées dans la nuit du 18 au 19 décembre 2023 sont devenues le toit et même le lit de sa maison de fortune. Pour des raisons de sécurité, cela n’a pas été possible de tirer une photo de ses installations. Ce cas de « Guelord » est une illustration de plusieurs autres, qui renseignent entre autres la direction que prennent les affiches après leur premier usage.

Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC) compte plus de 17 millions d’habitants, à en croire l’Institut national de la statistique (INS). Selon les données de l’Hôtel de ville, « la capitale congolaise produit environ 10 000 tonnes des déchets solides par jour provenant principalement des ménages, des commerces ainsi que des industries », fait savoir à toute circonstance Laetitia Bena Kabamba, Commissaire générale chargée de l’environnement et de l’aménagement de la capitale.

Ces déchets sont constitués des restes alimentaires (ordures ménagères résiduelles), des plastiques (emballages recyclables), des papiers et cartons, des verres, des métaux (équipements électriques et électroniques).

À tous ces types de déchets, viennent s’ajouter, à chaque cycle électoral, ceux des outils de la campagne, constitués des banderoles, des bâches, des calicots, des panneaux géants, des affiches, des flyers, des pagnes et autres T-shirts aux couleurs des partis et regroupements politiques, et même des effigies des candidats aux différents scrutins.

En campagne électorale, tous les candidats ont de par la loi électorale, l’autorisation de battre campagne et de faire toute la publicité pendant la durée de la campagne (un mois). Les candidats peuvent afficher partout, excepté les édifices publics, conformément à l’article 5 de l’ordonnance n° 97-327 du 15 octobre 1955 sur la publicité extérieure. Une disposition qui n’est pas parfois respectée par les afficheurs.

Par ailleurs, ces outils de campagne deviennent plus tard des déchets électoraux ou de propagande, dont la gestion pose problème et soulève des questionnements, notamment, de la structure qui est chargée du désaffichage, de la gestion et de ce que l’on fait de ces outils-déchets après la campagne électorale.

Le lourd bilan écologique de la campagne électorale renseigne3.900 candidats députés nationaux pour 51 sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale pour la seule ville de Kinshasa. Le volume des outils de campagne produits est considérable. Une banderole de trois mètres sur un (3m de longueur et 1m de largeur, dimension minimum), pèse au moins 700 grammes.

Une candidate députée nationale au budget modeste qui a requis l’anonymat dans la circonscription de la Funa (828 candidats pour 12 sièges) a fait imprimer pour sa campagne électorale 127 banderoles qu’elle a déployées dans les rues et places publiques de cette circonscription.

Des panneaux du candidat n°20 toujours présents (photos du 22 et 24 janvier 2024 à la 7ème Rue Limete à Kinshasa), soit plus de 88Kg de bâches imprimées par cette seule candidate.

Si l’on considère les 828 candidats, on peut estimer que la Funa a produit à elle seule plus de 72.864 Kg de bâches. Et si l’on prenait cette moyenne à multiplier par les 3 900 candidats de la ville province de Kinshasa, cela donnerait un peu plus de 284 milles tonnes de bâches produites par ces candidats. Un lourd bilan écologique pour une ville dont la politique de recyclage est à ses balbutiements.

La responsabilité des services de la ville

Pour Me Erick Kassongo, Directeur Exécutif du Centre congolais pour le droit du développement durable (Coded), en tant que premier responsable de l’assainissement de la ville de Kinshasa, l’hôtel de ville doit « s’assurer de ce que deviendront ces outils de campagne électorale qui sont désaf ichés par les délinquants, les sans-abris et autres enfants de la rue », en tenant compte du volume de ces bâches, banderoles, calicots et affiches imprimés.

C’est donc ici le lieu pour l’hôtel de ville de mettre sur pied une politique claire de récupération des déchets afin d’éviter une catastrophe écologique dans la ville de Kinshasa, déjà polluée par des déchets de tous ordres.

La Direction générale de publicité extérieure de Kinshasa, service public à caractère technique du secteur de la publicité extérieure, est créée par l’Arrêté du 14 août 2019 portant sa création, son organisation et son fonctionnement. Conformément à l’article 2, alinéas 4 et 6 de l’Arrêté susmentionné, elle a comme missions, « l’examen et le traitement de demandes d’autorisation d’affichage publicitaire et d’implantation des structures de publicité ; le démantèlement et/ou la dépose des dispositifs publicitaires implantés et/ou affichés sans autorisation du Gouverneur de la ville de Kinshasa ».

C’est cette structure qui est chargée de désafficher dans la ville de Kinshasa. Au soir du 18 décembre 2023, certains outils de communication ont été arrachés, conformément à la loi électorale qui stipule que « la campagne électorale prend fin 48 heures avant le scrutin ».

« Ce ne sont pas les agents de sa structure qui ont désaffiché, mais plutôt les badauds et autres enfants de la rue qui en utilisent comme toits de leurs maisons de fortune et en font tout autre usage », a révélé Me Gaston Mayamba, avocat conseil de la Direction Générale de Publicité Extérieure de Kinshasa (DGPEK).

Par ailleurs, des gros panneaux, des affiches et autres supports de campagne sont encore visibles dans les rues et places publiques de Kinshasa. Pour l’avocat, ce qui est enlevé est « gardé dans des entrepôts où ils sont conservés pour raison d’archivage ».

Des affiches encore visibles, d’autres à même le sol (photo du 4 janvier 2024 non loin du Camp Colonel Tshatshi)

L’affichage, activité génératrice de recettes pour le trésor public. Il convient de noter tout de même que l’affichage est une activité qui génère des recettes pour le compte du trésor public. La DGPEK perçoit des taxes inhérentes à tout affichage dans la ville de Kinshasa. L’Arrêté ministériel du 11 février 2012 relatif aux règles de compétence en matière de perception des recettes publicitaires lui donne ces prérogatives. Mais à côté de la DGPEK, il y a également le Fonds de promotion culturelle (FPC), structure du Ministère de la culture, Arts et patrimoine, deux structures chargées de percevoir les taxes afférentes à toute forme de publicité.

Un panneau du candidat n°20 (photo prise à l’entrée de l’Unikin le 5 février 2024)

Production d’imprimés à Kinshasa

Basée à Kinshasa, Gradeco est l’une des imprimeries qui a été fortement sollicitée lors de la dernière campagne électorale de 2023 pour produire des outils de campagne électorale pour les candidats et autres partis politiques. Pour le Directeur général de Gradeco, John Muteb, son imprimerie fournit à ses clients des imprimés de valeur et non des déchets. « En amont, ce que nous livrons au client n’est pas un déchet. Il le devient après utilisation par ce dernier, et ce n’est pas notre responsabilité ».

Toutefois, il faut faire la différence dans l’imprimerie entre la sérigraphie (technique d’impression directe permettant de déposer l’encre directement sur le textile à travers un écran), l’offset (procédé d’impression qui utilise des plaques métalliques qui sont calées en machine) et le numérique.

« Les déchets de sérigraphie sont facilement recyclables, ainsi que les papiers qui sont biodégradables », a déclaré John Muteb, affirmant que c’est dans le numérique que le problème se pose, « le vinyle et les bâches sont dif icilement recyclables et mettent longtemps pour se dégrader », a ajouté John Muteb.

Indication de recyclage sur les imprimés et perspectives de durabilité de l’imprimerie en RDC

Pour l’instant, l’imprimerie congolaise n’a pas encore pensé au recyclage des imprimés comme les bâches et les vinyles qui contiennent du plastique, matière qui se dégrade après des siècles. C’est donc tout le problème avec la multitude des bâches qui ont été produites par les imprimeries à Kinshasa lors de la campagne électorale de 2023.

« Dans le logo Gradeco, il y a le vert, signe de l’engagement de notre imprimerie à la protection de l’environnement et à la préservation de notre nature », se félicite le patron de Gradeco qui reconnaît tout de même que certaines encres utilisées dans l’imprimerie (encres hybrides, les encres thermochromiques, les encres thermo-rétractables, les encres fluorescentes et phosphorescentes) détruisent également l’environnement, et craint que la RDC devienne la poubelle du monde.

Demain risque d’être comme hier

Le basculement vers des machines qui ne polluent pas ou qui sont moins polluantes, l’impression sur du papier ré-imprimable est l’une des solutions pour préserver l’environnement des déchets électoraux. La solution du papier ré-imprimable contribuerait à la préservation des arbres qui entrent dans la fabrication du papier, et éviterait l’abattage massif des arbres et la déforestation. Si les uns sont conservés comme archives, les autres finissent toujours dans la nature et font des années avant de se dégrader, après avoir causé des dégâts énormes.

Une sensibilisation tant des imprimeurs, des candidats que des électeurs qui exigent parfois des supports non conventionnels devrait également être de mise.

Aux prochaines élections des sénateurs, gouverneurs et vice-gouverneurs, d’autres déchets seront produits et le problème va demeurer, aussi longtemps que la solution au recyclage ou à donner une nouvelle vie aux déchets électoraux ne sera pas trouvée.

L’angle mort environnemental de la campagne risque de perdurer éternellement.

Secrétaire général de la Dynamique pour les 26 Provinces (DP26), parti politique membre de l’Union sacrée, Me Yetou Mvuani n’a pas souhaité répondre à la demande d’interview sur l’engagement écologique de son parti et sa politique environnementale.

Plusieurs des partis politiques congolais n’ont pas de politique environnementale, et pourtant la question écologique est devenue primordiale dans la vie des nations.

Ruben Ns. Mayoni (CP)