L’inflation, un poison qui se diffuse lentement

Qu’on se le dise : l’inflation est sûrement le phénomène le moins compris, aussi bien par les citoyens que par certains économistes. « L’inflation est un masque : elle donne l’illusion de l’aisance, elle gomme les erreurs, elle n’enrichit que les spéculateurs, elle est prime à l’insouciance, potion à court terme et poison à long terme, victoire de la cigale sur la fourmi », écrivait en 2010 J-Y Naudet.
La création monétaire qui ne crée pas de valeur est une morsure faite à la société. Une morsure indolore au départ, mais une morsure qui diffuse le poison de l’inflation et finissant par bouleverser les équilibres économiques, surtout dans un contexte de croissance mollassonne.
Qu’on se le dise : l’inflation est sûrement le phénomène le moins compris aussi bien par les citoyens que par certains économistes. L’inflation n’est pas un phénomène statique. C’est un phénomène dynamique. L’inflation se propage, parfois lentement, parfois violemment.

La monnaie coule comme de l’eau
Pour comprendre le caractère dynamique de l’inflation, il faut s’imaginer la monnaie comme un liquide qui se meut dans l’économie, qui se faufile, qui se fraye un chemin, cherchant constamment la pente du profit optimal.
L’eau cherche toujours un chemin pour circuler. Parfois elle le trouve facilement, parfois elle s’accumule à un endroit le temps de trouver la petite faille pour s’y immiscer et se déplacer vers une destination plus rentable.
Se fendant de plus en plus, la faille ouvre soudainement une voie béante à l’eau qui se déverse alors abondamment vers sa nouvelle destination, créant un déséquilibre entre l’offre et la demande et provoquant une hausse des prix là où elle termine temporairement son chemin.
La monnaie agit exactement comme l’eau. Les banques centrales ouvrent le robinet monétaire dès le début de la crise de 2008, et comme par magie la monnaie reste cantonnée aux marchés financiers pendant des années, sans atteindre l’économie dite réelle (mis à part l’immobilier).
Au départ de la crise de 2008, le robinet monétaire sert à « abreuver » des banques assoiffées de liquidités monétaires, proche de la mort collective.
La monnaie créée par les banques centrales des pays développés sauve alors un système bancaire à l’agonie.
Une logique assez peu libérale
Le système bancaire est sauvé de ses propres excès avec de la monnaie d’intérêt public, puisqu’elle est créée de nulle part par les banques centrales. On pourrait se demander s’il est dans la logique du libéralisme de sauver des institutions privées de leurs propres erreurs, avec de la monnaie d’intérêt public !
Mais la logique imparable du «too big to fail» (trop gros pour faire faillite) ne laisse pas le choix aux dirigeants politiques et monétaires prêts à tout pour éteindre l’incendie provoqué par la cupidité d’une finance dérégulée.
La concentration bancaire est telle qu’il est impensable de laisser les mastodontes bancaires tomber les uns après les autres par effet domino. Le «too big to fail » est un chantage imparable, il joue le rôle d’assurance pour le système bancaire, alors que les pots cassés sont payés par les Etats et les citoyens.
Les banques sont sauvées, mais la finance continue de tanguer. Les Etats et les entreprises ayant accès aux marchés obligataires sont attaqués par des fonds vautours, des fonds de spéculateurs.
La monnaie déversée par les banques centrales sur les banques commerciales ne se propage pas assez vite sur le marché de la dette, car la confiance est cassée depuis le choc de confiance de 2008.
Qu’à cela ne tienne, les banques centrales décident d’agir directement sur ce fameux marché de la dette où les Etats et les multinationales s’endettent. De la monnaie est créée de nulle part par les banques centrales pour acheter de la dette détenue par les banques commerciales.

L’alchimie des banques centrales
En d’autres termes, les banques centrales jouent le rôle de «bad bank», ils échangent de la monnaie centrale fraîchement créée contre des actifs dont les cours étaient attaqués sur le marché de la dette.
Pour donner une image de cette politique monétaire, les banques centrales agissent tels des alchimistes qui transforment le plomb (dettes publiques) en or (monnaie centrale).
A ce moment-là, qui correspond à la crise de la dette souveraine (2010-2014), les effets de la création monétaire magique ne sont que positifs ! Les banques et la finance sont assoiffées de monnaie, elles boivent tout ce qu’elles peuvent, ne laissant aucune goûte se déverser ailleurs.
La monnaie reste hermétiquement dans le monde de la finance et des marchés : elle sert à éponger les erreurs du passé, pendant que les peuples se serrent la ceinture (politiques d’austérité budgétaire) !
Face à ce qui ressemble à de la magie (qui n’en est pas), les banques centrales ne ferment pas le robinet monétaire. A chaque tentative de le fermer (ce qui correspond à vouloir réduire le bilan de la banque centrale), les marchés financiers baissent violemment : les banques et les investisseurs ne peuvent plus se passer de leur drogue monétaire.
Le chantage fonctionne. Le robinet monétaire déverse les milliards sur le marché de la dette, le prix des obligations augmente, tuant artificiellement le risque de faillite des Etats et des multinationales.

Des taux négatifs partout
Pour illustrer cette folie financière historique et le rôle d’alchimiste des banques centrales, donnons l’exemple de la dette des Etats du sud de la zone euro que la BCE a fini par racheter à des taux d’intérêts négatifs ! La promesse de rembourser un euro d’un Etat fragile financièrement vaut plus qu’un euro central fraîchement créé par la BCE. C’est comme si le plomb valait plus cher que l’or. On marche vraiment sur la tête !
Résultat : les taux d’intérêts – censés rémunérer le risque – baissent, devenant nuls, voire négatifs !
La logique du profit pousse alors la monnaie à se frayer un nouveau chemin et à trouver une meilleure destination. Pourquoi rester sur un marché de la dette qui rémunère négativement les investisseurs, alors qu’il existe des marchés qui rémunèrent (positivement) la prise de risque ?
Les arbitrages sont naturels, la monnaie cherche à aller vers des lieux qui rémunèrent encore !
Quoi de mieux comme rémunération que les dividendes des sociétés et les loyers de l’immobilier ? Résultat : les prix des actions et de l’immobilier montent au fur et à mesure que la monnaie créée de nulle part par les banques centrales continue d’être injectée sur le marché de la dette !
Tout cela est permis car, dans la vie courante, l’inflation n’existe pas officiellement : l’indice qui permet de la calculer ne prend pas en compte les obligations et les actions et le poids de l’immobilier n’est que de 6,2% (loyer du logement).
En même temps, les salaires des fonctionnaires sont gelés et l’austérité budgétaire est de mise, ce qui se traduit par la hausse des taxes et la fermeture des services publics.
On coupe les vivres de ceux qui peuvent créer de l’inflation officielle pour plaire aux marchés qui tétanisent nos dirigeants politiques. C’est le début des mouvements sociaux, notamment celui des Gilets Jaunes, qui est en réalité le mouvement de la perte du pouvoir d’achat car, faut-il le rappeler, l’une de leur première revendication portait sur le prix des carburants.
Nous verrons demain en quoi cette situation est incroyable…
Avec Chronique Agora