Matata Ponyo : «Seul un leadership de qualité peut sauver la RDC »

Sur les ondes de radio Okapi, «Grande interview» a reçu dernièrement le sénateur Matata Ponyo Mapon, également Premier ministre honoraire. Interrogé par Alain Irung, il s’est exprimé sur sa tribune, intitulée «Justice : … L’opprobre a été ainsi jeté par le président du Sénat sur les neuf juges de la Cour pour leur incapacité à interpréter un article de la Constitution !», abordant aussi d’autres questions touchant au développement de la République Démocratique du Congo. Radio Okapi a dit tenter en vain d’avoir le point de vue du président du Senat.

Entretien entre Matata et Alain Irung.

Le 5 janvier 2022, vous avez publié une tribune, intitulée «Justice : … L’opprobre a été ainsi jeté par le président du Sénat sur les neuf juges de la Cour pour leur incapacité à interpréter un article de la Constitution» ? En termes plus faciles, qu’est-ce que vous voulez dire exactement ?

Pour avoir davantage d’éclaircissement, je dirais simplement qu’après examen approfondi de la question, je réalise que l’arrêt de la Cour constitutionnelle n’est pas d’application par des organes censés l’appliquer. Quand on examine à fond, on réalise que les motivations du procès Matata devant la Cour constitutionnelle ne sont pas uniquement judiciaires, parce que la Justice veut que les jugements d’une juridiction compétente soit d’application. La Constitution est plus explicite en précisant que les arrêts de la Cour sont exécutoires immédiatement et opposables à tous. Et lorsque l’organe censé appliquer, c’est-à-dire le Parquet général près la Cour constitutionnelle, refuse de se plier à l’arrêt de la Cour, que voulez-vous qu’on dise. Pire, quand le président du Sénat déclare en direct de la télévision nationale que l’arrêt de la Cour constitutionnelle ne le concerne pas, c’est quand même grave pour un Etat de droit. Après examen approfondi, on réalise que les motivations du procès Matata, parce que ne répondant pas aux règles qui régissent la Justice, sont plus politiques que judiciaires.

Donc, selon vous, vos détracteurs tenaient à ce que vous soyez condamné ?

Exactement ! C’est ce que nous révèle les non-dits de cette remise en cause de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Pourtant, je me suis plié à la Justice en allant comparaitre. Et la Cour s’est rendue à l’évidence que tout ce qui a été fait n’était pas conforme aux lois de la République. Mais, le drame est que les juges constitutionnels ayant tranché, certains vont jusqu’à remettre en cause l’arrêt de la Cour constitutionnelle, une juridiction suprême au-dessus de laquelle il n’y a plus rien.

Qu’est-ce qui justifie, selon vous, que la Cour constitutionnelle reste aphone ?

Je ne sais pas. Il faut poser la question à la Cour parce que l’article 10 de la loi organique qui organise son fonctionnement indique que la Cour constitutionnelle a l’obligation de ne pas prendre une position publique. Elle a l’obligation de réserve. Concernant l’article 164 de la Constitution, vous avez suivi, en direct à la télévision, l’interprétation du président du Sénat, qualifié d’erroné par le sénateur Boshab, professeur de droit qui a même parlé des avis des juristes de dimanche. Et lorsque cet article est mal interprété, la Cour constitutionnelle a l’obligation d’éclairer la lanterne de tout le monde. Parce que, maintenant, on ne sait pas à qui croire. Il faut à un certain moment qu’on nous donne la vraie interprétation de cet article 164, pour lever la confusion délibérément entretenue par le président du Sénat.

Pourquoi ne pas saisir la Cour constitutionnelle pour l’interprétation de cet article 164 de la Constitution ?

Cet article n’est pas difficile pour ceux qui veulent comprendre. Est-ce que ça nécessite vraiment un recours en interprétation. Seule la Cour constitutionnelle a la compétence d’interpréter un article de la Constitution. Et son interprétation est sans recours.

Qui en veut à Matata et pourquoi ?

Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Moi, je me réfère juste aux lois de ce pays. Et je me rends compte que les arrêts de la Cour constitutionnelle sont immédiatement exécutoires et opposables à tous. Tout ce que je sais est que la Cour constitutionnelle a clairement dit que toutes les procédures menées contre Matata n’étaient pas conformes à la Constitution et aux lois du pays. Ça veut dire que l’interpellation judiciaire faite par le procureur général près la Cour constitutionnelle est nulle et de nul effet. Comment alors le président du Sénat dit attendre un autre acte, alors que la Cour l’a classé. Que dire du dossier sur les biens zaïrianisés, un dossier vide monté juste pour nuire. J’ai été reçu par le procureur Mokolo dans son bureau, en présence de mon avocat. Après audition, il nous a déclaré que ce dossier était vide et devait être classé sans suite. Si le procureur général près la Cour constitutionnelle s’est rendu compte que ce dossier est vide et ne veut pas le classer, que dois-je faire, sinon dénoncer un processus qui s’avère plus politique que judiciaire.

Qu’en est-il du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo qui a englouti beaucoup d’argent sans atteindre les objectifs visés ? Qui devait répondre devant la Justice, selon vous ?

Je ne suis pas là pour désigner des personnes qui doivent être poursuivies. Tout ce que je sais est que le Sénat s’était catégoriquement opposé à la levée de mes immunités concernant le dossier Bukanga-Lonzo, estimant que le dossier n’était pas suffisamment convaincant. Mais, au lieu d’obéir à la force du droit, nous avons obéi au droit de la force en se présentant devant la Cour constitutionnelle. Et la Cour a finalement tranché en se déclarant incompétente. Il a été dit que Matata a reçu de l’argent de M. Christo, gestionnaire de l’entreprise gestionnaire du site de Bukanga-Lonzo. Le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) dit qu’il n’y a aucun fonds qui a été détourné de la Banque centrale vers la Primature ou vers une structure dépendant de Matata. Le Parquet près la Cour constitutionnelle estime plutôt que je dois avoir reçu directement l’argent de M. Christo. Ce dernier est ici à Kinshasa depuis deux mois, pourquoi l’IGF ne l’approche pas pour avoir sa version des faits, pour savoir finalement le montant exact qu’il a transféré à M. Matata, à un membre de sa famille ou à une société apparentée à Matata. Parce que la personne clé désignée par l’IGF et le Parquet près la Cour constitutionnelle comme ayant donné l’argent à Matata est ici à Kinshasa, mais curieusement ni l’un ni l’autre ne cherche à l’approcher. La seule fois où M. Grobler a témoigné, il a dit n’avoir jamais vu Matata si ce n’est une fois à la signature du contrat avec son entreprise. Il a affirmé n’avoir remis aucun dollar à M. Matata ou une structure qui lui est liée. En principe, si on était sérieux, je devais recevoir des excuses publiques aussi bien de l’IGF que du Parquet général près la Cour constitutionnelle.

S’il n’y a pas eu détournement de fonds dans ce projet, qu’est-ce qui justifie son échec ?

Jusqu’au moment où je quittais la Primature en décembre 2016, le projet fonctionnait très bien. Lorsqu’il y a eu changement au ministère des Finances, ce projet a été torpillé, avec la complicité de certains importateurs qui en ont vu un danger pour leur business. Ces opérateurs économiques ont utilisé des acteurs politiques pour faire échouer ce grand projet. N’oubliez pas que des gens ont commencé déjà à consommer les produits de Bukanga-Lonzo. On était bien parti, avant que cet élan ne soit estompé par la mauvaise foi de certains acteurs politiques et économiques.

Vous parlez beaucoup de leadership, qu’est-ce que ça représente, selon vous ?

Le leadership, c’est cette capacité d’un homme ou d’une femme d’avoir une vision, un rêve. Même Dieu, en créant le monde, est parti d’un rêve. Et le rêve est généralement grand. Quand vous avez une vision, il faut définir les objectifs globaux et intermédiaires pour atteindre votre rêve. Après vient la méthode. Il faut aussi faire le suivi-évaluation pour s’assurer qu’on est sur la bonne voie.

Après, il faut des corrections au fur et à mesure. C’est ce qui fait qu’il y a des pays riches et pauvres, des heureux et des malheureux. C’est le déficit du leadership qui fait la différence. Le déficit de leadership, c’est le manque de vision, d’un rêve de la grandeur.

Comment vous l’expliquez en RDC où la misère ne fait que s’agrandir ?

Il faut un leadership de qualité pour mobiliser les énergies. C’est ce qui galvanise l’ensemble de la population. Il faut un programme économique clair avec des objectifs précis pour que le rêve devienne réalité. C’est ce que nous avons fait entre 2012 et 2016 aux commandes du Gouvernement. Les résultats ont été tels que la RDC a réalisé les meilleures performances économiques depuis 1960. Pendant cette période, la RDC a gagné 11 points en termes d’indice de développement humain. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement). Cet indice permet d’apprécier le progrès d’un pays. Donc, le leadership, c’est quelque chose qui a été vécu dans ce pays. Et la Banque mondiale est allée plus loin en reconnaissant que la RDC était, pendant cette période, comptée parmi les 10 économies les plus dynamiques au monde en termes de réformes et de croissance. A un certain moment, la RDC a fait rêver le monde, cotée comme un modèle en termes de développement. J’ai été invité dans trois grandes universités d’Afrique, particulièrement en Egypte et au Ghana, pour partager la recette de la RDC en gestion macroéconomique.

Une frange de congolais estime que vous avez pris l’argent du Trésor public pour construire votre université à Kindu.

Je dois vous rappeler qu’à ce sujet M. Mukolo, le procureur général près la Cour constitutionnelle, avait reçu l’architecte qui a construit cette université. Tout ce que je peux vous dire est qu’on doit savoir que dans ce pays, il y a des Congolais qui peuvent gérer autrement, qui peuvent faire rêver. Je n’ai jamais trempé ma main dans la caisse de l’Etat partout où je suis passé. Aucun dollar de l’Etat n’a été versé dans cette université. Devant cette université, il y a une plaque qui indique les noms de tous les donateurs qui ont contribué à la construction de cette université. Un rapport de PricewaterhouseCoopers a répertorié tous les dollars qui ont été injectés dans cette université. C’est une honte que de croire que l’université a été construite avec l’argent du Trésor public. Ce sont des gens qui n’ont rien réalisé dans ce pays qui véhiculent ces genres de mensonges. Cette université accueille des Congolais de toutes les provinces qui se disent fiers d’étudier dans cet établissement universitaire qui n’a rien à envier à ce qu’on peut trouver ailleurs. Le meilleur facteur de progrès d’une nation, c’est l’éducation. Le Japon est là où il se trouve aujourd’hui pour avoir investi dans les sciences de base. C’est ce que nous avons fait à Kindu avec cette université, une fierté nationale.

Un mot aux jeunes qui ont besoin d’espérer

Je prêche pour la jeunesse. Le leadership constitue la fondation du progrès d’un homme, d’une nation. Aucune nation ne peut se construire sur les antivaleurs. La Justice élève une nation, dit-on. Que la jeunesse sache que le développement ne viendra pas de l’extérieur. C’est à nous, surtout la jeunesse, de se prendre en charge. Sinon, nous allons remettre en cause l’avenir de ce pays.

Propos retranscris par Faustin K.