«On a cherché la défaite de la Russie, pas la victoire de l’Ukraine », explique Jacques Baud

En France, la lettre Z a eu un sens bien particulier durant l’élection présidentielle. En Ukraine, cette lettre peinte sur les blindés russes a interrogé à plus d’un titre. Elle caractérise en fait le nom de l’opération menée par la Russie en Ukraine depuis fin février dernier. Pour en parler, Jacques Baud, ancien membre des renseignements stratégiques suisses, auteur de «Poutine : l’Opération Z» aux éditions Max Milo, était l’invité de « Bercoff dans tous ses états».
La guerre en Ukraine se poursuit encore, après avoir débuté le 24 février dernier. Cette guerre porte un nom de code. Un nom de code peint sur les blindés russes, la fameuse lettre Z qui a fait couler tant d’encre. Qu’est-ce qui a poussé Vladimir Poutine à lancer une telle opération ? Qu’en disent les spécialistes ? Sans langue de bois, Jacques Baud revient sur l’origine de cette guerre, dans son dernier ouvrage : « Poutine : l’Opération Z » aux éditions Max Milo.

Un conflit qui était écrit
Invité sur Sud Radio, l’ancien membre des renseignements stratégiques suisses, spécialiste des pays de l’Est, dresse un point de situation. Il explique que, du point de vue des opérations, « on a une progression constante des forces de la coalition russophone dans le sud et l’est de l’Ukraine. On dit toujours que ce sont les Russes, mais c’est faux. Il s’agit d’une coalition. Il y a des milices populaires des Républiques de Donetsk et de l’Ougansk ». « Ceux qui se battent dans le Dombass aujourd’hui sont des milices populaires », ajoute-t-il également, précisant que l’avance est permanente, mais elle est prudente.
Ce spécialiste précise que ce conflit ukrainien était déjà écrit. « Tout ce que l’on observe aujourd’hui a été décrit en 2019. Par un Think tank du Pentagone. Le problème est que les Américains, pour différentes raisons, veulent exclure la Russie dans sa forme actuelle, de la communauté internationale. Les Ukrainiens ne pensaient pas devoir se battre aussi longtemps. Zelensky a été trompé par les Occidentaux, et notamment par les Américains. La masse de sanctions qui devait s’abattre sur la Russie devait conduire à son effondrement immédiat», lance-t-il. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Un retour à la réalité pour l’Europe
Il y a quelques mois, Jacques Baud expliquait que dans cette histoire, l’Europe s’est enfin retrouvée unie. Mais pas pour le résultat escompté. « Il y a eu un retour à la réalité. En février, on est parti sur l’exemple de 2014, avec un certain nombre de sanctions contre la Russie. Et puis, on a voulu refaire l’expérience, avec des sanctions massives. Ces sanctions auraient été efficaces en 2014, mais pas en 2022. À la fin de la crise de la Covid, les sanctions n’ont fait que raréfier un produit dont l’offre était déjà surabondante. On a augmenté l’écart de l’offre et de la demande, et cela a joué en faveur des Russes », analyse ce spécialiste des renseignements.
Aujourd’hui, les Russes produisent légèrement moins en raison de ces sanctions. Jacques Baud rappelle que tout ce que l’Europe ne veut plus, c’est vendu à l’Inde et à la Chine, qui ne demandaient qu’à consommer davantage. « Même l’Arabie saoudite achète du pétrole à la Russie, qu’elle revend à l’Europe. On reçoit du pétrole russe qui nous coûte le prix maximum. On a vraiment tout faux », conclut-il sur Sud Radio.

«L’Europe est dans une déconnexion totale de la réalité »
Bien avant Jacques Baud, Caroline Galactéros, géopolitologue et présidente du Think tank Geopragma, avait abordé le même sujet sur le plateau de « Bercoff dans tous ses états».
«En fait, nous sommes sans arrêt dans l’immédiateté des actions et des réactions sur le conflit ukrainien juge Caroline Galactéros. Ce qui se passe derrière, à cette occasion, et qui est accéléré par l’opération russe mais également par tout ce qui l’a précédée, tout ce qui l’a préparée, c’est une bascule du monde beaucoup plus globale. Elle était en germe depuis déjà des années. Là, elle prend un coup de fouet, un coup de cravache », expliquait-elle à propos du tournant géopolitique du monde.
« Cette bascule du monde, c’est finalement la contestation de plus en plus organisée, poursuivie méthodiquement, entreprise d’un ordre occidental, à la fois politique mais aussi économique et financier. Ceci ne correspond plus à la réalité du monde, jugeait-elle. L’Occident a un peu pris ses désirs pour des réalités après la fin de la guerre froide».
«On est maintenant au bout d’une longue ligne. Cela a mis quelques décennies où on s’est imaginé que l’hégémonie occidentale, avec comme puissance de tête l’Amérique, pourrait se poursuivre et que le monde s’y ferait. Or, il s’est passé beaucoup de choses depuis 1991. Il y a eu, à mon avis, une autre ligne, mais qui ne se voit pas, et dont on ne parlait pas et qu’on a gentiment recouvert de tout un tas d’arguments moralisateurs d’un grand cynisme».
«C’est cette ligne de discrédit moral et politique de l’Occident, notamment à travers toutes ces interventions qui ont eu lieu depuis 1991. Syrie, Serbie, Yémen, etc. Cela ne s’arrête pas. Et aujourd’hui en Ukraine. Il y a des courants, il y a des tendances, etc. L’Ukraine fait suite à l’invasion russe, bien sûr. Il y a eu l’invasion d’un État souverain. C’est évident. Mais cette invasion russe, cette action que nous percevons comme une pure agression sortie toute armée de l’esprit malade et maléfique du président russe, est quand même le résultat d’un long processus de dégradation de la sécurité en Europe », expliquait la géopolitologue.

Il y a une «résurgence de puissances régionales»
«On est dans la Méthode Coué en termes de puissance et d’influence. En pratique, on est très bon, jugeait Caroline Galactéros. On est dans une déconnexion, surtout avec les Européens. Les Européens ne se rendent pas compte de la nasse dans laquelle ils sont en train de se mettre, en suivant l’Amérique. On est dans une déconnexion totale de la réalité des évolutions des lignes de force du monde. Avec bien sûr l’émergence de la Chine. Mais aussi à cause de la résurgence de puissances qu’on dirait régionales, comme la Turquie, l’Iran, comme certaines puissances africaines, ou pour la Russie globale ».
«Nous avons les Russes qui, après cette décennie catastrophique de leur point de vue, des années 90, sont repartis à l’assaut de leur puissance perdue. On voit bien aujourd’hui qu’en dépit du monceau, du tombereau de sanctions dont on les agonise jours après jours, malgré tout, ces lignes de puissance, de volonté de puissance et de refus de la marginalisation mondiale et géopolitique, elles sont toujours là et elles s’expriment », indiquait-elle.

Econews avec sudradio.fr