Pouvoir et CENCO : difficile cohabitation

Hasard du calendrier ou simple coïncidence, la journée du dimanche 25 juin 2023 laissera des traces dans les annales de la jeune démocratie congolaise. Au moment même où à Kinshasa la Commission électorale nationale indépendante annonçait la convocation de l’électorat et le début de l’opération de réception et du traitement des candidatures à la députation nationale, le chef de l’Etat, en séjour à Mbuji-Mayi (Kasaï Oriental), déterrait la hache de guerre et s’engageait dans une croisade inattendue contre l’Eglise catholique.
Invité à participer au jubilé d’argent de Mgr Emmanuel Kasanda, évêque du diocèse de Mbuji-Mayi, célébré au stade Kashala Bonzola, le Président Félix Tshisekedi s’en est pris violemment à «certains» évêques qu’il a accusés en des termes détournés, d’entretenir une certaine collusion avec des opposants qu’il n’a pas cités.
Après des vœux et des mots d’encouragement et des vœux de circonstance à l’évêque Kasanda et des remerciements au président de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), Mgr Marcel Utembi, présent à la cérémonie et visiblement remonté, le chef de l’Etat a saisi l’occasion de «tirer la sonnette d’alarme par rapport à une certaine dérive constatée au sein de l’Eglise catholique. Une dérive que je qualifierais de dangereuse surtout en cette année électorale. L’Eglise doit être au milieu du village. Ici je serai tenté de dire l’Eglise doit être au milieu des Congolais. Elle doit prêcher l’unité, l’amour et l’égalité. L’Eglise doit accompagner toutes les filles et tous les fils de la République qui sont en politique de la même manière, sans distinction aucune, car il y va de la stabilité de notre cher pays […] Mais il se fait que parmi vous il y a malheureusement quelques personnes qui ont pris une tendance dangereuse qui risquerait de diviser notre nation. En tant que garant de l’unité de cette nation, je me sens obligé de dire que je n’accepterai jamais une telle dérive».

LE CHAUD ET LE FROID
Félix Tshisekedi s’est, malgré tout, engagé à entretenir les meilleures relations avec l’église en général et l’église catholique en particulier, soufflant le chaud et le froid : «Je ne lésinerai sur aucun moyen pour aider cette institution qui nous est si chère et qui est si chère à mon cœur pour qu’elle se solidifie et qu’elle reprenne son combat que nous avons toujours admiré, le combat qui a fait de nous aujourd’hui des hommes et des femmes éduqués, remplis de valeurs», a-t-il poursuivi.
Devant une assistance nombreuse – Mbuji-Mayi est son fief électoral – il a par ailleurs promis de relever ce Congo terrassé par des antivaleurs que sont la corruption, le tribalisme, le séparatisme et l’impunité, croyant compter sur l’église catholique et sur Dieu pour que demeure toujours une relation excellente entre les hommes d’église et l’Etat dans sa détermination à garder un pays uni et pacifié
Et pour y parvenir, il a réaffirmé en termes durs une sorte de profession de foi en guise d’avertissement : «Je ne reculerai pas devant les menaces et les intimidations en tous genres. Je m’attaquerai sans hésitation, sans remords à tout Congolais qui mettrait en danger la sécurité et la stabilité de notre pays. Peu importe ce qu’on en dira : violation des droits de l’homme; privation de libertés, je n’en démordrai pas. Démocrate, je suis; démocrate, je resterai. Je n’ai de leçon à recevoir de personne dans ce domaine».

DES RÉACTIONS EN CHAINE
Jamais sans doute l’adresse du chef de l’Etat ne souleva autant la controverse que sa menace de dissoudre l’Assemblée nationale si ses alliés ne lui laissaient pas conduire sa politique à sa guise, et surtout son discours du 6 décembre 2020 qui annonçait la fin de la coalition FCC-CACH.
Sur les réseaux sociaux qui se sont aussitôt enflammés, les réactions ont fusé de partout, amplifiés par la dimension de l’immense institution qu’est l’église catholique défendue par ses millions de fidèles. En face, des irréductibles tshisekedistes accusant les évêques de trahison. Et sur la périphérie, les derniers des fidèles de l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila qui s’amusent du retournement de l’UDPS arrivé au pouvoir avec l’indéniable soutien de la même église catholique, aujourd’hui vouée aux gémonies.
A ceux qui accusent Félix Tshisekedi de verser dans une dérive autoritaire, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, rétorque qu’il n’y a aucune dérive autoritaire à faire respecter l’autorité de l’Etat. Aussitôt contredit par l’opposant Delly Sesanga : «Il n’y a pas pire atteinte à la sécurité du pays qu’un régime qui s’émancipe de la Constitution».
Et tirée des archives des réseaux sociaux, circule cet entretien accordé en octobre 2019 par le tout nouveau président au journaliste JP Bodjoko : «Cette église a un parcours qu’on connaît qui date de l’époque Malula qui s’opposait aux méfaits du régime d’antan. L’Eglise catholique a toujours marché avec le peuple et pour les intérêts du peuple (…) Il n’est pas question de regarder l’Eglise comme un adversaire, mais plutôt comme un allié ».
Réagissant aux vives critiques qui clouent l’église catholique au pilori, le porte-parole de la CENCO, Mgr Nshole coupe court :«Les mêmes évêques qui l’ont félicité hier lui disent aujourd’hui qu’il y a un recul».
Dans les milieux des laïcs catholiques, des langues se sont également déliées. L’un d’entre eux n’a pas retenu sa langue : «C’est parfois drôle et souvent incompréhensible… Les déclarations de la CENCO sont signées au nom de tous les archevêques, évêques et leurs auxiliaires en fonction et ainsi de suite. Nos amis qui se plaisent de critiquer cette déclaration de la CENCO oublient que n’eût-été la même CENCO et ses nombreuses déclarations à la fin de chacune de ses assemblées plénières, cette alternance pacifique n’aurait pas facilement lieu. Et á les entendre parler, ils sont tous incapables de ressortir juste un seul propos discourtois et méprisant la personne du Chef de l’Etat. Et ce qui est vraiment discourtois, cette allocution le Chef de l’Etat le tient à l’occasion du Jubilée épiscopal d’un évêque encore en fonction, donc aussi un des signataires de cette déclaration. Est-ce vraiment courtois? N’est-ce pas une arrogance d’aller intimider celui qui vous associe à sa fête privée?»
La passion née du discours de Félix Tshisekedi n’est pas prête à retomber, à moins de ces énièmes réconciliations spectaculaires entre les évêques catholiques et la majorité au pouvoir comme la classe politique congolaise en a habitué l’opinion nationale.

Econews