RDC : «Il y aura un avant et un après voyage du Pape »

Le Pape François séjourne à Kinshasa du 31 janvier au 3 février. Un voyage sur fond de tensions politiques et sécuritaires. L’Église catholique est malmenée et grignotée par les églises du réveil.
«C’est l’événement politique de ce début d’année en République démocratique du Congo», lance Jean-Claude Mputu, politologue et chercheur congolais, qui enchaîne : «Pour Félix Tshisekedi, il y a deux moments majeurs à ne pas rater en 2023, c’est le voyage du pape et les Jeux de la Francophonie. La visite papale est une des clés de la campagne de séduction de Félix Tshisekedi dans l’optique de la présidentielle». «Il ne fait aucun doute en effet que le pouvoir va tenter d’utiliser ce voyage pour mettre en avant la diplomatie galopante de Félix Tshisekedi », insiste Bob Kabamba, politologue et professeur à l’université de Liège. «Une diplomatie qui, pour beaucoup de Congolais, se résume à 200 voyages en dehors du pays en 4 ans de mandat, des millions de dollars dépensés pour des retombées, jusqu’ici, très minces voire inexistantes», poursuit l’universitaire.

François, un argument de campagne ?
Ce samedi, à trois jours de l’arrivée du pape à Kinshasa (il séjournera dans la capitale congolaise du 31 janvier au 3 février), la cour présidentielle a accentué sa campagne en présentant ce voyage comme une réussite personnelle de Félix Tshisekedi. Le professeur André Mbata, constitutionnaliste congolais, devenu zélateur patenté en même temps que vice-président de l’Assemblée nationale par la grâce présidentielle, explique ainsi que le pape François « bénira le Président Fatshi, candidat à l’élection présidentielle de décembre 2023, et son second mandat », avant d’ajouter en toute simplicité en parlant de son chef : « lui que Dieu a oint pour diriger notre pays en ces temps historiques ».
Face à cette tentative de récupération politique, l’Église catholique, par la voix du cardinal Ambongo a tenu à préciser : « La visite du pape François n’a rien à voir avec le régime en place. Le pape ne vient pas pour donner un coup de main électoral à un régime politique ». Le cardinal Ambongo, qui a succédé à Laurent Monsengwo, a rappelé que le pape s’était entretenu en son temps au Vatican avec Joseph Kabila. Le Souverain pontife voulait déjà se rendre alors en RDC, poids lourd de l’Église catholique en Afrique. «Mais vu la situation politique, il a préféré attendre après les élections pour pouvoir venir et il a tenu parole», se souvient le cardinal, qui poursuit avec une précision sémantique: «Après l’élection… après l’accession au pouvoir du Président Félix, le pape aurait dû venir en 2020 mais nous avons été confrontés au Covid». Le voyage a donc été reporté en juillet 2022 avant d’être de nouveau repoussé de quelques mois suite à des problèmes de santé du pape.

L’ombre de Kabila
Un report et une situation sécuritaire dans le Nord-Kivu qui privent le pape d’une grand-messe à Goma. «C’était le déplacement qui tenait le plus à cœur à François, qui avait le plus de sens car le plus proche de la région la plus meurtrie par la violence », explique le père Rigobert Minani, chercheur au Centre d’Études pour l’Action sociale (CEPAS). Le pape s’entretiendra malgré tout avec des victimes de ces violences qui ont fait le déplacement à Kinshasa. «Il échangera avec ces victimes et il y aura évidemment aussi des représentants de la communauté tutsie».
«Ce report de la visite à l’Est privera aussi Olive Lembe-Kabila de son heure de gloire », poursuit Jean-Claude Mputu. «L’épouse de l’ancien président aurait en effet dû être aux premières loges lors de l’inauguration de la cathédrale de Goma construite sous son impulsion». «Elle sera certainement reçue par le pape», selon Bob Kabamba.
«Le Président Tshise-kedi sera la première personne que rencontrera officiellement le pape», insistent les services de la Présidence de la République congolaise qui s’interrogent sur l’arrivée récente de l’ancien président Joseph Kabila à Kinshasa. Silencieux depuis sa retraite de janvier 2019, l’ancien président, qui s’est découvert une passion pour l’agriculture, passe le plus clair de son temps dans sa ferme de Lubumbashi. Un havre lushois qu’il a déserté il y a peu pour revenir dans sa propriété de Kingakati, dans la banlieue de Kinshasa, de quoi alimenter bien des spéculations et attiser certaines appréhensions dans les rangs tshisekedistes en marge de cette visite. Certains observateurs prennent des paris sur cette rencontre entre le pape et l’ancien chef de l’État, d’autres soulignent surtout les risques liés à l’organisation générale de ce séjour.
«Il y a de gros risques qu’il y ait des ratés vu la qualité des services de la présidence congolaise», souligne un observateur attentif qui pointe du doigt «les faiblesses du service du protocole. Le nonce apostolique est évidemment mis sous pression par cette visite mais il l’est encore plus par les amis et les conseillers du président qui font du lobbying pour pouvoir passer quelques instants en compagnie de François pour décrocher un selfie», s’indigne-t-il.

«Tout le monde attend les mots du pape »
Le ton est donné. À un peu moins de onze mois de la prochaine élection présidentielle, prévue pour le 20 décembre, ce voyage papal, qui doit aussi emmener François au Sud Soudan, est scruté de toutes parts. « La Société civile espère un message fort et des mots justes», continue Jean-Claude Mputu.
«Le pape ne peut pas ne pas se prononcer sur les conditions de vie difficiles du peuple congolais ou sur les violences faites aux femmes à l’est. Il a d’ailleurs rencontré récemment le docteur Mukwege au Vatican », rappelle Bob Kabamba qui insiste aussi «sur l’attente d’un message sur le droit pour la population de choisir librement les dirigeants qu’elle juge aptes à diriger le pays ». Tous insistent sur le fait que le clergé a mis un frein depuis plusieurs mois aux pressions sur le pouvoir en attendant cette visite papale. «Nous avons clairement appelé à la retenue depuis de longs mois. Le voyage papal était initialement prévu en juillet 2022 et il fallait éviter de créer trop de tensions pour ne pas gâcher la venue du saint-Père», explique un prêtre kinois qui espère, lui aussi, «un message clair sur les limites à ne pas franchir par le pouvoir». « Il faut rappeler la valeur de la vérité, même de la vérité des urnes. Le passage du pouvoir frauduleux entre Kabila et Tshisekedi n’a pas fini de faire des dégâts et a fait naître des clivages au sein même de l’Église», ajoute un autre.
«Vu l’implication de l’Église locale dans les combats au côté du peuple et pour les libertés, cette visite est tout sauf anodine», pour Hervé Diakiese, avocat et membre de la structure Vigilance citoyenne électorale qui refuse la prolongation du mandat de Félix Tshisekedi en cas de non-respect du calendrier électoral. «Ce qu’on nomme ici le glissement n’a rien de constitutionnel, rien de légal. Si on dépasse la durée du mandat sans organiser les élections, le président doit faire un pas de côté. S’il est arrivé au terme de son premier mandat, Il peut se représenter mais ce n’est pas lui qui reste au pouvoir. La constitution est claire sur ce point».
Pour lui, la Société civile congolaise attend un message dans le sens du respect du droit et de la démocratie. «Si ça vient de Rome, ce sera plus audible. Le cardinal Ambongo a dit certaines choses dans ce sens. Il faut se souvenir que les gros bras de l’UDPS l’ont menacé et ont caillassé sa résidence pour ces mots. Il n’y a évidemment pas eu de sanction. Quel régime peut accepter ces dérives et se présenter comme un exemple de vertus et le meilleur choix pour un nouveau mandat ?»
«Il y aura un avant et un après voyage du pape», insiste Jean-Claude Mputu. «Le pape connaît la situation du pays. La communauté de San Egidio a été très active pour tenter de trouver une voie de dialogue à l’Est, même avec le M23 et les ADF. Quant aux envoyés de Rome à Kinshasa, ils ont vu le désordre et assisté aux bagarres à la présidence congolaise. Le pape sait où il met les pieds. J’espère qu’il aura des mots forts et le ton juste. Son Église est divisée et ça, c’est insupportable».

Tensions au sein du clergé
Depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, les évêques du Kasaï, la province dont est originaire sa famille, sont en effet en rupture avec leurs collègues. Ces évêques ont été les premiers à reconnaître la victoire de Tshisekedi alors que le reste de l’Église criait au complot et disposait des vrais chiffres du scrutin. Deux ans plus tard, le président Tshisekedi a imposé son candidat à la tête de la Ceni malgré l’opposition des Églises catholique et protestante. «L’Église n’est pas remise de cet épisode», affirme M. Mputu. En pleine crise sur ce dossier, les évêques kasaïens ont demandé un huis clos à leurs collègues pendant lequel ils ont accusé les autres évêques de favoriser un sentiment anti-kasaïen. «La voix de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (Cenco), l’abbé Nshole, a été stigmatisée par les Kasaïens, parce qu’il avait eu le tort de dire en conférence de presse qu’il avait la preuve qu’il y avait eu corruption pour la désignation de Denis Kadima», explique un observateur qui se souvient du «fort malaise» que cette situation a créé.
La mission du pape sera donc de recoller les morceaux, tout en donnant un cap pour l’Église catholique dans la perspective des rendez-vous politiques à venir. «Ce voyage sera peut-être le plus politique du pape François», constate Bob Kabamba, qui insiste aussi sur l’évolution de la religiosité en RDC.
«C’est un pays extrêmement religieux mais, aujourd’hui, les églises du réveil bousculent les catholiques. À Kinshasa, ces temples pullulent, avec des pasteurs qui promettent tout à leurs ouailles contre quelques billets. C’est devenu un vrai business. Dans chaque quartier, il y a 2, 3 stars des sermons percutants». «Si l’Église catholique a gardé son influence, c’est parce que la foi n’a pas faibli en Afrique», enchaîne Me Diakiese.
«Le voyage du pape doit repositionner l’Église catholique dans le champ politico-social. C’est là, qu’elle est pertinente, qu’elle est suivie. Les évêques zaïrois, puis congolais ont mené des concertations contre Mobutu, contre Kabila. Ils ont un historique, un combat et la société civile les attend encore aujourd’hui», conclut Bob Kabamba.