Résurgence du M23, adhésion de la RDC à l’EAC… : les vérités de Julien Paluku

Ancien gouverneur de la province du Nord-Kivu, soit 13 ans à la tête de l’exécutif, Julien Paluku Kahongya, actuel ministre de l’Industrie, connaît mieux que quiconque les problèmes qui rongent cette province meurtrie de la République Démocratique du Congo. Normal qu’il ait été associé par le Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, à la mission qu’il effectue dans cette partie de la République. Invité, le lundi 11 avril 2022, de l’émission « Dialogue entre Congolais » sur radio Okapi, Julien Paluku a dit toutes ses vérités de ce qui se trame dans le Nord-Kivu, sans manquer de faire allusion à l’adhésion de la RDC à la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC). Décryptage de son intervention sur radio Okapi.

Econews

Par rapport à la résurgence du M23, qu’est-ce qui justifierait cette résurgence du mouvement rebelle alors qu’on sait que ce groupe était censé être désarmé selon l’accord de Nairobi ?

Comme ministre et gouverneur honoraire du Nord-Kivu, je pense qu’il faut replacer la population dans le contexte réel. Le 6 novembre 2013, moi même avec beaucoup d’autorités militaires, nous arrivions à Chanzu pour signer la capitulation du M23, il avait traversé les frontières congolaises jusqu’aux frontières voisines. Et depuis lors, je dois affirmer que le M23 n’est plus revenu parce qu’il était défait totalement par les forces armées de la République appuyées à l’époque par les éléments des Casque Bleu, notamment la Brigade tanzanienne qui avait son artillerie (…).

Maintenant, aujourd’hui qu’il revienne, je vais parler de deux éléments du contexte actuel. Premier élément : Nous étions en phase (Gouvernements congolais et ougandais) pour commencer les travaux de route Bunagana – Rutshuru – Goma. Les travaux de route Kasindi – Beni – Butembo pour essayer un peu d’élargir nos activités économiques entre nous (RDC) et l’Ouganda. Et c’est au moment où les entreprises qui étaient commises à pouvoir réaliser les travaux étaient déployées du côté de Bunagana que le M23 commence la guerre. Première interrogation. Deuxième élément:  Cependant que le Président de la République, Son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, est à Nairobi pour signer l’adhésion de la RDC à la Communauté de l’Afrique de l’Est que, effectivement, on voit la puissance de feu du M23 augmenter jusqu’à déloger les éléments des Forces armées de la RDC sur les collines que vous avez citées, notamment Chanzu et Runyonyi. Deuxième interrogation.

Donc pour moi, ces deux éléments-là doivent aider les analystes à comprendre effectivement que ceux qui font la guerre à la RDC, qui s’appellent M23, sont à même d’être désignés comme des ennemis de la République. Parce que, si l’on doit faire la route entre Bunagana – Rutshuru et Goma pour identifier les activités économiques comme indicateurs de développement, si on doit adhérer à l’EAC, si l’on doit désengorger Jomba qui est le grand bastion des gorilles de montagne pour encourager le tourisme et que des gens viennent y commencer la guerre, ça montre effectivement que les gens qui se sont toujours prévalus être les amis du Congo, revendiquaient le développement du Congo, sont, à mon avis, des ennemis de la République et doivent être traités comme tels.

Je crois que l’adhésion de notre pays à la Communauté de l’Afrique de l’Est devra permettre à la RDC à travers son Président d’être en face de tous les présidents membres de cette communauté pour qu’on se parle réellement en face et qu’on puisse trouver une solution définitive à cette crise.

Tous les Etats de la région ne peuvent pas accepter ce genre de blague. Par exemple, on ne peut pas accepter qu’au Rwanda des gens viennent, prennent une localité et disent, Monsieur le Président rwandais, nous vous demandons de faire une négociation avec nous pour que nous vous laissions le temps de faire X ou Y. On ne peut pas le faire, non plus pour l’Ouganda.

Je crois que ça doit être la même logique pour la République Démocratique du Congo pour que l’adhésion au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est soit un signal fort de ne plus tolérer ce genre de bêtises, ce genre de blagues qui endeuillent quotidiennement notre population. Aujourd’hui à Rutshuru, à Jomba, à Bunagana, à Bubusa, à Chengerero, les gens fuient à cause des gens qui se réclament être des Congolais (…).

Voilà plus ou moins l’interrogation que j’ai voulu mettre sur la table de discussion et les éléments du contexte sans être le porte-parole du Gouvernement, mais en tant que notable de la province du Nord-Kivu.

Selon certaines indiscrétions, cette question a été évoquée lors de l’adhésion de la RDC à l’EAC, le week-end passé, est-ce que vous nous confirmez cela en tant que membre du Gouvernement ? Est-ce que vous avez quelques informations sur ça ?

Non, je pense que l’adhésion de la République Démocratique du Congo à la Communauté économique d’Afrique de l’Est n’avait pas pour objectif d’aller trouver des solutions ou de parler du problème du M23, ça peut avoir été évoqué dans les couloirs mais ça ne peut pas faire l’objet d’un point à l’ordre du jour. Donc, je ne sais pas ici vous le confirmer étant donné que moi-même je n’étais pas membre de la délégation. Mais je crois, cela nous a été dit par le Président de la République. Il s’est déplacé pour Nairobi en vue de signer l’adhésion de notre pays au sein de la Communauté économique de l’Afrique de l’Est. C’est dire que la question du M23, comme je vous l’ai dit, a été subsidiaire parce que les attaques ont eu lieu (…) pour chercher à forcer la main du Président de la République, se trouvant à Nairobi, à accéder à un certain nombre de revendications. Et ce sont des méthodes de tout le temps. Ceux qui ne le connaissent pas peuvent croire qu’ils sont de bonne foi, mais nous qui le connaissons très bien – et ça je lance une alerte à l’ensemble du peuple congolais – que ce sont ces méthodes qu’ils ont toujours utilisées pour dire que voilà nous vous laissons un espace, on signe un communiqué alors que naturellement s’il s’agit réellement du M23, ils n’ont pas la capacité de conquérir un espace, de l’occuper et de le contrôler.

Si le M23 n’a pas la capacité d’occuper certaines positions, (…) plusieurs observateurs parlent de l’appui du Rwanda, qu’est-ce que vous, vous en pensez ?

Je pense que comme il y a un mécanisme régional de vérification qui est installé dans la région, et avec l’adhésion dans cette communauté de l’Afrique l’Est, je crois que les Chefs d’Etat devront se parler sincèrement et franchement. Même si en politique, il n’y a pas d’amis, ce sont les intérêts qui comptent, mais je crois qu’on devra se parler sincèrement, parce que, lorsque nous avons été à Chanzu en 2013, après Chanzu, c’est la forêt. Mais comment quelqu’un peut de la forêt avoir une puissance de feu qui vient déloger les éléments des Forces armées de la RDC ? Il faudrait que les enquêteurs puissent savoir si la forêt est devenue aussi un lieu où on fabrique des armes pour qu’on se fixe si ces armes provenaient seulement de la forêt et de quelque part d’autre. Quelque part d’autre, c’est où ? Je ne sais pas citer l’endroit parce que je ne suis pas l’enquêteur. Il faudrait que les enquêteurs puissent se pencher sur la question pour qu’on retrace la chaîne d’approvisionnement de ces rebelles. Et à partir de la chaîne d’approvisionnement, on peut maintenant trouver des solutions définitives à la crise.

Il y a eu des accords signés entre le Gouvernement et le M23, pourquoi le Gouvernement ne respecte pas ce qu’il a promis à ce mouvement ?

Il y a eu une loi qui a été votée au niveau de la République Démocratique du Congo. Cette loi interdit de prendre les éléments des groupes armés et de les insérer dans les Forces loyalistes. Je crois que cela est valable et pour les gens du M23 et pour tous les groupes armés.

Nous ne devons pas répéter les mêmes choses qui nous ont amené à des crises récurrentes que nous connaissons. La République devra s’assumer à partir des expériences malheureuses que nous avons connues pour ne plus répéter les mêmes choses. Donc, je pense qu’aujourd’hui, il appartiendra à la République de décider si elle doit déroger à la loi pour intégrer des groupes armés dans son armée ou alors rester ferme.

Mon point de vue, comme notable de la province du Nord-Kivu, c’est ne plus accepter un seul instant que les gens qui prennent les armes intègrent l’armée. Ça sera donner de la valeur aux groupes armés, ça sera pérenniser la crise à l’Est parce que tout le monde prendra les armes sachant qu’in fine, ça sera une voie d’intégrer les éléments des forces armées. Donc, c’est un point de vue personnel qui n’engage pas le Gouvernement, mais qui est un conseil que je formule à l’attention de ceux qui peuvent m’écouter et me suivre à travers la voix de la Radio Okapi qui est suivie à travers le monde et particulièrement en RDC.

Retranscris par Me Assani Longhe (CP)