Retrait des M23/RDF de Bunagana : et après …?

Les choses s’accélèrent dans la crise au Nord-Kivu. Arrivé dans la cité frontalière de Bunagana occupée par les M23/RDF à la mi-juin 2022, un contingent militaire ougandais en cours de semaine dernière serait en voie de superviser le retrait des « rebelles » et de leurs soutiens rwandais. Première phase du désengagement recommandé le 23 mars par les chefs d’états majors de la Force des Etats membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est, et débuté, selon les observateurs de la société civile du Nord-Kivu. Un processus confirmé par le gouvernement de Kinshasa qui ne se départit cependant d’un certain doute quant à la « bonne foi » des M23/RDF.
La force ougandaise occupe progressivement Bunagana depuis trois jours. Information unanimement confirmée par diverses sources indépendantes. A Kinshasa cependant, l’euphorie n’est apparemment de mise. Loin de là. Tant par un passé récent les forces d’agression ont brillé par des revirements, abandonnant certaines positions de moindre importance pour en occuper d’autres, alors que des localités significatives telles la base militaire de Rumangabo et Rutshuru-Centre parmi d’autres restent sous leur giron.
Plusieurs facteurs justifient la méfiance du gouvernement et de l’opinion congolaise en général. Tout d’abord, en faisant la déclaration selon laquelle le désengagement du M23/RDF de Bunagana et ultérieurement des autres localités occupée ne signifie pas le retour des Forces armées de la République du Congo (FARDC), le M23/RDF étale au grand jour les velléités hégémonistes du Rwanda à pérenniser l’occupation des pans des territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo. Ce à quoi Kinshasa rétorque que les FARDC ont toute la latitude de se projeter sur n’importe quelle partie du territoire national.
Ensuite, nulle part il n’est spécifié le retour dans leurs milieux de quelque 900 mille déplacés internes qui se vivent dans les camps insalubres dans la périphérie de Goma, dont celui de Kanyaruchinya où sont déjà signalés des cas de rougeole et d’autres maladies d’origine hydrique dont le choléra.
Enfin, le rôle joué par le Facilitateur désigné par la Communauté de l’Afrique de l’Est ne semble pas en harmonie avec la position de Kinshasa. Celle-ci est connue, les officiels congolais la martèlent matin, midi et soir. Elle repose sur les quatre axes du P-DDRCS (Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation). C’est la condition non négociable pour envisager d’éventuels pourparlers de paix.

Le rôle ambigu d’Uhuru Kenyatta
Or, dans un communiqué publié ce lundi 3 avril 2023, Le facilitateur de l’EAC à la crise sécuritaire en République démocratique du Congo, Uhuru Kenyatta, a donné, des détails du déploiement de militaires de différents pays. Selon lui, « chaque contingent des pays contributeurs de troupes à la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) en RDC s’est déjà installé dans le territoire sous son contrôle ».
L’ancien président kényan a par ailleurs confirmé que est la Force de l’EAC est maintenant pleinement déployée comme prévu par le processus de Nairobi et que le retrait du M23 des zones précitées (dont Kilolirwe, Kitshangaet Mushaki)« a été vérifié par le mécanisme ad hoc (dirigé par l’Angola}, EJV et les mécanismes de surveillance et de vérification de l’EAC .»
La rébellion du M23, considéré comme groupe terroriste par le gouvernement congolais semble bien obéir à l’EAC. Pour preuve, elle s’est retirée des agglomérations qu’elle occupait depuis plusieurs mois ou semaines dans le territoire de Masisi, notamment Kilolirwe, Kitshanga et Mushaki. L’ancien président kényan a précisé que le M23 s’est effectivement retiré de Bunagana et va quitter d’ici le 15 avril prochain la cité de Kiwanja.

Partage des dépouilles
Pour ce qui est du contrôle, mieux du partage de la province du Nord-Kivu par les différentes armées de la Force régionale, le facilitateur de l’EAC a donné les détails suivants : le contingent kényan occupe Kibati, Kibumba et Rumangabo, le contingent buru-ndais occupe Sake, Mushaki, Karuba, Kilolirwe en attendant d’occuper également Kitshanga. Les militaires ougandais occupent Bunagana après la remise et reprise avec le M23, en attendant évidemment d’étendre la zone sous leur contrôle jusqu’à Kiwanja.
« C’est important. Ces développements signalent également qu’un plus grand nombre de groupes armés se conforment désormais aux termes du processus de Nairobi et sont donc de plus en plus susceptibles d’être tous intégrés dans la voie politique du processus de Nairobi à l’avenir. Le Facilitateur continuera de tendre la main à toutes les parties, tant politiques qu’armées, dans ses efforts continus pour aider à ramener la paix dans l’est de la RDC», a martelé Uhuru Kenyatta.
Pas un mot ni sur le rôle que les FARDC sont appelées à jouer dans ce processus de retrait du M23/RDF, ni sur le retour des déplacés. Tout se déroulant comme si la force régionale s’approprie des territoires au détriment du pouvoir légalement établi.

Muyaya calme la tempête
Lundi, en marge du briefing, le porte-parole du Gouvernement, Patrick Muyaya, est revenu sur la controverse qui entoure l’occupation par les troupes ougandaises des zones libérées par les terroristes du M23.
La RDC aurait-elle bradé sa souveraineté ? Est-ce une lueur de la mise en œuvre du plan de balkanisation de la RDC ? Patrick Muyaya a balayé d’un revers de main tous ces malentendus.
«La Force régionale de l’EAC est une force d’appui aux Forces armées de la RDC et toutes ces troupes qui sont actuellement sur le sol congolais y sont sur invitation du Gouvernement de la RDC en vue de travailler pour le retour de la paix. Cela ne doit donc pas être interpellé comme une quelconque forme de balkanisation d’autant plus que l’objectif recherché est de parvenir à la fin des hostilités », a indiqué le porte-parole du Gouvernement, rappelant que « le schéma convenu est que le M23 qui a commencé progressivement à se retirer, puisse laisser la place à la Force régionale ».
Il a, par ailleurs, annoncé la présence à Kinshasa du chef d’état-major de l’armée ougandaise qui a des contacts avec les officiels congolais.
A ceux qui voient derrière la Force régionale de l’EAC l’ombre d’une balkanisation de la RDC, Patrick Muyaya a tenu à rassurer : « La balkanisation de la RDC ne passera pas par nous ni avec nous ».

Econews