Afrique : «Le renouvelable, oui, mais dans un mix énergétique»

La Banque africaine de développement est convaincue que le cumul solaire ou éolien et gaz naturel est le bon choix mais tout le monde n’est pas sur son orbite.
Depuis Abidjan, la Banque africaine de développement (BAD) a annoncé la couleur de ses préconisations à la COP27 de Charm el-Cheikh en se servant l’Africa Investment Forum qu’elle a organisée du 2 au 4 novembre. Ainsi, dans la capitale économique ivoirienne, le sujet de l’énergie a été dans tous les discours et a été évoqué dans la plupart des panels de cette manifestation économique majeure. C’est d’ailleurs Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD) en personne, qui a ouvert la voie. «Nous avons sélectionné pour vous, investisseurs, plusieurs projets prêts à être financés, par exemple dans les énergies renouvelables», a-t-il fièrement déclaré au premier jour de l’Africa Investment Forum, devant un parterre de promoteurs, d’investisseurs et de chefs d’État.

Le renouvelable, une priorité pour la BAD
Depuis quelques années, le secteur est devenu « la priorité » de l’institution, a confirmé le vice-président de l’institution bancaire panafricaine en charge de l’énergie, de l’électricité, du changement climatique et de la croissance verte, Kevin Kariuki. « Il est primordial pour nous de respecter les engagements que nous avons pris à Paris en 2015, car l’impact du changement climatique est déjà visible en Afrique, et il est très violent. Les cyclones, les incendies, les inondations, nous le prouvent, a-t-il déploré. C’est pourquoi nous devons investir plus et plus rapidement dans les énergies renouvelables». «Le monde est en train de changer à une vitesse folle, ce n’est plus un choix à faire, c’est une obligation», a abondé Admassu Tadasse, président de la Trade and Development Bank, chargé de l’Afrique australe et orientale, la zone Comesa.

Une belle carte à jouer pour l’Afrique
Dans ce contexte, il convient de prendre en compte le potentiel du continent en matière de renouvelable. Il est véritablement conséquent. D’après la BAD, l’Afrique dispose de 40 % du potentiel mondial en énergie solaire, soit 10.000 Gigawatts. Les ressources hydrauliques, elles, totalisent 350 Gigawatts, l’éolien, 115. Des chiffres qui, selon Kevin Kariuki, représentent « une réelle opportunité de lier notre développement économique de manière responsable et durable», sur un continent où près de 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, d’après l’Agence internationale de l’énergie.

Un effort d’exploitation à faire
Si les réserves sont bel et bien là, elles restent encore en revanche largement sous-exploitées. À l’heure actuelle, 1% seulement de la ressource solaire est utilisé, 7% de l’énergie hydraulique. «D’une région à l’autre du continent, les sources d’énergie renouve-lable sont diversifiées, mais faiblement explorées, et très insuffisamment mises en valeur », regrette Ranece Jovial Ndjeudja, responsable de la campagne forêt de Green-peace Afrique. Surtout, récolter les fruits de l’exploitation de ces ressources prend du temps. Entre la recherche de financements, la construction des infrastructures et leur mise en fonction, s’écoulent entre «huit et dix ans», assure Kevin Kariuki. Un laps de temps aujourd’hui trop important, car en attendant «la demande de la population, croissante et qui s’urbanise, grandit». Et le temps presse : pour atteindre les objectifs de développement de l’agenda 2063, projet majeur de l’Union africaine, l’Afrique doit doubler ses capacités en énergie d’ici 2040. «Demain», s’inquiète Kevin Kariuki.

Une solution pour la BAD : le mix énergétique
Pour aller plus vite, la BAD prône désormais le mix énergétique, en s’appuyant sur une autre ressource : le gaz naturel liquéfié, «que l’on peut développer en seulement trois ans», assure son vice-président. Une énergie «de remplacement», en attendant que soient opérationnelles les structures solaires ou éoliennes. «Le gaz est idéal, défend Kevin Kariuki. Toutes les industries l’utilisent, et il sera beaucoup moins dangereux et polluant que le feu de bois, que les Africains utilisent en masse pour faire la cuisine».
Cette politique s’applique aujourd’hui au Mozambique. En 2020, la BAD a rejoint plusieurs banques et institutions pour y financer un projet d’extraction de gaz naturel liquéfié. L’institution panafricaine a versé 400 millions de dollars, sur les 20 milliards accordés au total. Ce projet, appelé Mozambique LNG Area 1, est à ce jour le plus important investissement direct étranger en Afrique, dont l’investisseur majoritaire est le géant français Total. En plus de sa participation au projet, la Banque a, deux ans plus tard, approuvé l’octroi d’une subvention de 2,5 millions de dollars au gouvernement mozambicain pour développer les ressources énergétiques renou-velables. Ce don, issu du Fonds pour l’énergie durable en Afrique (SEFA), soutiendra la compagnie nationale d’électricité dans l’élaboration d’une future centrale solaire flottante sur le barrage de Chicamba. Un projet «stratégique» et «innovant », qui «contribuera à diversifier la matrice énergétique» du pays, a réagi en octobre dernier Marcelino Gildo Alberto, président du groupe Électricité du Mozambique, son bénéficiaire.

Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité
Présenté comme la solution idéale, le mix énergétique incluant l’extraction de gaz prônée par la BAD, n’est pas, aux yeux de Ranece Jovial Djeudja, la stratégie la plus pertinente. «Cette tendance, qui rentre dans la logique extractive malheureusement encore dominante sur le continent, nous éloigne encore de la quête de véritables solutions alternatives et durables à la crise climatique actuelle, regrette-t-il. Pour nous, c’est ce type de stratégie qui a conduit à la crise climatique actuelle. En pariant sur le gaz, la BAD ne contribuera qu’à l’exacerber davantage». En effet, si le gaz naturel émet entre 50 et 60% moins de CO2 – lorsqu’il est brûlé dans une nouvelle centrale électrique – que les émissions d’une centrale de nouvelle génération au charbon et réduit de 20 % les émissions de CO2 comparé à un véhicule diesel sur la même distance, son extraction et son transport restent nocifs pour l’environnement. En clair : même s’il émet moins de gaz oxygénés, «le gaz naturel présente sur l’ensemble de sa chaîne de valeur un impact environnemental significatif, lié d’une part aux fuites de méthane dans l’atmosphère et d’autre part à la demande énergétique importante utile à sa production ou son transport, s’il est liquéfié», explique sur son site Aurore Richel, docteure en sciences chimiques à l’université de Liège.
Même si visiblement la BAD cherche le meilleur compromis et que certains gouvernements en Afrique vont encore plus loin en refusant d’écarter leur politique de développement des énergies fossiles – le Sénégal et la République Démocratique du Congo (RDC) ont récemment découvert des ressources pétrolières et gazières et nourrissent grâce à elles l’espoir d’industrialisation – certains États ont fait des énergies renouvelables une ressource clé de leur développement.

Maroc, Kenya : des pays africains dans une dynamique vertueuse
À l’instar du Maroc, qui s’est taillé en quelques années une stature de leader en matière d’énergies renouvelables. Une volonté affichée depuis le milieu des années 2000, «pour réduire la dépendance à l’égard des importations de combustibles fossiles» et «assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique», explique à la BBC Mohamed Alaoui, directeur général d’AfricaClimate Solutions, un cabinet de conseil basé à Casablanca. Bien que Rabat dépende encore des énergies fossiles pour répondre à la demande – environ 40 % de l’électricité du pays proviennent du charbon –, les énergies renouvelables représentent aujourd’hui près des deux cinquièmes de sa capacité électrique. En dix ans, la capacité photovoltaïque du royaume a été multipliée par seize, et l’énergie éolienne par six.
De l’autre côté du continent, au Kenya, les énergies renouvelables occupent une bonne place. Celles-ci représentent 74% des capacités de production installées et produisent 90% de l’électricité utilisée, notamment depuis l’installation, en 2019, du plus grand parc éolien d’Afrique sur la rive est du lac Turkana. La géothermie est aussi un secteur en pointe. Grâce à l’exploitation de la chaleur rejetée par la faille tectonique du Grand Rift, le Kenya est devenu en quelques années le 7e producteur au monde d’énergie géothermique. En 2020, sa capacité de production a atteint 823 mégawatts, contre 2 555 mégawatts aux États-Unis, le leader du secteur.
Des exemples à suivre, mais qui ne pourront se concrétiser qu’avec un accès plus rapide à la finance verte. «Aujourd’hui, alors que nous subissons déjà l’impact du réchauffement climatique, nous aimerions goûter aux engagements qui ont été pris il y a plus de dix ans», indique, amer, Kevin Kariuki. Le montant promis par les pays riches en 2009, à hauteur de 100 milliards de dollars d’aide par an pour permettre au pays du Sud de s’adapter, n’a toujours pas été atteint. Ce qui permet de s’interroger sur la volonté d’engagement réel et solidaire des pays riches à l’endroit d’un continent seulement responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre.
Avec Le Point Afrique