Conflit Teke-Yaka : Kinshasa au bord de l’embrasement

Des images insoutenables sur les réseaux sociaux, de corps ensanglantés, certains décapités gisant sur le bord de la route nationale n°1 entre Batshiongo et Mongata (Kwango); des hordes de jeunes pour la plupart armés de machettes, le front ceint de bandeaux rouges et entonnant des chants guerriers menaçants, des camions chargés de marchandises rebroussant chemin en direction de Kikwit… Parfois, des véhicules de la police et de l’armée patrouillant et chargeant des corps sans vie de civils tués. Des appels de détresse d’habitants des localités le long de la route entre Kenge et Maluku en rajoutant à la psychose ambiante. Le tout se déroulant à moins de 200 kilomètres de Kinshasa. Il était temps. Les autorités politico-administratives ont enfin pris conscience de la gravité d’une situation qui risque d’embraser la capitale.
Le conflit opposant les communautés Yaka et Téké a pris une nouvelle dimension le week-end dernier, avec l’apparition des «assaillants Mobondo» assimilés à l’ethnie Yaka dans les localités longeant la RN 1. La violence a atteint son paroxysme après des accrochages entre Batshiongo, Mongata et Menkao où l’on a compté plusieurs morts parmi les forces de l’ordre et des civils. Selon le ministre provincial de l’Intérieur et des Affaires coutumières du Kwango, un colonel aurait perdu la vie, après être tombé dans une embuscade tendue par des insurgés.
Des dizaines de familles ont pris le chemin de la capitale, venant s’ajouter à celles qui les avaient précédées depuis plusieurs semaines à Menkao et Maluku et jusque dans les communes de Nsele et de Kimbanseke en pleine ville de Kinshasa. Certaines, chanceuses, sont dans familles d’accueil, d’autres squattent des écoles, quand elles ne logent pas simplement à la belle étoile dans le dénuement le plus total.

COUVRE-FEU ET LA RN 1 FERMÉE
Au cours de la 98ème réunion du Conseil des ministres du 12 mai, le ministre de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières a mis l’accent sur « la persistance de l’insécurité dans les environs de Kinshasa (Plateau des Batéké) où une action d’envergure est engagée en vue de rétablir l’autorité de l’Etat », sans plus de détails sur la nature de l’action envisagée ni de la prise en charge de nombreux déplacés.
Le même vendredi, la situation menaçant d’échapper à tout contrôle et des affrontements signalés entre Bathiongo et Mongata, le gouvernement provincial du Kwango décide alors d’employer les grands moyens : la RN 1 est fermée à la circulation et un couvre-feu est décrété de 20 heures à 6 heures du matin. Le bilan officiel est de 11 morts, dont 7 militaires, 2 policiers et 2 civils.
Au même moment, une délégation de chefs coutumiers et de notables Téké manifestent silencieusement devant le quartier général de la Monusco à Kinshasa. Ils sont venus, déclare leur porte-parole, « dénoncer le laxisme du gouvernement face à l’épuration ethnique dont les Téké sont victimes depuis juin 2022 dans les territoires de Kwamouth, Bagata et même à Kinshasa et qui ont déjà fait 2000 morts; des violences relevant du crime de génocide. Plusieurs commissions ont été envoyées sur place sans qu’aune avancée ne soit enregistrée. Par contre, le gouvernement reçoit les commanditaires des massacres sans jamais entendre les victimes. Et quand nos assaillants sont arrêtés, ils sont aussitôt enrôlés dans l’armée. Des preuves existent. Nous sommes venus demander à la Monusco d’appliquer le chapitre 7 de la Charte des Nations Unies et de rétablir la paix afin de permettre aux déplacés de regagner leurs milieux ».

LA MARCHE DE L’OPPOSITION EN VICTIME COLATÉRALE
Il a fallu que le conflit Téké-Yaka se transporte aux portes-mêmes de Kinshasa pour que la force publique se réveille et prenne enfin conscience de la dangerosité du phénomène dans une ville où les deux communautés antagonistes disposent de leurs « cinquièmes colonnes » respectives, du fait de leur établissement ancestral sur les rives du fleuve Congo.
L’interdiction par la police urbaine d’attroupements de plus de 20 personnes, et donc de manifestations politiques publiques est diversement accueillie. Certains n’hésitant pas à accuser le commandant de la police de Kinshasa de profiter de la situation pour étouffer dans l’œuf la manifestation de l’opposition initialement prévue le 13 mai, mais reportée par l’autorité urbaine au 18, avant que le quatuor Katumbi-Matata-Fayulu-Sessanga ne rejette l’offre et fixe sa propre date : le samedi 20 mai.
Le décor du bras-de fer étant planté, le dénouement ne laisse guère place au doute : sous le prétexte de la menace qui pèse sur la ville de Kinshasa, la double marche dont les itinéraires devraient converger vers le Palais du Peuple est sérieusement hypothéquée. Elle risque d’être la victime collatérale de la confrontation entre Téké et Yaka.

Econews