État de siège en RDC : les raisons d’un échec

Absence de planification, manque de moyens, corruption… Le rapport parlementaire sur l’état de siège en vigueur dans l’Est du pays dénonce les dérapages et l’inefficacité de cette mesure d’exception qui semble pourtant s’installer dans la durée.

Un constat sans appel et cinglant. Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur l’état de siège, décrété en mai par le Président Félix Tshisekedi au Nord-Kivu et en Ituri, est accablant pour les autorités congolaises. Les critiques sont acerbes sur la mise en œuvre de cette mesure censée éradiquer les nombreux groupes armés qui sévissent dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC).

Car six mois après son instauration, le bilan est bien mince sur le front de l’insécurité. Au moins 1.000 civils ont été tués par les groupes armés depuis la mise en place de l’état de siège, selon les chiffres du baromètre sécuritaire du Kivu. Un décompte macabre, qui n’a pas diminué depuis le printemps dernier. Et le rapport parlementaire éclaire d’une lumière crue les multiples raisons de cet échec.

«Une planification insuffisante»

La Commission parlementaire rappelle d’abord que l’insécurité quasi endémique dure depuis plus de 30 ans dans l’Est du Congo, sans que l’armée congolaise, ni les casques bleus de la Monusco ne parviennent à l’endiguer. L’annonce au mois de mai 2021 d’un état de siège de 30 jours cesser stopper la violence au Nord-Kivu et en Ituri paraissait donc bien peu réaliste. Mais ce que pointe le rapport parlementaire, ce sont les différents manquements du gouvernement et les dérapages de l’armée congolaise qui ont accompagné cet état d’exception. Ce qui ressort en premier lieu, c’est l’impréparation du dispositif après l’annonce du chef de l’Etat.

Le ministre de la Défense auditionné a expliqué que l’état de siège avait été décrété « dans un contexte difficile sans un soubassement quelconque de chronogramme et sans un montage financier conséquent à même de couvrir les besoins opérationnels sur le terrain ». Il reconnait également une planification insuffisante des opérations militaires. Mais surtout, Gilbert Kabanda a dressé un état des lieux dramatique de l’armée congolaise : moyens inadaptés pour mener une guerre asymétrique, insuffisance des effectifs, vieillissement des troupes, effectifs fictifs…

«Complicité avec l’ennemi, affairisme… »

Le rapport dénonce également des critiques récurrentes concernant l’armée congolaise mais qui prennent une tout autre dimension dans le cadre d’un état d’exception. Les députés accusent certains militaires de complicité avec l’ennemi, de corruption, d’affairisme, mais aussi de taxer illégalement la population sur les routes, ou de marginaliser les députés provinciaux par les autorités politico-militaires qui les remplacent. Les parlementaires tapent forts en direction du gouvernement qu’ils accusent «de déficit de synergie et de coordination » entre les ministères et les services publics, « chacun semblant évoluer indépendamment les uns des autres ». Le manque de moyens financiers est enfin pointé par le rapport.

Selon le rapporteur, Gratien de Saint-Nicolas Iracan, 68% des fonds alloués à l’état de siège sont restés à Kinshasa, en toute opacité.

 «Pas d’effet positif visible de l’état de siège»

L’audit de l’état de siège par la Commission parlementaire date d’août 2021 et n’a été communiqué aux députés qu’en septembre. Mais depuis l’été, la situation ne s’est pas améliorée. Les violations des droits de l’homme par l’armée et la police se multiplient : arrestations arbitraires, extorsions de fonds, tabassages en règle, plusieurs cas de viols ont aussi été recensés. Mais surtout, les massacres se poursuivent au Nord-Kivu et en Ituri.

Les experts du « Baromètre sécuritaire du Kivu (KST) » ont enregistré dans ces régions, 198 meurtres en septembre, soit une hausse de 19% sur un mois. Concernant les six mois d’état de siège, le KST considère que « la comparaison avec le trimestre précédent ne permet pas de conclure à une efficacité de l’état de siège instauré en Ituri et dans le Nord-Kivu ».

Les experts notent par ailleurs un certain déplacement des violences du Nord-Kivu vers l’Ituri et un retour des exactions et une baisse des redditions au Nord-Kivu après une légère période d’accalmie. Pour le KST, le bilan est clair : « pas d’effet positif visible après cinq mois d’état de siège ».

Une mesure politique

Félix Tshisekedi ne peut malheureusement pas faire mine de découvrir le piètre état de son armée avec ce rapport. Le manque de moyens, les violations des droits de l’homme et l’affairisme qui règnent au sein des FARDC ne sont pas des phénomènes nouveaux, et rien ne s’est pas amélioré ces derniers mois. Le président congolais avait même dénoncé en juin dernier « les pratiques mafieuses » et les « magouilles» de certains officiers qui minent les forces de sécurité.

En déclenchant l’état de siège en mai dernier pour une courte période, Félix Tshisekedi ne s’attendait sûrement pas à éradiquer la totalité les groupes armés de l’Est du pays. La mesure était avant tout politique et misait davantage sur la mobilisation des esprits que sur l’efficacité militaire. D’ailleurs, politiquement, l’état de siège reste une mesure populaire au Congo, malgré l’absence de résultats. Le risque souligne le coordonnateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, Pierre Boisselet, serait «d’inscrire le pays dans un piège : celui d’une mesure inefficace, mais malgré tout maintenue indéfiniment ».

Sortir de l’état de siège

Pour éviter de laisser les mains libres à l’armée qui cumulent tous les pouvoirs, au détriment des politiques et des libertés des organisations des droits de l’homme et de la presse, la Commission parlementaire plaide pour «un plan de sortie de l’état de siège avant la demande d’autorisation de prorogation» (nous en sommes à la 11ème prorogation).

Elle demande également une mission d’enquête à Kinshasa «pour la traçabilité des fonds alloués à l’état de siège», et la création d’une Commission de suivi. Mais surtout, elle exige une résolution urgente : «une restructuration profonde et un renouvellement de la chaîne de commandement militaire à tous les niveaux, stratégique mais aussi opérationnel et tactiques ».

Un chantier que le président Tshisekedi a entamé prudemment depuis son arrivée à la Présidence, mais qu’il peine à mettre en œuvre. L’armée est encore largement tenue par des anciens fidèles de Joseph Kabila et les timides remaniements au sein des FARDC, n’a pas encore porté ses fruits. Si le général Numbi a été récemment été écarté et est maintenant en fuite, le général Gabriel Amisi, sous sanctions internationales, est toujours en place, ainsi que de nombreux sous-officiers soupçonnés d’exactions et de trafics.

Le Sud-Kivu bientôt sous état de siège?

Le piège de l’état de siège semble se refermer à l’Est du pays puisque, pour l’instant, ni le président Tshisekedi, ni les militaires n’ont intérêt à en sortir rapidement. Le premier pour éviter la reculade et maintenir un soutien populaire, les seconds pour continuer à faire des affaires dans l’Est. A un peu plus de deux ans de la présidentielle de 2023, ces mesures d’exception dans deux provinces électorales-clés inquiètent.

Les élections pourront-elles se tenir dans des régions sous état de siège ? Une interrogation d’autant plus inquiétante que le mercredi 3 novembre, un groupe armé maï-maï a opéré une incursion dans la ville de Bukavu, en attaquant des dépôts d’armes. Bilan provisoire : 11 morts. Un incident sécuritaire qui pourrait inciter les autorités congolaises à déclarer l’état de siège dans la province du Sud-Kivu, en proie également à de nombreux groupes armés.

Le piège de l’état de siège n’est visiblement pas prêt de se refermer.

Econews avec Afrikarabia