Fatwa sur la Monusco : mauvais temps pour Bahati

Modeste Bahati Lukwebo, président du Sénat et autorité morale du regroupement politique, AFDC-A, doit amèrement regretté ses dernières déclarations faites depuis la ville de Goma, par lesquelles il appelait les jeunes de la province à se prendre en charge pour chasser la Monusco qui, selon lui, en plus de 20 ans de présence en République Démocratique du Congo, n’a pas réussi à ramener la paix dans ce pays. Moins d’une semaine, son appel a été suivi d’abord par les jeunes de la ville de Goma, avant que ceux de Beni et Butembo ne prennent le relais. Le mal étant fait, son regroupement politique tente tant bien que mal de colmater les brèches. Mais, la tâche n’est pas facile. D’ores et déjà, au Gouvernement, son porte-parole a promis de sanctionner toutes les personnes qui ont contribué, par leur déclaration et prise de position, à ce regain de violences contre les troupes de la Monusco. Le président du Sénat est dans le viseur et vit apparemment un mauvais temps.
Après avoir allumé le feu avec son discours incendiaire contre la Monusco, Modeste Bahati, président du Sénat, tente de se racheter. Mais, le mal a été déjà fait. Son discours de haine, prononcé devant les habitants de Goma, a été archivé. Et toutes les sources aussi bien officielles qu’onusiennes sont d’avis que ce serait ces propos qui auraient jeté de l’huile sur le feu.
Un leader sait lire les signes des temps et ne se jette pas aussi aveuglement dans l’arène au point de se brûler les ailes. En vacances parlementaires dans l’Est, le président du Sénat a cru bien faire en appelant les jeunes de l’Est de la RDC à se soulever contre la mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC qui, selon lui, ne remplissait pas son rôle de maintien de la paix, après plus de 20 ans de présence discontinue en RDC. Quelques jours après, le discours de mobilisation de Bahati, les grandes villes de l’Est, dont Goma, Beni et Butembo, sont en feu.
Les recommandations de Bahati ont été suivies à la lettre. Il y a eu même un excès de la part de ceux qui ont été chargés de matérialiser cette recommandation politicienne. Malgré le retour tardif à la raison, il apparaît que des enquêtes sérieuses détermineront la part de l’appel de Bahati dans l’est de la RDC. Les conséquences sont désastreuses. Un Casque bleu tué et deux membres de la police de l’ONU aussi.
En fait, si les Casques bleus avaient tiré, on aurait enregistré un bilan humain alourdi. Il est même difficile de considérer que des gens qui ont quitté leurs pays pour servir la cause de la paix puissent être tués par ceux-là mêmes pour qui leur présence est justifiée. Les manifestants poussés par des forces occultes ont poussé les Casques bleus à bout. Il devenait donc urgent pour les soldats de la paix de se retrancher derrière la légitime défense.
Face à des manifestants armés, on n’a pas d’autres choix que de se protéger. C’est ce que ces Casques bleus ont fait. Malheureusement, il y a eu 12 civils tués. Un homme qui se fait tuer sur la toiture n’est pas un manifestant normal. De même celui qui tient une arme sans se cacher est un assaillant. Il faut absolument des sanctions.
L’AFDC-A tente d’apaiser, mais…
Dans une déclaration politique, l’AFDC-A a pris la défense de son autorité morale, condamnant fermement le recours à la violence dont ont fait preuve les jeunes de Goma.
Selon son rapporteur général, le professeur Remy Musungayi, qui signe cette déclaration, l’AFDC-A rappelle que le professeur Modeste Bahati Lukwebo, président statutaire du regroupement politique AFDC-A, «regrette le fait que certaines personnes mal intentionnées déforment et décontextualisent ses propos quant à la demande de retrait de la Monusco sollicitée massivement par la population, faute des résultats en termes de neutralisation des forces négatives qui sèment la terreur dans l’Est de la RDC, notamment dans le Grand Nord (Ituri, Beni), au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, et compatit encore une fois avec les familles des victimes des violences dues aux attaques de groupes armés dans l’Est de notre pays, lesquels sont soutenus, entretenus et équipés par des ennemis de la paix et de la prospérité, aussi bien ceux de l’intérieur que de l’extérieur de notre pays ».

Assumer ses paroles
C’est le lieu de rappeler que chacun doit jouer sa partition. Ceux qui ont appelé à des manifestations contre la Monusco comme le président du Sénat doivent s’assumer. Il ne sert à rien d’expliquer la pensée alors que tout était limpide et surtout public. Bahati pourrait-il se dédire et nier ce qu’il avait déclaré ? Que non!
Les acteurs politiques congolais doivent désormais tourner leur langue plusieurs fois avant d’affirmer des choses. Le populisme ne marche pas avec les hommes d’Etat surtout ceux qui portent sur eux des responsabilités d’Etat. Des mai-mai de toutes les coutures sont sortis de leurs cachettes pour répondre à l’appel du président du Sénat.
En faisant sa déclaration, il ne mesurait certainement pas auprès de qui cela allait atterrir. La fatwa contre la Monusco était inutile à tous points de vue dans un environnement explosif de l’Est. Les enquêtes finiront par établir la responsabilité des auteurs intellectuels directs, indirects et les exécutants. Chacun aura sa sanction.
«Les responsables seront poursuivis et sévèrement sanctionnés », a promis Patrick Muyaya Katembwe, porte-parole du Gouvernement.
Preuve que cette affaire a pris une dimension qui dépasse le seul cadre de la RDC, sur son compte twitter, le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme en RDC (BCNUDH) note que « Ces attaques sont la conséquence directe des discours de haine et messages incitant à l’hostilité, à la violence contre le personnel des Nations Unies et en particulier de la Monusco ces dernières semaines… ». Il rappelle, par ailleurs, que « l’incitation à l’hostilité et à la violence contre les Nations Unies et leur personnel sont des crimes internationaux imprescriptibles et exposent leurs auteurs et instigateurs quel que soit leur statut officiel à des poursuites judiciaires ».
Présente en RDC depuis 1999, la Monuc (Mission de l’ONU au Congo) qui est devenue la Monusco (Mission de l’ONU pour la stabilisation en RD Congo) en 2010, compte actuellement plus de 14.000 soldats de la paix. Elle est présente dans l’Est de la RDC depuis plus de deux décennies, mais la région reste peu sûre et abrite plus d’une centaine de groupes rebelles, dont le M23 qui s’est emparé de zones situées à des dizaines de kilomètres de Goma.

Econews