Forces EAC-SADC au Nord-Kivu : un panier à crabes

Déçu par la passivité de la force régionale de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est), Kinshasa lorgne désormais vers la brigade d’intervention. Lundi à Windhoek, le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, a obtenu l’accord de principe des pays membres de la SADC. En attendant la formalisation de cet accord de coopération militaire, le Président Tshisekedi multiplie des contacts dans la région de l’Afrique australe. Quant à l’avenir de la force régionale, Kinshasa semble avoir déjà tourné cette page – en théorie bien sûr. Mais, concilier sur le terrain des opérations la force régionale de l’EAC et les troupes de la SADC ne sra pas forcément une partie de plaisir. C’est finalement un panier à crabes que Kinshasa devra manipuler avec tact.
À moins d’un miracle ou de circonstances politico-militaires exceptionnelles, l’avenir de la mission militaire de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) dans le Nord-Kivu est scellé. En effet, dans la foulée du sommet de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), tenue lundi à Windhoek, en Namibie, il a été résolu de l’envoi d’une force militaire en RD Congo, dans la perspective d’une énième tentative d’amener les «rebelles» du M23 fortement soutenus par l’armée rwandaise à se désengager des territoires occupés au Nord-Kivu, à désarmer et se cantonner dans le cadre du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRCS). Une démarche par laquelle Kinshasa n’entend pas transiger, se fondant sur l’accord de Luanda signé le 24 novembre 2022, en l’absence du président rwandais, parrain désigné de la déstabilisation dans les provinces orientales congolaises depuis plus de deux décennies.

FROID POLAIRE ENTRE KINSHASA ET NAIROBI
La démission du commandant de la force de l’EAC, le général kényan Jeff Nyangah, le 27 avril a sonné le tocsin de ce que le président congolais avait estimé (à tort) comme un début de résolution de la crise née de l’occupation d’une partie du Nord-Kivu depuis la cité frontalière de Bunagana en juin 2022, suivie de celles de larges pans des territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo. Ce denier avait alors évoqué des intimidations et des menaces dont il aurait été victime, indiquant que sa sécurité personnelle n’était pas assurée.
Son remplacement quasi-automatique par son compatriote, le général Alphaxard Muthuri Kiugu, a jeté un froid dans les relations entre le gouvernement congolais et Nairobi, Kinshasa estimant avoir été floué, le président William Ruto ne s’étant pas embarrassé de «consulter» son homologue congolais. (Jusqu’au moment où cette édition était mise sous presse, il n’était pas confirmé que ce dernier aurait pris ses fonctions au quartier général de la force à Goma).
Mais la goutte qui a fait déborder le vase est cette déclaration de Félix Tshisekedi, accusant les militaires de la force de l’EAC (composée de Burundais, ougandais, kényans et soudanais du Sud) de « fraterniser » avec le M23 dans des zones que ces derniers seraient censés d’évacuer. Déclaration assortie d’une menace en forme d’ultimatum : si à la fin du mois de juin, des résultats probants ne sont pas enregistrés sur le terrain des opérations, la force de l’EAC serait invitée à plier bagage.
On se rappelle que lors du sommet à huis clos des chefs d’Etat de l’EAC à Bujumbura le 5 février, il avait pris publiquement à partie le général Nyangah, qu’il accusait de ne pas mener des offensives contre le M23 : «Vous n’êtes pas venus pour favoriser le M23. ça sera dommage que la population s’en prenne à vous. Vous êtes venus pour nous aider. Vous n’êtes pas venus pour avoir des problèmes. Donc soyez attentif à ça. Communiquez avec la population ».
Dès lors, le sort en était jeté. S’appuyant sur les pressions d’une opinion publique hostile à la présence de la force de l’EAC à laquelle participe l’Ouganda, Félix Tshisekedi en est venu à solliciter la SADC, dont la contribution avait sauvé jadis le pouvoir révolutionnaire de Mzee Laurent-Désiré Kabila contre l’agression rwando-ougando-burundaise sous le couvert du RCD/Goma et, quinze ans plus tard en 2013, à chasser le même M23 de ses positions du Nord-Kivu, contraignant ses combattants à s’éparpiller entre le Rwanda et l’Ouganda.

ZIMBABWÉENS, NAMIBIENS, SUD-AFRICAINS, MALAWITES ETC. DE RETOUR
Quelques jours après la résolution de Windhoek, des précisions n’ont pas été apportées ni sur le volume de la force de la SADC, ni sur le caractère de sa mission, encore moins sur la date de son déploiement. La seule certitude reste celle de la participation d’un contingent angolais dont le mandat sera celui d’assurer la sécurité des sites de cantonnement des «rebelles» qui auront déposé les armes. A condition, maintient Luanda, que les conditions requises soient préalablement réunies.
Il n’en reste pas moins qu’un Nord-Kivu hyper militarisé, avec la présence de pas moins de 10 armées étrangères, pousse à l’inquiétude. La possibilité de voir les uns et les autres se livrer à une guerre ouverte sur le territoire congolais restant improbable, la balle reste dans le camp du gouvernement congolais de gérer un authentique panier à crabes, dans le cas où la force de l’EAC poserait de nouvelles conditions préalables à son retrait.

Ultimatum à la force régionale de l’EAC
Entre Kinshasa et la force régionale de l’EAC, le pont semble avoir été totalement rompu.
Depuis Gaborone, au Botswana, le Président Tshisekedi a tiré à boulets rouges sur la force est-africaine qu’il accuse d’être en complicité avec les terroristes du M23.
A la Présidence de la République congolaise, certaines indiscrétions rapportent que le départ définitif de la force régionale de l’EAC pourrait intervenir en juin prochain.
En tout cas, si ça ne dépendait que du Président Félix Tshisekedi, le deal entre Kinshasa et la force régionale de l’EAC se conjugue déjà au passé.
« Vous avez suivi le Général Jeff Nyaga qui a démissionné de manière spectaculaire nous surprenant tous et parlant des menaces. Des menaces auxquelles il ne nous a jamais fait part. Et pourquoi il ne nous a pas fait part de ces menaces, lui seul le sait. Et lorsqu’il décide de quitter la République Démocratique du Congo, le Kenya désigne directement un autre commandant de la force sans consultations, comme si cette force n’appartenait qu’au Kenya. Donc, manifestement, il y a un problème dont nous avons besoin de parler pour clarifier la situation et comme le mandat s’achève au mois de juin et si à cette date-là nous estimons que le mandat n’est pas rempli, je crois que nous allons décider de réaccompagner ce contingent venu à la rescousse de la République Démocratique du Congo avec honneur, le remercier pour avoir essayé d’apporter leur part de contribution à la paix en République Démocratique du Congo », a déclaré à Gaborone Félix Tshisekedi, cité par l’ACP.
A l’Union africaine (UA), la volte-face de Kinshasa est suivi de procès. A ce propos, l’ACP rapporte que l’UA a annoncé la tenue, dans les tout prochains jours, d’un sommet regroupant les principales organisations sous-régionales afin d’harmoniser les vues sur l’intervention des troupes dans l’Est de la RDC.

Econews

731 22