Katumbi contre Beveraggi : l’Etat de droit en panne avec une justice instrumentalisée

Entre Katumbiet le Français Beveraggi, Kinshasa a choisi son camp

Décidément, des proches du Président de la République, ne s’inscrivent pas dans sa vision de promouvoir l’Etat de droit en garantissant l’indépendance de la justice. Pour affaiblir un opposant ou décourager un adversaire politique, ils n’hésitent donc pas à exercer toute forme de pression sur la justice jusqu’à obtenir gain de cause. Après l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, qui est passé par toutes les épreuves judiciaires possibles dans l’affaire Bukanga-Lonzo, c’est au tour de Moïse Katumbi Chapwe, leader d’Ensemble pour la République, à subir le martyr d’une justice instrumentalisée dans l’affaire qui l’oppose au Français Pascal Beveraggi.
Que reste-t-il encore de l’Etat de droit lorsque des proches du Président de la République décident de voguer à contre-courant de ses multiples appels à l’indépendance de la justice ? Que vaut la parole du Chef de l’Etat lorsque ceux se réclament de son courant s’en détournent au grand jour ?
C’est cela, malheureusement, la triste réalité qu’on vit tous les jours, dans différents coins de la République, par la faute des bonzes du pouvoir qui ont décidé d’asservir la justice pour en faire une arme politique.
En République Démocratique du Congo, il n’est pas bon d’être opposant ou de ne pas partager la vision de l’Union sacrée de la nation. Et lorsqu’il s’agit d’affaiblir ou d’anéantir un adversaire politique gênant, on recourt à la justice pour faire le grand ménage.
L’on se souvient que l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, est passé par toutes ces épreuves jusqu’à amener la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire congolais, a renié son propre arrêt rendu, le 15 novembre 2021, dans l’affaire Bukanga-Lonzo.
Après Matata, c’est au tour de Moïse Katumbi de subir le martyr d’une justice à la solde du pouvoir. On croyait que l’affaire qui l’oppose au Français Pascal Beveraggi était classée. Mais, par la magie d’une justice habituée à jouer à la prestidigitation, l’affaire a été réchauffée et tournerait déjà en défaveur du chairman d’Ensemble pour la République.
La raison est bien simple. Au sein de l’Union sacrée de la nation, Katumbi n’inspire pas confiance, quoi que compté parmi les premiers alliés de Félix Tshisekedi aux côtés de Jean-Pierre Bemba. En réaffirmant ses ambitions présidentielles, Katumbi est passé pour l’ennemi public de la «Fatshisphère». Il est dès lors l’homme à abattre.
Et en pareille situation, la sentence est exécutée par une justice aux ordres. C’est exactement ce qui se passe autour de l’affaire Beveraggi.
Comme toujours, ce sont les plus fidèles de l’entourage du Chef de l’Etat qui se chargent d’exercer toute forme de pression sur la justice jusqu’à ce que l’adversaire politique s’écroule. Au tribunal de commerce de Lubumbashi, l’affaire Katumbi –Beveraggi s’intègre parfaitement dans cette logique.

Le juge Batubenga se déchaîne
Lassé par la forte pression qu’il subit dans l’exercice de ses fonctions, le juge Laurent Batubenga Ilunga, conseiller à la Cour d’appel de Lubumbashi, a fini par craquer. Il franchit le Rubicon en déposant sa démission au Chef de l’Etat, dans une correspondance, largement partagée sur la toile et datée du 9 décembre 2022.
Le juge Batubenga ne se soucie pas de ses 26 ans de carrière dans la magistrature. Pour son honneur et le défi de garantir une justice juste et équitable, il a décidé de rendre le tablier.
«Le 18 décembre 2022, je vais totaliser 26 ans de carrière dent 23 en tant que juge. Durant toutes ces années, j’ai toujours rempli mes fonctions loyalement et fidèlement, avec honneur et dignité conformément au serment que j’ai prêté. C’est pourquoi je n’ai jamais été poursuivi ni en prise é partie ni disciplinairement », écrit-il.
Il n’hésite pas à nommer ces proches du Chef de l’Etat qui portent un coup dur à sa promesse de l’émergence d’un Etat de droit.
Le juge Batubenga enchaîne en ces termes : «Cependant, depuis la signature des dernières ordonnances intervenues dans la magistrature fin juillet 2022, je subis, par personnes interposées, desfortes pressions de la part de Maître Peter KAZADI pour que je puisse valider des saisies-attributions pratiquées sans titre exécutoire par les sociétés OCTAVIA LIMITED et NB MINING AFRICA SA qui appartiendraient à Monsieur Pascal BEVERAGGI dirigées soit contre la société ASTALIA INVESTMENT LIMITED qui appartiendrait à Monsieur Moïse KATUMBI, soit contre les tiers qui auraient payé à cette dernière des sommes qu’ils détenaient pour le compte des deux sociétés précitées. En effet, Maitre Peter KAZADI, prétendant ne pas agir pour son compte personnel mais dans l’intérêt du pouvoir, voudrait que je m’implique en tant que chef de juridiction pour aider à priver, selon ses termes, un adversaire politique des ressources financières qui lui donneraient les moyens de combattre le régime lors des prochaines échéances électorales. Il affirme avoir reçu la mission de piloter la mise en place des magistrats et que je risque de me perdre mon poste lors de la prochaine mise en place si je ne m’exécute pas ». Et de poursuivre : «Cette menace n’a pas ébranlé mon engagement à respecter les termes de mon serment. Les saisies-attributions pratiquées par les sociétés OCTAVIA LIMITED et NB MINING AFRICA SA ne pouvant prospérer faute de titre exécutoire, il n’était pas possible d’accéder aux sollicitations de Me Peter KAZADI qui obéissaient a une motivation politique et non légale».
Que reste-t-il de l’Etat si des proches du Président de la République le jette en pâture et se détournent de son message ?
Le juge Batubenga pose le problème : «Il va sans dire que ce comportement de quelqu’un qui prétend agir dans l’intérêt du pouvoir est contraire à votre vision de bâtir un Etat de droit qui suppose la prééminence du droit sur le pouvoir politique ainsi que le respect de chacun, gouvernants et gouvernés, de la loi ».
Il rappelle, par la suite, toutes les menaces, lancées contre lui, pour clouer Katumbi. «Le vendredi 02 décembre courant, j’ai reçu des messages anonymes sur mon téléphone contenant des menaces ainsi libellées :

  1. « Avertissement sans frais. Si tu tiens à ta vie ainsi qu’à ta carrière, tu as intérêt à ne plus t’ériger en obstacle dans la récupération par M. Beveraggi de la sté MCK et de son argent auprès des tiers ».
  2. « Si tu continues à t’entêter en nous parlant de la loi, nous allons te faire voir que ce n’est pas la loi qui a fait de toi Président du Tricom. Nous constatons que tu affiches une volonté de protéger M. Katumbi alors que tu connais qu’il est opposant au régime. Nous n’allons pas te laisser lui donner l’occasion de gagner de l’argent pour nous faire concurrence aux élections ».
  3. «Pascal Beveraggi doit absolument reprendre cette société et celui qui s’érige en obstacle par un juridisme irréaliste subira le sort réservé a ceux qui collaborent avec l’ennemi. Tiens-toi le pour dit et à bon entendeur, salut ! »
    Le juge n’en pouvait plus. Il a donc décidé de rendre le tablier, sacrifiant ses 26 ans dans la magistrature. «Face à ces menaces graves dont je crains sérieusement la mise à exécution, ma sécurité et celle de ma famille étant totalement ignorées dans les actions et sollicitations dictées par des impératifs que je ne saurais assurer en tant que juge, ne pouvant trahir ni mon serment de remplir mes fonctions loyalement et fidèlement, avec honneur et dignité, ni votre vision de bâtir un Etat de droit en République Démocratique du Congo, je viens très respectueusement et avec un profond regret vous présenter ma démission ».

Désapprobation dans la Société civile
Dans la Société civile, on exprime de vives inquiétudes à la suite de la mauvaise tournure de l’affaire Katumbi contre Beveragi.
Sur son compte twitter, Jean-Claude Katende de l’Asadho ne cache pas son désarroi.
De proches du Chef de l’Etat étant nommément cités dans cette affaire, Jean-Claude Katende trouve l’occasion d’interpeller le Président de la République. «Le Président Tshisekedi avait promis de sanctionner toute personne de son entourage qui userait de trafic d’influence pour instrumentaliser la justice. On attend sa réaction face à la dénonciation du juge du tribunal de commerce de Lubumbashi », écrit-il.
La désapprobation est tout autant pour Georges Kapiamba, président de l’ACAJ. «L’ACAJ est profondément troublée par les circonstances qui auraient conduit à la démission du juge Batu-benga Ilunga Laurent, du Tribunal de commerce de Lubumbashi. Les faits allégués dans sa lettre de démission sont d’une gravité extrême. Tout en respectant l’honneur et la dignité des personnes citées, l’ACAJ va mener une enquête indépendante aux fins de tirer au clair cette affaire dont les effets sont de nature à parasiter gravement la marche laborieuse vers un État de droit en RDC», note Me Kapiamba sur son compte twitter.

Hugo Tamusa